Les philosophes, les logiciens, les mathématiciens apportent tous une contribution indispensable aux sciences expérimentales.
Oui et non. Oui dans le sens où les scientifiques ne vivent pas, ne leur déplaise, dans une tour d'ivoire. Ils sont embarqués dans le monde et, à ce titre, ils pensent dans et à partir d'une culture donnée dont ils n'ont évidemment pas le monopole. A cette liste, il convient donc d'ajouter les artistes, les théologiens, les artisans, les industriels, les politiciens, les fonctionnaires, les agriculteurs, les médecins, les techniciens, les juristes, etc. La "contribution" des uns et des autres est, en ce sens, une méta-contribution, le préfixe "méta" ayant ici la même signification que dans "méta-physique" par rapport à "physique", à savoir que le "méta" participe des conditions de possibilité de ce qui est, par là, prédéterminé. De même que les scientifiques participent, eux-aussi, à la prédétermination conceptuelle des autres activités.
Cela dit, chaque "corps de métier", si l'on peut dire, possède son propre jeu de langage forgé par la tradition et par la nécessité historiques. De sorte que, s'il arrive que le jeu de langage scientifique partage avec d'autres jeux de langage des termes communs, c'est cependant en des sens complètement différents. L'exemple du terme "conscience" est tout à fait significatif : pour le scientifique, la conscience est un (ensemble de) phénomène(s) physico-chimique(s) expérimentable(s). Ce qui n'est évidemment pas le cas pour un écrivain, un métaphysicien ou un théologien. Raison pour laquelle il est absurde et insupportable que le scientifique prétende "découvrir le code de la conscience" (Dehaene) ou "remonter à l'origine primitive des phénomènes de conscience" (Dousset). Cela n'a aucun sens. C'est comme si vous disiez : "je vais vous dire une bonne fois pour toutes ce qu'est l'égalité". Selon que vous jugerez en mathématicien ou en juriste, vous ne donnerez pas à la même notion le même sens.
Face à la polysémie conceptuelle, le rôle du philosophe ou du sage (dans la mesure où la philosophie ou la sagesse n'ont pas de clôture intérieure et, donc, que leur juridiction n'a pas de limite), n'est pas, en l'occurrence, de dire qui a raison et qui a tort. Personne n'a raison et personne n'a tort. Il s'agit plutôt
- 1) d'éviter et, si nécessaire, de condamner, l'hégémonie d'un jeu de langage sur tous les autres (ce qui se passe actuellement avec le jeu de langage "scientifique" qui pollue absolument tous les autres, c'est ce que nous avons appelé le "scientisme" qui n'est rien d'autre qu'une forme sévère d'intégrisme religieux)
- 2) de montrer corrélativement que le choix d'un concept plutôt que d'un autre (la "conscience" de Descartes plutôt que de celle de Proust ou celle de Dehaene) relève toujours d'un choix grammatical en ce qu'il est complètement arbitraire sans pour autant être dépourvu de cohérence et, qu'à ce titre, aucun choix n'est, en soi, plus légitime qu'un autre.