le morosophe a écrit: Les Grecs, comme tous les peuples, accordaient une très grande importance au rituel et au tabou. Enfin... en l’occurrence, à la piété et l'impiété, l'eusébeia et l'asébeia.
Ce que je veux dire est qu'il n'y a pas pour autant "d'anti-religieux" (les termes sont bien "asébeia" et "atheos", et non "antisébeia" et "antitheos"), et l'impiété et l'athéisme, aussi graves soient-ils, n'avaient rien d'un "Mal métaphysique absolu".
Ça reste confus. Ce que vous voulez dire, c'est que la religion des Grecs n'est pas exclusive de la religion des autres, ce qui est exact. Les religions polythéistes ont toujours été beaucoup plus ouvertes et réceptives que les religions monothéistes. Mais attention à l'histoire et au vocabulaire, encore une fois. Diagoras de Mélos, en se déclarant
athée, ne se déclare pas incroyant, il rompt son commerce avec les dieux. Or, c'est cela, la piété, dans l'antiquité gréco-romaine : le commerce (au sens de relation) avec les dieux. Être accusé d'impiété ou d'athéisme, ce qui est d'une gravité extrême en Grèce, j'y insiste, c'est être accusé d'avoir rompu toute relation avec les dieux, de vivre sans eux (vanité des vanités : hybris, encore...) de les négliger, de ne pas les respecter.
Le "mal métaphysique absolu..." : il ne peut pas y avoir de mal métaphysique absolu, pas plus chez les chrétiens que chez les Grecs. L'être, en soi, ce n'est ni bien ni mal. Ça n'a aucun sens pour les Grecs, pour qui il ne peut y avoir de mal
radical (à la racine), puisque ça impliquerait de disqualifier l'être, le monde lui-même. Mais chez les chrétiens, vous occultez complètement certains "détails". S'il y avait un mal radical, c'est Dieu qu'il faudrait remettre en cause (et c'est du reste ce que fit Voltaire après le tremblement de terre de Lisbonne en 1755, pour condamner un dieu insensible, incapable d'empathie, comme dit le vulgaire aujourd'hui). Vous occultez complètement 3 choses conjointes : le péché originel (la chute), le libre-arbitre, la rédemption. Je vous passe les détails de toute la littérature jésuitique à ce sujet, celle des juristes espagnols en particulier. Le problème des extrémités du christianisme est un problème théocratique. Quand religion et politique se mêlent, les résultats sont toujours catastrophiques. Enfin, comptez le nombre d'ordres et de sous-ordres religieux, notamment pendant le moyen âge, vous verrez que le christianisme, pour n'être pas aussi "ouvert" que le polythéisme, est d'une très grande souplesse. Les alliances politiques sont le premier facteur de la zizanie. On le verra avec la Réforme et la Contre-Réforme.
le morosophe a écrit: Ce que je "dénonce" (c'est un grand mot) est la mauvaise image donnée des dieux et de leur rapport à notre chère "morale". Quelques mots au sujet du non-manichéisme de la pensée antique n'auraient pas été de refus... au lieu de quoi on se retrouve avec des "côtés obscurs des dieux" (sic) agrémentés de "paganisme"(sic) et de "superstition"(sic). Si on y rajoute les innombrables allusions aux sacrifices sanglants, on est presque en droit de se demander si le Vatican n'a pas financé ce reportage !
L'inquisition appartient au passé, je sais, mais il y a encore des tonnes de catholiques qui aiment se faire peur et se rassurer dans leurs convictions en voyant à quel point le paganisme c'est maaaal... et il n'est pas impossible que ces derniers soient le principal public visé...
Vous ne visez pas la bonne cible : le christianisme puritain et conservateur des américains n'est pas le tout du christianisme. Le Vatican, que je sache, ce n'est pas Hollywood. C'est le cinéma américain qui a outrancièrement simplifié, jusqu'à des caricatures ridicules, certains aspects du "paganisme" (qui le fascine, du reste), et comme la BBC (qui propose par ailleurs beaucoup de bons reportages), relaie la chose, elle est souvent financée par des producteurs américains.
le morosophe a écrit: c'est bien une moralité qui place l'individu uniquement face à ses actes et aux conséquences qu'ils auront, et non au centre d'une lutte cosmique du bien contre le mal.
Présenté ainsi ça ne convient pas. Les Grecs n'ont pas une conception dualiste du monde. C'est Platon qui en conçoit une et qui prépare ainsi le christianisme. Il ne peut évidemment pas y avoir de lutte cosmique entre le bien et le mal chez les Grecs. Mais chez les chrétiens, la chose n'a jamais été centrale, importante, obsessionnelle. Ça l'est au cinéma, pas dans la réalité des Églises chrétiennes. L'œcuménisme y a une place beaucoup plus importante, pour des raisons politiques le plus souvent, ce qui implique une certaine duplicité. Et surtout, l'Église romaine a une prétention à l'universalité. Le bien, le mal, c'est pour les campagnes militaires qu'on prépare contre des ennemis qui représentent un danger imminent : les Ottomans par exemple, aux XVIe-XVIIe siècles, mais c'est surtout pour les Américains, qui ne sont pas dans le secret des subtilités transcendantales de la nature divine, sans quoi, justement, ils ne raffoleraient pas du bien et du mal (mal qui a toujours fantasmatiquement presque le même pouvoir que le bien, chez eux - mais, comme le rappelait Schmitt, la politique se définit d'abord par la distinction entre amis et ennemis...).
Quant au manichéisme réel, historique, son succès fut de très courte durée en Europe, et son implantation très fragile. Pourquoi croyez-vous qu'il fut éradiqué aussi efficacement bien avant la fin de l'empire romain par l'Église romaine ? C'est surtout en Asie centrale et en Chine qu'il s'est (un peu) développé. Il a refait surface chez nous au XXe siècle à l'occasion du nazisme et de la guerre froide. Ça reste un épiphénomène, de toute façon.