La vérité est une puissance qui s'actualise dans une histoire, des histoires - l'histoire, peut-être, in fine. Son contenu est dynamique. Au niveau le plus prosaïque : j'ai promis d'aller faire les courses mais je me suis fait renverser par une voiture. J'avais l'intention de, j'y allais, mais j'ai été empêché : j'en rends compte. Je dis la vérité. Et si j'invente une histoire pour cacher que j'avais la flemme d'y aller : je mens, je ne dis pas la vérité. Je ne peux donc pas réduire la vérité à un contenu, chaque contenu, chaque vérité particulière ne constitue qu'un moment dans le développement de relations et de dialogues où intervient ce critère de vérité, où intervient cette puissance. Ce "dynamisme" s'observe non seulement dans le développement de la vie, des actions réalisées (racontées : histoires, donc), mais aussi dans le développement des pensées elles-mêmes, de l’exploration des motifs de l'action, des questions de valeur, etc. "J'ai fait ceci parce que cela". Or le développement des motifs est quasiment indéfini. Que faut-il faire ? Qu'est-ce qui est bien ? En général et dans chaque cas. Et comment le déterminer ? "Tu n'aurais pas dû faire ça". "J'aurais mieux fait de..." C'est toujours une limitation qui nous amène à prendre une décision ferme, comme celle d'aller faire les courses - et où, et comment, et pour acheter quoi, et ne vaudrait-il pas mieux changer de vie ? Le plus souvent nous ne nous posons pas ces questions, la volonté de.. s'impose comme une évidence selon les informations dont nous disposons - le frigo est vide, ma femme n'aura pas le temps de s'en occuper - et selon nos constitutions, désirs, etc. Mais des brèches s'ouvrent parfois. Et nous sommes capables d'en parler. Un Socrate ou une grand-mère peuvent nous interpeler sur le sens de ce que nous avons fait et de ce que nous allons faire. Et c'est bien tout l'enjeu de la vérité si nous allons au bout de la logique de ce critère. Ce que nous faisons a-t-il un sens ? Quel est ce sens ? Je repense à l'enfant qui gribouille sur une feuille de papier. Lorsqu'il répond à la question "que dessines-tu", dès lors qu'il s'applique à faire ce qu'il a dit, il entre dans ce processus qui tend à ce que les actes soient ordonnés en vue d'une fin, mais d'une fin énoncée, qui est donc en fait au départ de l'entreprise. Un fil est tendu entre l'origine et la fin, et entre, il lui reste à ordonner ses actes. Qu'ils aient un sens, autrement dit. Voilà ce que le critère de la vérité implique pour l'homme à son extrême rigueur. Quel est le sens de sa vie. Peut-il le découvrir, l'affirmer, s'y conformer ? Peut-il vivre dans la vérité, dire et savoir ce qu'il fait ? Peut-il découvrir les motifs de son action, peut-il les réfléchir, les critiquer, les transformer ? Voilà le potentiel humain que la vérité interpelle : la responsabilité.