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descriptionPourquoi marcher ? Une approche taoïste. EmptyPourquoi marcher ? Une approche taoïste.

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Sur un forum de discussion, par ailleurs tout à fait remarquable, consacré à la marche nordique (Cf. Je Marche Nordique), il est beaucoup question de compétition, d'effort, de technique, de matériel, etc., autant de thèmes qui, explicitement ou non, posent toujours plus ou moins la même question : comment faire pour optimiser l'effort et maximiser la vitesse ? Et même chez ceux et celles qui reconnaissent la légitimité des motivations non-compétitives (marcher pour se rééduquer fonctionnellement, marcher pour faire des rencontres, naturelles ou sociales, marcher pour se faire du bien, etc.), il y a toujours l'idée sous-jacente que sans la sensation d'un effort pénible (au moins occasionnellement) et sans la sensation de la vitesse, il ne saurait exister de satisfaction légitime. Il semble donc que, pour la mentalité occidentale tout au moins, forcer et aller vite soient des motivations nécessaires de tout mouvement bien accompli, fussent-elles à l'arrière plan d'autres objectifs. Bref, là où Marx disait que le capitalisme avait réduit le système de nos valeurs à une seule, la valeur monétaire, je dirais pour ma part que l'idéologie inhérente au capitalisme a réduit la valeur de tout mouvement à ces deux seules : effort et vitesse. C'est pourquoi je voudrais ici prendre le contre-pied (c'est le cas de le dire !) de cette idéologie main stream en faisant l'éloge de la facilité et de la lenteur dans la marche et, tout particulièrement, dans la marche nordique en m'inspirant des enseignements du 道, dào (Tao), notamment en reprenant le titre du premier chapitre de l’œuvre de Zhuāng Zǐ : 逍遥游 (xiāo yáo yóu), littéralement "flâner loin comme en nageant".

Disons tout d'abord qu'il peut exister plusieurs raisons de conjoindre d'une part le mouvement en général, d'autre part effort et vitesse. Dont la toute première me semble être l'adhésion du plus grand nombre à l'idéologie productiviste : faire le maximum (en particulier, parcourir le maximum de distance) dans le minimum de temps. Rappelons à ce propos que le terme de "record" a été popularisé par Henry Ford, l'inventeur du travail à la chaîne (et, accessoirement, modèle d'un certain Adolf Hitler), qui entendait optimiser la productivité de ses ouvriers en enregistrant (to record = enregistrer) les performances des uns et des autres et en récompensant ceux qui produisaient le plus dans le minimum de temps. Du coup, les travailleurs exploités étaient-ils obligés de souffrir pour obéir aux injonctions de leur hiérarchie, c'est-à-dire de travailler plus et plus vite, toujours plus, toujours plus vite, fût-ce au détriment de leur santé. Rappelons aussi que la notion de "sport", si populaire et qui semble si naturelle aujourd'hui en occident, est fondée sur la nécessité d'inculquer, dès le milieu du XIX° siècle dans les contrées de culture anglo-germanique, les valeurs militaires à des jeunes gens, valeurs parmi lesquelles, bien évidemment, la rapidité de réaction mais aussi le "goût" de l'effort, c'est-à-dire, en fait, le mépris de la souffrance, si ce n'est le mépris de la vie elle-même. Par où l'on reconnaît aussi l'obsession judéo-chrétienne pour une souffrance soit-disant rédemptrice et que, par suite, toute vertu morale commande de rechercher pour elle-même et non plus à titre de simple moyen nécessaire pour atteindre un certain but comme c'était au moins le cas pour les ouvriers d'H. Ford. On comprend alors mieux la culture, tout à la fois de la vitesse et de l'effort que l'on distille auprès du grand public et qui est celle, idéalement, des sportifs dits "professionnels" conçus comme modèles de maximisation la productivité de leur force de travail (ce pour quoi ils sont payés) tout en montrant ou, au moins, en disant qu'ils "aiment" souffrir et non pas, horresco referens, qu'ils souffrent, à l'instar des ouvriers des usines Ford, juste pour gagner leur pain quotidien. S'agissant de la marche nordique en particulier, une autre raison de conjoindre mouvement, effort et vitesse réside dans ses origines. Il s'agissait en effet, lors de l'invention de cette discipline (dans les années 1970 en Finlande), de permettre aux skieurs nordiques de compétition d'entretenir leur compétitivité dans des conditions climatiques estivales qui leur interdisait la pratique de leur sport. Bref, la marche nordique a été, d'emblée, considérée comme un dérivatif pour "sportifs de haut niveau", avec tout ce que cela suppose de partage des valeurs dominantes d'effort et de vitesse.


D'aucuns croient rompre avec cette logique capitalo-militariste de l'effort et de la vitesse du mouvement en général en faisant l'éloge du plaisir dans le mouvement. Voire de la "zénitude". Sauf qu'"être zen" au sens occidental couramment admis de cette expression est un contre-sens. Ce mot, japonais, viens du chinois 禅, chán, qui signifie "contemplation, méditation, détachement", tout le contraire, comme nous allons le voir, de cette notion de récompense bien méritée après effort bien méritoire. Certes, faire l'éloge du corps érotisé, c'est déjà autre chose que de faire l'éloge du corps héroïsé, déformé par la souffrance de ceux qui, icônes médiatiques surentraînées, surexploitées et, souvent aussi surpayées, auxquelles nos jeunes tendent, malheureusement, à s'identifier, se prennent pour des Héraklès modernes. À ce propos, rappelons que les fameux "douze travaux" d'icelui sont appelés, en grec, Δωδέκαθλος  (dôdékathlos), faisant apparaître la racine "athlos" (athlète, athlétisme, décathlon, etc.) qui signifie, à l'origine "exploit". Les traductions anglaise (the twelve labors of Hercules) et italienne (le dodici fatiche di Ercole) mettent, quant à elles, l'accent sur le caractère pénible, fastidieux de l'héroïque entreprise. J'opposerai pour ma part à la notion d'effort pénible, non celle de plaisir mais celles de facilité et de lenteur. D'abord le plaisir ne se maîtrise pas, ne se contrôle pas : on l'éprouve immédiatement, souvent sans savoir pourquoi (de même d'ailleurs que son opposé, la douleur, comme le montre, en filigrane, l'un des thèmes principaux de la Recherche de Proust). Du coup, lorsqu'il surgit, toujours à l'improviste, on est incapable de le faire durer. On peut éprouver un plaisir immense à découvrir un paysage ou à échanger avec une personne, et, partant, en garder un souvenir impérissable. Il n'empêche que ce plaisir aura été instantané, fugitif. Bref, il est impossible de cultiver le plaisir, de le viser intentionnellement. Ce qui s'explique aisément : le plaisir est, d'un point de vue biologique, un mécanisme aléatoire de récompense (cf. les études faites sur les rats), donc de renforcement de la motivation propre à entretenir la survie de l'individu et, partant, de l'espèce. Donc, d'une part, celui-ci se présente toujours inopinément pour souligner les comportements à renforcer, et, d'autre part, les études faites sur les addictions montrent que, pour une cause déclenchante de dopamine (hormone du plaisir) donnée, la réponse va diminuant lorsque les occurrences de cette cause se multiplient. D'où l'alternative : nécessité d' "augmenter les doses" ou bien laisser diminuer l'intensité de la décharge de dopamine jusqu'au point où sa quasi-absence ressentie est interprétée comme une douleur. Donc, même si un conditionnement à la recherche du plaisir semble certainement plus sain qu'un conditionnement à la douleur, éduquer la jeunesse en lui présentant le plaisir comme la récompense suprême, sinon unique, de tout acte, c'est, de facto, l'encourager à œuvrer pour la récompense à tout prix, avec tous les travers que cela suppose en termes de tricherie et, in fine, de désillusion. Bref, comme le dit Aristote, le plaisir peut être un précieux additif au résultat de toute recherche, mais, justement, ce ne sera jamais qu'un effet causal aléatoire et non pas l'objet d'une démarche consciente et méthodique. À la limite, il ne peut être un but qu'à la condition, paradoxale, de n'être pas expressément visé comme but. Le plaisir est, typiquement, ce que Jon Elster appelle un "effet essentiellement indirect". Un bon exemple de ce dont il s'agit réside dans l'intention de vouloir à tout prix s'endormir, de loin le meilleur moyen de rester éveillé ! Il est d'ailleurs manifeste que les hédonistes (c'est-à-dire ceux qui ont fait l'éloge du plaisir comme valeur suprême) sont au moins aussi malheureux et insatisfaits que ceux qui prônent la valeur rédemptrice de la souffrance. Ils sont même souvent plus cyniques et tyranniques qu'eux, tyrannisés qu'ils sont par l'urgence de toujours profiter égoïstement de la futilité de l'instant plaisant (cf. la figure de Don Juan), au détriment, précisément, de l'instant présent.

Par contraste, la facilité et la lenteur s'inscrivent dans une présence, une continuité, une voie consciente et intentionnelle de nature à être cultivée. C'est là l'enseignement du 道, dào, la Voie. Car si tout, dans la nature, y compris, donc, dans la nature humaine, n'est que flux et reflux perpétuels,  阴, yīn et 阳, yáng, alors vaine est la recherche du plaisir car au plaisir succédera immanquablement la peine et à la peine le plaisir et ainsi de suite, indéfiniment. Dès lors, sage, conscient, éveillé sera celui qui admettra justement que ce n'est pas l'instant qui compte, fût-il exceptionnellement plaisant, mais que c'est le devenir, le passage, autrement dit le tout, pas la partie. Or un tel passage, une telle transformation sont toujours à la fois progressifs et faciles, on passe toujours progressivement d'un état agréable à un autre désagréable, d'un état paisible à un autre agité, etc. Et ce passage est nécessaire, donc naturellement facile au sens où il n'est nul besoin de le précipiter, de le brusquer. Dès lors, pourquoi vouloir de toute force précipiter la survenance, au demeurant inévitable, de l'agréable en minimisant le désagréable, tout aussi inévitable : à la montée succède la descente, au vent de face le vent de dos, au réchauffement le refroidissement, à l'exaltation la lassitude, etc. Voilà la sagesse : prendre conscience du caractère inéluctable du passage. Les Chinois, pour souhaiter un prompt rétablissement à un malade, disent 万寿无疆, wàn shòu wú jiāng, c'est-à-dire "encore dix-mille anniversaires". Et pour souhaiter le bon appétit, 慢用, màn yòng, "mangez lentement". Par où l'on retrouve l'un des préceptes les plus fondamentaux du taoïsme : "le Sage travaille à non-agir [无为wú wéi]" (Lǎo Zǐ, Lao Zi, §2). Ce qui correspond d'ailleurs aussi à un principe de la sagesse hindouiste : "le but [du yoga] n’est pas de bouleverser l’ordre de la Nature, mais d’écarter les obstacles à son évolution, à l’instar d’un cultivateur qui dégage son champ" (Patañjali, Yoga-Sûtra, iv, 3). Notons que ces formulations n'équivalent nullement à l'éloge d'un quiétisme contemplatif mais, tout au contraire, à une forme d'action, mais d'action sans effort, d'action qui s'inscrit dans la connaissance et le respect d'une nature que la vanité et l'arrogance occidentale prétendent forcer à tout prixComparons Descartes : "connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature" (Discours de la Méthode, VI) et Wittgenstein : "tu ne peux tirer sur la graine pour la faire sortir du sol. Tout ce que tu peux faire est de lui fournir chaleur, humidité et lumière" (Remarques Mêlées, 42).


La facilité et la lenteur peuvent être comprises comme des noms génériques que l'on donne à une myriade de sensations relatives au mouvement externe (kinesthésiques) et à l'état interne du corps (cénesthésiques), lesquelles sont relatives à la prise de conscience du processus d'accomplissement d'un ensemble de mouvements. Tandis que la vitesse et l'effort sont des absolus mathématiques : la vitesse moyenne est un rapport distance/temps, la vitesse instantanée la dérivée de ce rapport en un point donné, quant à l'effort, il se mesure par le produit d'une masse par le carré d'une vitesse (instantanée ou moyenne). Ces notions sont donc des abstractions que l'on peut comprendre mais non ressentir. De plus, elles n'ont pas de contraire : ce n'est pas parce qu'on diminue sa vitesse qu'on est dans la lenteur et ce n'est pas parce que son effort diminue d'intensité qu'on est dans la facilité. La preuve en est que, dans les deux cas, si ces modifications sont causées par un épuisement de notre énergie motrice, notre désagrément, loin de s'atténuer, a toutes les chances de s'accroître au contraire. Bref, comme nous ne maîtrisons rien, que nous n'avons aucune conscience (ou une représentation fausse, par exemple lorsque vous vous représentez, à l'instar de ce bon vieux Descartes, votre corps comme une mécanique, en l'occurrence, une horloge) du processus de notre épuisement, ou, pire, que nous ferons tout pour maintenir en vain effort et vitesse déclinants, nous n'agirons pas pour autant avec facilité et lenteur. À l'inverse, si nous nous nous sentons bien, même si nous augmentons progressivement notre vitesse en veillant à rester en-deçà du seuil de souffrance, en contrôlant notre souffle, en maîtrisant nos appuis, en restant à l'écoute de tous nos mouvements et de toutes nos sensations, nous allons prendre conscience d'une harmonie de notre être avec notre environnement et nous serons dans la facilité et la lenteur. Facilité et lenteur ne sont donc pas, à proprement parler, les contraires de l'effort et de la vitesse (qui sont, encore une fois, des absolus mathématiques) mais plutôt les résultats possibles du renoncement à l'intention d'optimiser à tout prix l'effort et de maximiser à tout prix la vitesse. Ce qui, en outre, n'a rien à voir avec une soit-disant recherche du plaisir mais découle de la simple prise de conscience de processus intra-corporels qui se trouvent entrer en résonance avec les conditions extra-corporelles de ces mêmes processus. Bref, facilité et lenteur supposent une harmonie, au sens musical du terme, un accord entre la terre qui est au-dessous de vous, le ciel qui est au-dessus de vous, et vous qui êtes entre les deux. Notons au passage qu'il n'y a pas la moindre religiosité dans la conception taoïste de la triade天(tiān)/人(rén)/地 (dì), ciel/homme/terre. C'est juste une vision du réel diamétralement opposée à la conception occidentale dominante (héritée de la Bible et de la Théogonie d'Hésiode). Cf. Zhuāng Zǐ : "le ciel et la terre furent engendrés avec moi et les dix-mille êtres ne font qu'un avec moi" ( Zhuang Zi, ii).  Cf. aussi Wittgenstein : "le je fait son entrée dans la philosophie grâce à ceci : que « le monde est mon monde » . Le je philosophique n'est ni l'être humain, ni le corps humain, ni l'âme humaine dont s'occupe la psychologie, mais c'est le sujet métaphysique, qui est frontière - et non partie - du monde" (Tractatus Logico-Philosophicus, 5,641).

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Ce qui n'exclut nullement la notion d'obstacle à contourner, de problème à résoudre et donc de difficulté à surmonter. Bien au contraire. Il y a même dans le Tao (dào), l'idée fondamentale d'une ouverture à l'altérité comme obstacle à franchir qui est celle d'un enrichissement par et dans les opposés. Au point que c'est dans le fait que 阴, yīn, s'oppose à 阳, yáng, que naît 一起,  yī qǐ, c'est-à-dire l'union, l'ensemble. On est là à dix-mille lieues de cette eau tiède de la tolérance (au sens occidental, c'est-à-dire religieux de ce terme), celle qui accepte l'obstacle faute de mieux (faute de pouvoir l'éradiquer). L'union par les contraires (et non malgré les contraires) connote une harmonie véritable qui confère à chaque pôle de l'opposition une même dignité. C'est la raison pour laquelle n'importe quelle activité physique pratiquée en dehors de tout esprit de compétition censé "tolérer" hypocritement l'adversité, peut donner un avant-goût de ce qu'est la sagesse taoïste : la fluidité, la lenteur, la quiétude sont une ouverture à l'inconnu, à la nouveauté, à l'imprévu (un paysage, une odeur, un être vivant, ...) lesquels peuvent, éventuellement, se révéler des obstacles à la progression du (de la) marcheur(euse). La sagesse consiste évidemment pour lui (elle) à respecter l'existence de cet obstacle, à en tenir compte dans son cheminement. À l'inverse, c'est folie de l'ignorer au vain motif de cet héroïsme tant vanté depuis trop longtemps et selon lequel "ça passe ou ça casse". Car la sagesse, au sens taoïste du terme réside précisément dans ce vécu de conscience bien spécifique qui consiste à se sentir présent à soi-même (sensations cénesthésiques) et au monde (sensations kinesthésiques), présence qui est LA réalité même. Pensons au sens du verbe "réaliser", to realize en anglais : quand on "réalise" quelque chose, on prend pleinement conscience de toutes ses implications, à l'intérieur comme à l'extérieur de soi. Et quand on "réalise" qu'on ne fait qu'UN avec la terre par nos pieds (et nos bâtons) et avec le ciel par notre tête, on "réalise" en même temps qu'on suit la Voie (道, dào), ou, si l'on préfère, qu'on est sur le bon chemin, celui de la paix, du vide, de l'unité. En l'occurrence, c'est cette présence à la réalité du chemin qu'il s'agit de réaliser quand on marche, réalité infiniment plus perceptible à travers la quadrupédie caractéristique de la marche nordique. D'où l'importance de la maîtrise du rythme, du souffle (气, qì), impossibles dans la précipitation et la souffrance caractéristiques de l'obsession de la vitesse. Tandis que la progression paisible de celui (celle) qui, par exemple en marche nordique, avec l'aide de ses bâtons, fait corps et âme avec la voie (道, dào), l'engagent à l'inspiration (气量, qì liàng) dans tous les sens du terme : maîtrise du souffle mais aussi, vagabondage de l'imagination, et prise de conscience de cette unité du marcheur avec son environnement.

Faire l'éloge de la facilité et de la lenteur, c'est donc primordialement célébrer l'unité indéfectible (一, yī) du réel, par opposition à la conception occidentale du réel tout à la fois atomistique (une pluralité d'entités réputées indépendantes) et substantiellement dualiste (ces entités doivent être rangées dans l'une de ces deux catégories : la matière ou bien l'esprit). Il existe, dans la plus ancienne tradition chinoise, un ouvrage vénéré comme l’un des piliers les plus solides de cette culture pluri-millénaire, c’est le Yì Jīng, littéralement "livre des mutations" (ou des changements, des transformations). La raison de cette vénération est qu’il commence par la phrase "un yīn, un yáng, voilà le dào". Autrement dit, la Voie (dào) est indéfectiblement celle qui mène d’un yīn à un yáng puis de ce yáng à un autre yīn, etc. À l’origine, yīn et yáng désignent respectivement l’ubac et l’adret d’une même colline, ce que rappellent leurs sinogrammes 阴 (colline + lune) et 阳 (colline + soleil). L’une des représentations les plus connues, notamment dans la culture occidentale, du yīn et du yáng est celle de taì jí tú (太极图, "la grande image"). La "grande image" est une représentation symbolique de l'unité des contraires : d’où que l’on parte sur la circonférence du cercle en procédant dans une direction ou dans l’autre, on rejoint asymptotiquement la couleur opposée à celle dont on est parti ; d’autre part, il y a toujours du noir dans le blanc et du blanc dans le noir, autrement dit, il n’y a pas de yīn pur ni de yáng pur. Pour autant, la logique de cette représentation est que cette unité du blanc et du noir ne réside pas dans le gris (le "juste milieu aristotélicien", fondement de l'idée occidentale de "tolérance" qui suppose un compromis, un arrêt des conflits) comme conciliation définitive des opposés, mais plutôt dans leur présence effective et successive, donc dynamique.

Quelles sont les conséquences pour la marche et la marche nordique en particulier ? D'abord il n'y a plus d'incompatibilité entre le physique et le mental : tout ce qui est physique devient mental et tout ce qui est mental devient physique, et ainsi de suite, perpétuellement. En ce sens, la marche nordique n'est plus une "activité physique" dès lors que le corps n'y est plus conçu comme un instrument au service d'un esprit doté de volonté d'atteindre un objectif mais c'est la Voie elle-même, le processus vital lui-même qui se spiritualise à travers la prise de conscience de l'unité du (de la) marcheur(euse) et de son environnement. Du coup, à la limite, ce n'est même plus une "activité" parce qu'une activité, c'est un moment dans la vie et un moment contingent, non-nécessaire. Or la marche nordique n'est pas un moment mais un symbole de l'unité de la vie : lorsque je marche et, a fortiori, lorsque je marche en étant relié à la Terre par mes quatre appuis et au Ciel par ma respiration calme et profonde, ma lenteur est présence au réel, absence de précipitation. La lenteur dans le cheminement implique cette aisance commune à toutes les sagesses, notamment au taoïsme ("qui marche sur la pointe des pieds perd l'équilibre et tombe à terre. Qui avance à grand pas s'essouffle vite et est dépassé" - Lǎo Zǐ, Lao Zi, §24) et au yoga ("l'ancrage [âsana] doit être stable et facile" - Patañjali, Yoga Sûtra, ii, 46). Faire l'éloge de l'unité (préoccupation que l'on retrouve aussi dans le yoga : "pour l[a] prévention [des perturbations mentales], la pratique d’une seule réalité [eka tattva abhyâsa]" - Patañjali, Yoga-Sûtra, i, 32) et faire l'éloge de la facilé et de la lenteur, c'est tout un.

Mais ce n'est pas tout : le terme chinois pour "marche", "randonnée", "promenade", etc. c'est 散步, sàn bù, littéralement "déplacement serein", "avance avec détachement", etc, mettant ainsi en relation la marche et le vide. Il y a donc là l'idée que la marche ne saurait être réduite à une simple "activité", a fortiori une "activité physique". La pensée chinoise (traditionnelle) la considère d'emblée comme une manière de concevoir la vie : un passage, un flux, un chemin, bref une Voie. Ce n'est pas par hasard que le mot chinois pour "Voie", 道 (dào), est composé de 辶 qui représente la marche et de 頁qui représente la pensée. Marche et taoïsme sont donc indissociables : vivre en suivant la Voie, donc en comprenant que la Nature (et donc, en particulier, notre nature) est à la fois une et fluide, c'est, en quelque sorte, vivre en cheminant. Par conséquent, faire l'éloge de la facilité et de la lenteur, c'est aussi faire l'éloge du vide. Pourquoi ? Comme nous l'avons déjà dit, "travailler à non-agir" [无为, wú wéi], c'est s'efforcer de suivre et, à l'occasion, d'indiquer la Voie (dào) qui est celle du ne-pas-trop (wú) : ne-pas-trop avoir, ne-pas-trop savoir, ne-pas-trop faire. Il ne s'agit, pour autant, de promouvoir ni la misère, ni l'ignorance, ni la paresse. Mais plutôt de constater que les êtres humains ont une tendance insatiable à accumuler : toujours plus de richesses, toujours plus de connaissances, toujours plus d'actions, et de les imputer à un centre imaginaire que la tragédie grecque puis la littérature occidentale ont beaucoup célébré : le "moi". Or, comme le dit Confucius, le Sage, à la limite, "n’a pas d’idée, pas de nécessité, pas de position, pas de moi " (Entretiens, IX, 4). Sauf que le vide taoïste, loin d'être un néant, est plutôt un ne-pas-trop (wú) dans le sens où la sagesse va consister, non à se complaire dans la vacuité mais dans un souci d'élimination, de délestage à l'égard d'un certain nombre de tendances qui, in fine, nous font souffrir dans la mesure où, d'une part, nous n'en maîtrisons pas les conditions (d'où déceptions, désillusions, amertume, etc.) et où, d'autre part, elles ne sont pas conformes au cours de la (de notre) nature (d'où maladies, traumatismes et mort prématurée). Comme l'avaient déjà souligné les sagesses grecques antiques (épicurisme, stoïcisme), un tel processus d'élagage conduit toujours, in fine, à se vider de ce "moi" idéal et fantasmé que nous nous forgeons comme un modèle auquel on s'évertue à conformer le réel à toute force pour le remplir d'objectifs de productivité inutiles dans le meilleur des cas, nuisibles dans le pire ! Que veut dire, dès lors, dans la pratique de la marche nordique, marcher en abandonnant son propre "moi" ? Comme nous l'avons vu, il ne s'agit pas de renoncer à la tâche de surmonter l'éventuel obstacle, donc aussi de renoncer à une certaine rapidité de réaction. Comme le dit Lǎo Zǐ, "parmi les hommes les uns marchent en avant et les autres s'attardent. Les uns ont un souffle léger, les autres une haleine puissante. Certains sont forts, d'autres faibles. Les uns renversent ce que d'autres ont bâti" (Lao Zi, §29), voulant dire par là que la lenteur n'est pas la lourdeur et que, à l'inverse, la légèreté est toujours vive, rapide. Dans une activité physique, la lourdeur consiste à se battre abstraitement contre le chronomètre, à désirer aller toujours plus vite, à se mouvoir dans la poursuite obsédante de la performance, du record. Tandis que la légèreté consiste, au contraire, en ce que nore souffle se confond avec "le grand souffle [气, qì] indéterminé de la Nature qui s’appelle vent [风, fēng]" dirait Zhuāng Zǐ (Zhuang Zi, iv). C'est alors que l'énergie (气, qì) circule librement de la Terre (阴, yīn) vers le Ciel (阳, yáng) au point même que le "moi" s'abolit. Il est dissous dans ce continuum, tout à la fois cheminement (la vie est un flux, on ne l'arrête pas, sauf à mourir) et incertitude (on ne sait jamais ce que l'on va rencontrer au détour du chemin). Le relâchement est total. Le vide est total. Le bienfait immense. Plus encore en marche nordique où la quadrupédie favorise la décontraction, l'abandon des tensions, le non-contrôle des sensations kinesthésiques (liées au mouvement) sans risque pour la coordination motrice et l'équilibre. D'une manière générale, "l'homme qui parcourt le monde en faisant le vide en lui, nul ne peut lui faire de mal" (Zhuāng Zǐ, Zhuang Zi, xx). On objectera que les sensations dont je prends conscience sont mes sensations, qu'elles sont nécessairement rapportées à un "moi". Sans entrer ici dans un long développement fastidieux, disons simplement que c'est bien notre habitus de pensée mais qu'il n'y a là nulle nécessité. On peut tout à fait considérer mes sensations comme des phénomènes naturels qui se manifestent ici et maintenant et on peut tout à fait, à l'instar d'un Wittgenstein ou d'un Descombes, penser les termes "moi" ou "je" non comme des pronoms mais comme des adverbes (cf. Conscience de soi, Connaissance de soi, Intentionalité et Identité). Précepte fondamental partagé aussi par l'enseignement du yoga : "le Yoga consiste à suspendre l’agitation psychique et mentale [yogas citta vritti nirodhah]. C’est alors que le Voyant [drashtu] est établi dans sa propre et véritable nature [svarûpe]. Autrement, il s’identifie aux mouvements des opérations mentales [vritti]" (Patañjali, Yoga-Sûtra, i, 2-3-4).

(à suivre ...)

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Marcher dans l'esprit taoïste, c'est donc enfin, de ce point de vue, se couler dans le processus naturel, être en paix avec lui. A contrario, le conflit, la guerre (战, zhàn) consiste à prétendre s'affranchir du cours de la Nature. Et comme le "moi" du marcheur est déjà dissous dans ce cours naturel, suivre la Voie, c'est aussi, d'une certaine manière, être en paix avec soi-même. Inversement, tenter d'aller contre-Nature, c'est toujours se faire du mal à soi-même. Je dois avouer que des expressions telles que, "se dépasser", "aller au-delà de ses limites", "apprivoiser sa propre souffrance", etc., autant de tics de langage proprement occidentaux, m'ont toujours laissé songeur. À la limite, je puis concevoir que celui ou celle qui croit en l'existence d'un paradis qui rédimerait dans l'au-delà les souffrances éprouvées ici-bas s'impose de telles souffrances, voire finisse par les "aimer" dans une forme finalement assez rationnelle de masochisme. Mais pour les autres ? Quelle peut bien être la motivation de celui ou celle qui, sous couvert d'"activité physique", voire de "meilleure santé" est en guerre contre soi-même ? Si, comme le pensent les taoïstes, nous n'avons qu'une vie, à quoi bon se la rendre volontairement pénible ? En chinois, pour se souhaiter une bonne santé, on dit 万寿无疆, wàn shòu wú jiāng, littéralement "encore dix-mille anniversaires". Vivre bien, c'est vivre longtemps. Alors pourquoi s'évertuer à écourter cette vie en s'imposant des efforts absurdes ? Et, corrélativement, comment s'étonner que celui qui ne respecte même pas sa propre vie, puisse se sentir concerné par celle d'autrui ? C'est pourquoi la seule manière de marcher qui soit compatible avec le dào, c'est la marche paisible, tranquille, sereine, c'est-à-dire pacifique : "celui qui sait marcher ne laisse pas de traces" dit Lǎo Zǐ (Lao Zi, §27), n'agresse, ne modifie ni ne marque rien ni personne. En marchant paisiblement, on est en paix avec 万物, wàn wù, tous les êtres. De plus, l'extraordinaire souplesse, la fabuleuse fluidité de mouvement qu'autorise cette forme de déplacement où l'on transfère, à l'aide de deux bâtons, sa force motrice alternativement de l'arrière vers l'avant et d'un côté vers l'autre faisant ainsi participer l'ensemble du corps au cheminement, voilà bien la meilleure illustration possible que l'on puisse donner de l'esprit du dào qui est donc aussi, me semble-t-il, celui de la marche nordique. Tout à la fois vide, unité et paix. Tout à l'opposé, on le voit, de ce fameux "esprit de compétition" qui a si bonne presse en occident, telle l’eau, le Sage ne s'imposant à rien ni à personne, imprègne tout lieu, y compris le plus improbable, de sa présence discrète : "la suprême vertu est comme l’eau. […] Elle occupe les lieux bas dédaignés des humains, en cela elle est proche de la Voie" (Lǎo Zǐ, Lao Zi, §8). Rappelons aussi l'importance de la non-violence (ahimsa) pour la pensée hindoue en général et, en particulier, pour l'enseignement du yoga :  "des pensées comme la violence [himsâ] etc. […] engendrent une souffrance et une confusion qui n’ont pas de fin. Méditer sur le contraire empêche cela" (Patañjali, Yoga-Sûtra , ii, 34).

Je voudrais terminer en insistant tout particulièrement sur la fonction du bâton dans la marche. On a tendance à comprendre l'appui sur un bâton comme une nécessité pour le vieillard de compenser sa sénescence (Cf. l'énigme que la Sphinge pose à Œdipe : "qu'est-ce qui a quatre pieds le matin, deux l'après-midi et trois le soir ?") : ne parle-t-on pas du "bâton de vieillesse" ? Mais alors, pourquoi le "bâton de pèlerin" ? Les pèlerins ne sont pas tous des vieillards. Et dans les civilisations nomades ? Pourquoi la déambulation s'accompagne-t-elle souvent d'un ou deux bâtons ? Pour ne rien dire de nos modernes randonneur(euse)s. En fait, les bâtons de marche ne sont pas des orthèses mais des instruments/organes. Je dis "instrument/organes" parce que, dans certaines langues, par exemple en chinois ou en grec, il n'y a qu'un seul mot pour désigner l'instrument et l'organe : ὄργανον (organon) ou 器 (qì), rappelant par là que l'instrument (pensez au pinceau du peintre ou au violon du violoniste) n'est que le prolongement "naturel" de l'organe biologique et non pas un redresseur de torts. Bref, marcher avec un (des) bâton(s) est aussi "naturel" que de manger avec des couverts ou boire dans un verre. Bien sûr, la forme de ces instruments/organes varie dans le temps et dans l'espace. Bien sûr, on peut aussi s'en passer (mais on peut aussi se passer d'un bras ou d'une jambe). Il reste ceci : leur utilisation vise le perfectionnement. En particulier, l'utilisation des bâtons dans ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui "marche nordique" perfectionne la marche. En quel sens ? Depuis toujours, nous avons conçu des moyens plus efficaces que la marche pour optimiser nos déplacements. Aussi, lorsque nous marchons, le déplacement n'est qu'une finalité marginale. En général, nous marchons pour nous sentir bien. Nous savons d'instinct que la marche va nous apporter détente, sérénité, délassement. Dans la langue chinoise, l'un des innombrables termes pour désigner la marche est 行 (xíng) qui signifie aussi accord, harmonie. C'est que la pensée chinoise traditionnelle conçoit l'existence humaine comme un chemin, une voie (道, dào) semée d'imprévus, d'embûches mais aussi de rencontres fastes. Aussi la sagesse nous commande-t-elle de favoriser notre cheminement, d'harmoniser notre progression en rendant nos membres le plus efficaces possible. Raison pour laquelle le bâton est un instrument/organe (sur)chargé de symbolisme : symbole de puissance (virilité, souveraineté), arme défensive éventuelle (on ne sait jamais), mais aussi, chez les taoïstes, 天地之间 (tiān dì zhī jiān), "intermédiaire entre le ciel et la terre", c'est-à-dire entre le lumineux et l'obscur, le lourd et le léger, le massif et l'éthéré, bref, le corps et l'esprit. Voilà pourquoi, lorsque nous marchons sans autre but que de marcher, nous nous sentons bien. Et voilà pourquoi, lorsque nous utilisons astucieusement une paire de bâton pour optimiser notre cheminement, et pour peu que nous renoncions aux absurdes injonctions de performance que nous dicte notre culture occidentale, nous nous sentons encore mieux. C'est que, comme le dit Zhuāng Zǐ, nous inspirons non seulement l'énergie (气, qì) qui vient d'en haut (l'air), mais nous nous nourrissons tout autant de l'énergie tellurique, celle qui vient d'en bas, à savoir la configuration et la contexture du sol qui se trouve sous nos pieds et auxquelles nos bâtons nous permettent de nous conformer avec une grande précision. Ce n'est pas pour rien que l'un des caractères chinois pour dire "bâton", c'est 棒 (bàng) qui signifie aussi "épi de maïs" et … "excellence" ! En effet, en marchant avec des bâtons, nous sentons que nous progressons vers l'excellence, 成道 (chéng dào), disent les Chinois.

Il me semble qu'il y a contradiction entre la pratique pluri-millénaire de la marche par l'humanité (la marche nordique n'étant qu'une forme particulière de marche) d'une part et, d'autre part, les notions d'effort et de vitesse. Depuis toujours, en effet, on marche soit pour se rendre quelque part (la marche est un moyen), soit pour éprouver un bien-être que l'on n'éprouve que dans et par la marche (la marche est un but en soi). Dans le premier cas, même si on hâte le pas, on renonce au moins à la vitesse, autrement, on emprunterait un traîneau, un cheval, une automobile, un TGV, etc., à tout le moins se mettrait-on à trottiner, voire à courir. Dans le second cas, on expérimente une manière d'exister consistant à se promener, à flâner, à se détendre, à rechercher une harmonie. Si la sagesse chinoise a inventé le 道, le dào, c'est-à-dire "la voie", "le chemin", c'est bien parce que la vie est un passage, la vie humaine un passage conscient et la longue vie humaine, un passage conscient et lent consistant, si possible, comme le dit l'expression chinoise 慢条斯理, màn tiáo sī lǐ, à "tracer un chemin sans nous y brûler". D'ailleurs, le sinogramme 道 (dào) est composé de deux caractères : 辶 qui représente la marche et頁qui représente la conscience. Et le terme chinois pour "promenade" s'écrit 散步 et s'énonce sàn bù, littéralement "parcourir avec détachement". Ce qui suggérerait que la marche n'est pas essentiellement ce qu'on appellerait une "activité physique" au même titre que le tennis, le cyclisme ou le water-polo, mais plutôt une manière de vivre en harmonie avec le monde. Je dirai donc que marcher n'est pas une activité mais une conception (plutôt orientale, il est vrai) de la vie et que marcher avec des bâtons ("marcher nordique") n'est pas un sport mais une éthique de la souplesse, de la fluidité, de l'abandon du "moi", de la paix, de l'accord avec la nature. Raison pour laquelle, nous dit Lǎo Zǐ, le (la) marcheur(euse) ne laisse pas de traces : il (elle) communie corps et âme avec son milieu, il (elle) ne se fait pas remarquer, il (elle) ne détruit rien, ne bouscule rien (ni personne). Il (elle) est simplement 自由自在 (zì yóu zì zài), facile, insouciant(e), à l'aise, naturel(le), disponible, ouvert(e). Ou encore, 逍遥游 (xiāo yáo yóu), il (elle) musarde calmement et longuement comme s'il (elle) nageait. Nous voici donc revenus à l'origine de la marche et, comme le dit encore Lǎo Zǐ "revenir à l'origine c'est être en repos ; être en repos c'est revenir à la vie ; revenir à la vie c'est être constant ; être constant c'est être éclairé" (Lao Zi, §16) : Depuis la nuit des temps, la marche complétée par l'usage d'un ou deux bâton(s) est une nécessité vitale pour les civilisations nomades. Et pour les sédentaires, elle est restée le symbole du cheminement tortueux et incertain de l'existence : toute la pensée chinoise de la Voie (道, dào) est contenue dans ce symbolisme. On remarquera la ressemblance frappante entre les sinogrammes 道, dào (voie), 逍, xiāo (flâner) et 遥, yáo (au loin). Par ailleurs, le composant graphique 辶 qui représente la marche est l'un des cinq qui, dans l'écriture chinoise, connotent l'idée de cheminement. Ensemble, ces cinq radicaux entrent dans la composition de plusieurs centaines de sinogrammes. Voilà pourquoi la sagesse y est toujours représentée sous les traits d'un vieil homme qui médite en se promenant ou en voyageant appuyé sur son bâton. La marche avec bâton(s) ne fait que réactiver ce vieil atavisme. C'est ce qui en fait la grandeur.
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