(Après la tentative de diversion du bot, reprenons notre exposé sur la nécessité du dualisme comme réponse au monisme imbécile des scientistes. Or donc ...)
Émile Durkheim nous offre une grille de lecture particulièrement pertinente du caractère originairement social de la nécessité d'un dualisme corps-esprit. Pour Durkheim, la première règle de la méthode sociologique est de considérer que "la plupart de nos idées, de nos tendances ne sont pas élaborées par chacun d'entre nous, mais sont des manières d'agir, de penser, de sentir, qui s’imposent à l'individu"(Durkheim, les Règles de la Méthode Sociologique). Or, justement, Durkheim constate que toute société a, toujours et partout, distingué ce qui est sacré (en latin, sacer veut dire "séparé", "coupé du monde") de ce qui est profane (en latin, profanus signifie justement "extérieur à l'enceinte sacrée", "extérieur au temple"). Mais si "la division du monde en deux domaines comprenant, l’un ce qui est sacré, l’autre ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i), on peut inférer qu'il n'est pas de société humaine dépourvue de croyances ni de pratiques religieuses puisque toutes les sociétés établissent, explicitement ou non, une distinction entre valeurs sacrées et valeurs profanes. Pour Durkheim, en effet, "une religion est un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées des choses profanes, interdites" (Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i).Même dans notre société capitaliste soi-disant athée, matérialiste et irreligieuse, "il y a tout au moins un principe que les peuples les plus épris de libre examen tendent à mettre au dessus de la discussion et à regarder comme intangible, c’est-à-dire comme sacré : c’est le principe même du libre examen" (Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Ou encore : "même aujourd’hui, si grande que soit la liberté que nous nous accordons les uns aux autres, un homme qui nierait totalement le progrès, qui bafouerait l’idéal humain auquel les sociétés modernes sont attachées, ferait l’effet d’un sacrilège"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Étymologiquement, le sacrilegus, c'est "celui qui vole ce qui est sacré". Raison pour laquelle il n'est pas de société dans laquelle on ne puisse être condamné pour sacrilège (synonyme, "profanation"), i.e. pour atteinte à une valeur sacrée (e.g. : atteinte à la propriété privée dans les sociétés dites "libérales").
Il est clair qu'une distinction aussi universelle entre ces deux aspects complémentaires (sacré/profane) de la vie sociale ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur la façon dont nous pensons et parlons. De fait, "l'âme a toujours été investie d'une dignité qui a été refusée au corps considéré comme essentiellement profane"(Durkheim, le Dualisme de la Nature Humaine et ses Conditions Sociales). On pourrait reprendre l'argumentation de n'importe quel philosophe, qu'il soit "moniste" ou "dualiste" : tous confirmeraient l'idée de Durkheim selon laquelle le champ lexical du spirituel connote, par rapport au champ lexical du corporel, un jugement de supériorité implicite. Que tous les hommes se soient toujours et partout pensés en termes d'une complémentarité asymétrique de l'âme et du corps,entretient donc une évidente corrélation avec le fait qu'il n'existe pas de société sans religion au sens de Durkheim, c'est-à-dire sans distinction lexicale d'une complémentarité hiérarchisée entre sacré et profane : "est sacré ce que le profane ne doit pas, ne peut pas impunément toucher [...]. Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à distance des premières"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Raison pour laquelle "la dualité de notre nature n'est donc qu'un cas particulier de cette division des choses en sacrées et en profanes qu'on trouve à la base de toutes les religions. [...] Cette dualité correspond à la double existence que nous menons concurremment : l'une purement individuelle, qui a ses racines dans notre organisme, l'autre sociale qui n'est que le prolongement de la société"(Durkheim, le Dualisme de la Nature Humaine et ses Conditions Sociales). Pour autant, nous avertit Durkheim, "l'homme n'est pas dupe d'une illusion, quand il se croit en relation avec une puissance supérieure qui lui est extérieure, en un sens, et d'où lui vient ce qu'il y a de meilleur en lui. Sans doute, il se représente d'une manière erronée cette réalité ; mais il ne se trompe pas sur le fait même de son existence. La raison d'être des conceptions religieuses, c'est de fournir un système de notions ou de croyances qui permette à l'individu de se représenter la société dont il fait partie, et les rapports obscurs qui l'unissent à elle [...]. En même temps qu'elle est transcendante par rapport à chacun d'entre nous, la société nous est immanente"(Durkheim, Cours sur les Origines de la Vie Religieuse). D'où, semble-t-il, cette double invariance anthropologique dans les rapports du corps et de l'esprit : d'une part l'aspect mystérieux, magique ("éthéré", dirait Wittgenstein) de la réalités pirituelle par rapport à la réalité corporelle et qui procède de l'adhésion au mythe d'une "puissance obscure", qu'on l'appelle "esprit", "conscience", "inconscient", "pensée", "âme", "mental", etc. qui le détermine et transforme l'existence humaine en destin ; d'autre part le redoutable problème de la double localisation de l'esprit et du corps, l'esprit étant ressenti confusément à la fois comme "puissance extérieure" transcendante et comme "puissance intérieure" immanente. Il nous appartient donc, à présent, d'achever de démythifier l'esprit en le rendant à son extériorité originaire et, plus précisément, à son extériorité sociale en le débarrassant des connotations psychologiques que lui ont donné la phénoménologie et la philosophie des qualia.
(à suivre ...)
Émile Durkheim nous offre une grille de lecture particulièrement pertinente du caractère originairement social de la nécessité d'un dualisme corps-esprit. Pour Durkheim, la première règle de la méthode sociologique est de considérer que "la plupart de nos idées, de nos tendances ne sont pas élaborées par chacun d'entre nous, mais sont des manières d'agir, de penser, de sentir, qui s’imposent à l'individu"(Durkheim, les Règles de la Méthode Sociologique). Or, justement, Durkheim constate que toute société a, toujours et partout, distingué ce qui est sacré (en latin, sacer veut dire "séparé", "coupé du monde") de ce qui est profane (en latin, profanus signifie justement "extérieur à l'enceinte sacrée", "extérieur au temple"). Mais si "la division du monde en deux domaines comprenant, l’un ce qui est sacré, l’autre ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i), on peut inférer qu'il n'est pas de société humaine dépourvue de croyances ni de pratiques religieuses puisque toutes les sociétés établissent, explicitement ou non, une distinction entre valeurs sacrées et valeurs profanes. Pour Durkheim, en effet, "une religion est un système de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées des choses profanes, interdites" (Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i).Même dans notre société capitaliste soi-disant athée, matérialiste et irreligieuse, "il y a tout au moins un principe que les peuples les plus épris de libre examen tendent à mettre au dessus de la discussion et à regarder comme intangible, c’est-à-dire comme sacré : c’est le principe même du libre examen" (Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Ou encore : "même aujourd’hui, si grande que soit la liberté que nous nous accordons les uns aux autres, un homme qui nierait totalement le progrès, qui bafouerait l’idéal humain auquel les sociétés modernes sont attachées, ferait l’effet d’un sacrilège"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Étymologiquement, le sacrilegus, c'est "celui qui vole ce qui est sacré". Raison pour laquelle il n'est pas de société dans laquelle on ne puisse être condamné pour sacrilège (synonyme, "profanation"), i.e. pour atteinte à une valeur sacrée (e.g. : atteinte à la propriété privée dans les sociétés dites "libérales").
Il est clair qu'une distinction aussi universelle entre ces deux aspects complémentaires (sacré/profane) de la vie sociale ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur la façon dont nous pensons et parlons. De fait, "l'âme a toujours été investie d'une dignité qui a été refusée au corps considéré comme essentiellement profane"(Durkheim, le Dualisme de la Nature Humaine et ses Conditions Sociales). On pourrait reprendre l'argumentation de n'importe quel philosophe, qu'il soit "moniste" ou "dualiste" : tous confirmeraient l'idée de Durkheim selon laquelle le champ lexical du spirituel connote, par rapport au champ lexical du corporel, un jugement de supériorité implicite. Que tous les hommes se soient toujours et partout pensés en termes d'une complémentarité asymétrique de l'âme et du corps,entretient donc une évidente corrélation avec le fait qu'il n'existe pas de société sans religion au sens de Durkheim, c'est-à-dire sans distinction lexicale d'une complémentarité hiérarchisée entre sacré et profane : "est sacré ce que le profane ne doit pas, ne peut pas impunément toucher [...]. Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à distance des premières"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). Raison pour laquelle "la dualité de notre nature n'est donc qu'un cas particulier de cette division des choses en sacrées et en profanes qu'on trouve à la base de toutes les religions. [...] Cette dualité correspond à la double existence que nous menons concurremment : l'une purement individuelle, qui a ses racines dans notre organisme, l'autre sociale qui n'est que le prolongement de la société"(Durkheim, le Dualisme de la Nature Humaine et ses Conditions Sociales). Pour autant, nous avertit Durkheim, "l'homme n'est pas dupe d'une illusion, quand il se croit en relation avec une puissance supérieure qui lui est extérieure, en un sens, et d'où lui vient ce qu'il y a de meilleur en lui. Sans doute, il se représente d'une manière erronée cette réalité ; mais il ne se trompe pas sur le fait même de son existence. La raison d'être des conceptions religieuses, c'est de fournir un système de notions ou de croyances qui permette à l'individu de se représenter la société dont il fait partie, et les rapports obscurs qui l'unissent à elle [...]. En même temps qu'elle est transcendante par rapport à chacun d'entre nous, la société nous est immanente"(Durkheim, Cours sur les Origines de la Vie Religieuse). D'où, semble-t-il, cette double invariance anthropologique dans les rapports du corps et de l'esprit : d'une part l'aspect mystérieux, magique ("éthéré", dirait Wittgenstein) de la réalités pirituelle par rapport à la réalité corporelle et qui procède de l'adhésion au mythe d'une "puissance obscure", qu'on l'appelle "esprit", "conscience", "inconscient", "pensée", "âme", "mental", etc. qui le détermine et transforme l'existence humaine en destin ; d'autre part le redoutable problème de la double localisation de l'esprit et du corps, l'esprit étant ressenti confusément à la fois comme "puissance extérieure" transcendante et comme "puissance intérieure" immanente. Il nous appartient donc, à présent, d'achever de démythifier l'esprit en le rendant à son extériorité originaire et, plus précisément, à son extériorité sociale en le débarrassant des connotations psychologiques que lui ont donné la phénoménologie et la philosophie des qualia.
(à suivre ...)