Liber a écrit: Vous devriez inverser votre rapport à la nature, c'est en effet elle qui nous rend parfaits. L'art est la vie, non le contraire qui serait la science (et pour ne pas tomber dans une vision figée de l'Etre avec une majuscule !).
Je n'oppose absolument pas la science à la nature, la perfectibilité rousseauiste n'est pas la même chose que la confiance dans un progrès nécessaire et irréversible. C'est une "dénaturation" perpétuelle (même s'il n'y a pas en réalité de nature originelle) qui peut viser le meilleur comme le pire au travers du savoir, des pratiques, etc., qui font notre milieu, celui-ci façonnant notre rapport au monde et à nous-mêmes. La culture a certes une fonction stabilisatrice (elle institue un monde où l'on peut habiter) mais elle est aussi encline à la création, et en cela se confond avec la nature comme chaos, création de formes et indétermination. Je ne crois pas qu'on puisse totalement séparer le domaine de création des formes (culture) du principe qui le sous-tend (chaos, force). Mais étant donné que nous ne pouvons sortir de notre condition humaine, puisque le monde est donné et existe socialement, on ne peut pas croire à un état antérieur dans lequel l'homme serait parfait. Par contre, nous avons tendance à occulter la dimension créatrice et le chaos qui sont au sein même de la société, qui sont la société à un certain niveau. Il y a bien un refoulement des forces vitales, créatrices et de notre participation à ces forces qui nous constituent, mais si le mérite de Nietzsche est de les avoir décelées elles ne doivent pas être considérées comme des entités d'un ailleurs improbable (arrière-monde), elles sont un dehors constitutif et coextensif du dedans (visible, dicible, forme, vérité, etc.), elles ne sont pas en extériorité par rapport à nous. Nous sommes ces forces, leur incarnation. Mais cette réalité fondamentale, logée au cœur du social, me semble opposée à cette nature que Nietzsche voit certes comme amorale, cruelle, féconde, généreuse (donc chaos, création et destruction, etc.) et qui existerait hors de la société. La "nature" est déjà dans la culture, elle est déjà cette culture, ou si vous voulez la culture est la seule nature de l'homme (transcendance, auto-transformation, auto-institution) puisque la société pour exister fait surgir nécessairement des formes contingentes reposant sur un sans-fond primordial. L'homme est obligé de s'inventer, de risquer sa liberté pour dépasser ses besoins primaires. Il est un être de fiction qui donne des contours au réel, il invente même à chaque époque sa propre vérité. La "nature" est la matière du monde humain, et au-delà des limites de celui-ci il y a le pur chaos, l'inconnaissable, l'asensé, ce qui n'est justement pas circonscrit dans les limites de la société, même si le chaos est en même temps le fondement de celle-ci, son énergie, son matériau. Par ailleurs, je ne vois pas d'autre perfection que ce qui est et devient autre, se dépasse, se transforme, s'altère. La perfection de la nature serait quelque chose de figé, d'irréel, une Idée. A moins que cela soit l'animal, mais il survit, il ne devient pas, il ne s'invente pas, il n'est pas ouvert à un monde de significations, il ne configure pas un monde. Mais même chez Nietzsche, le type d'homme valorisé est une forme de vie humaine qui s'autodéfinit par sa culture, par exemple le guerrier, qui peut par là être plus en phase avec la vie (plus animal), et non pas un "bon sauvage" (ce qui est un mythe, ça n'a jamais existé, il n'y a pas d'homme en soi premier, l'homme même dans la préhistoire vit avec les autres, pratique des rituels, crée et utilise des outils, etc., qui font son monde et sa relation à l'être, à la réalité la plus basique, la présence du monde la plus incontournable). Voilà, ce n'est pas une pensée définitive, mais j'essaie d'aller au bout de mon raisonnement.