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L'influence des langues dans la formation des concepts philosophiques.

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4 participants

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Liber a écrit:
Vous devriez inverser votre rapport à la nature, c'est en effet elle qui nous rend parfaits. L'art est la vie, non le contraire qui serait la science (et pour ne pas tomber dans une vision figée de l'Etre avec une majuscule !).
Je n'oppose absolument pas la science à la nature, la perfectibilité rousseauiste n'est pas la même chose que la confiance dans un progrès nécessaire et irréversible. C'est une "dénaturation" perpétuelle (même s'il n'y a pas en réalité de nature originelle) qui peut viser le meilleur comme le pire au travers du savoir, des pratiques, etc., qui font notre milieu, celui-ci façonnant notre rapport au monde et à nous-mêmes. La culture a certes une fonction stabilisatrice (elle institue un monde où l'on peut habiter) mais elle est aussi encline à la création, et en cela se confond avec la nature comme chaos, création de formes et indétermination. Je ne crois pas qu'on puisse totalement séparer le domaine de création des formes (culture) du principe qui le sous-tend (chaos, force). Mais étant donné que nous ne pouvons sortir de notre condition humaine, puisque le monde est donné et existe socialement, on ne peut pas croire à un état antérieur dans lequel l'homme serait parfait. Par contre, nous avons tendance à occulter la dimension créatrice et le chaos qui sont au sein même de la société, qui sont la société à un certain niveau. Il y a bien un refoulement des forces vitales, créatrices et de notre participation à ces forces qui nous constituent, mais si le mérite de Nietzsche est de les avoir décelées elles ne doivent pas être considérées comme des entités d'un ailleurs improbable (arrière-monde), elles sont un dehors constitutif et coextensif du dedans (visible, dicible, forme, vérité, etc.), elles ne sont pas en extériorité par rapport à nous. Nous sommes ces forces, leur incarnation. Mais cette réalité fondamentale, logée au cœur du social, me semble opposée à cette nature que Nietzsche voit certes comme amorale, cruelle, féconde, généreuse (donc chaos, création et destruction, etc.) et qui existerait hors de la société. La "nature" est déjà dans la culture, elle est déjà cette culture, ou si vous voulez la culture est la seule nature de l'homme (transcendance, auto-transformation, auto-institution) puisque la société pour exister fait surgir nécessairement des formes contingentes reposant sur un sans-fond primordial. L'homme est obligé de s'inventer, de risquer sa liberté pour dépasser ses besoins primaires. Il est un être de fiction qui donne des contours au réel, il invente même à chaque époque sa propre vérité. La "nature" est la matière du monde humain, et au-delà des limites de celui-ci il y a le pur chaos, l'inconnaissable, l'asensé, ce qui n'est justement pas circonscrit dans les limites de la société, même si le chaos est en même temps le fondement de celle-ci, son énergie, son matériau. Par ailleurs, je ne vois pas d'autre perfection que ce qui est et devient autre, se dépasse, se transforme, s'altère. La perfection de la nature serait quelque chose de figé, d'irréel, une Idée. A moins que cela soit l'animal, mais il survit, il ne devient pas, il ne s'invente pas, il n'est pas ouvert à un monde de significations, il ne configure pas un monde. Mais même chez Nietzsche, le type d'homme valorisé est une forme de vie humaine qui s'autodéfinit par sa culture, par exemple le guerrier, qui peut par là être plus en phase avec la vie (plus animal), et non pas un "bon sauvage" (ce qui est un mythe, ça n'a jamais existé, il n'y a pas d'homme en soi premier, l'homme même dans la préhistoire vit avec les autres, pratique des rituels, crée et utilise des outils, etc., qui font son monde et sa relation à l'être, à la réalité la plus basique, la présence du monde la plus incontournable). Voilà, ce n'est pas une pensée définitive, mais j'essaie d'aller au bout de mon raisonnement.

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Silentio a écrit:
Mais même chez Nietzsche, le type d'homme valorisé est une forme de vie humaine qui s'autodéfinit par sa culture, par exemple le guerrier, qui peut par là être plus en phase avec la vie (plus animal), et non pas un "bon sauvage".

Ce n'est pas du tout l'intention de Nietzsche de comparer le guerrier, mettons dorien ou même aryen, avec un animal. Vous pensez sans doute à un animal à cause de la libération des instincts, dont le refoulement dans le cadre de l'État a créé la "mauvaise conscience". Si Nietzsche parle de "morale aristocratique", c'est bien qu'il y a déjà une humanité constituée, son idée étant de prendre à revers la tradition socratique qui met l'homme bon au-dessus de l'homme méchant. Mais le guerrier qui descend des steppes pour déferler sur la Grèce y imposer son ordre nouveau n'est pas du tout un méchant sauvage ! Disons que sa vertu principale est de ne pas craindre la violence, et de savoir en faire quelque chose. Nietzsche prétend la retrouver jusque chez Périclès (grâce à l'atavisme) et lui en fait un mérite. A cela, j'ajoute que nous savons par de multiples témoignages archéologiques que ces invasions brutales sont un mythe inventé au XIXème siècle. Comme je l'ai déjà dit à de multiples reprises (pardon de me citer à nouveau), Nietzsche est véritablement préoccupé par l'atavisme, il est à mille lieues de penser à une opposition nature/culture qui ne l'intéresse pas. Quand il parle de l'homme dans la nature, il reprend les thèses de Darwin sur l'évolution, par exemple dans ce passage de la Généalogie, où il ironise sur cette créature qui s'est mise à marcher, a inventé l'État, mais qui (perspective nietzschéenne) a laissé tant d'espoirs inaboutis. Donc, l'homme à l'état de coraux ou de reptile, ensuite le singe, deux choses que Rousseau n'aurait jamais conçues, puis le guerrier grec, l'âge d'or d'Hésiode, et enfin l'Européen moderne, "l'avorton sublime". Mais jamais Nietzsche ne s'intéresse à ce passé animal de l'homme autrement que pour prêcher ou ironiser (du reste, une forme du discours utilisée également dans le prêche), du genre "Regardez-vous, vous êtes encore plus singes que les singes !" Pareil à Gœthe, le singe ne lui inspire que de l'indifférence. Il aurait pu dire avec lui que si les singes avaient su s'ennuyer, ils seraient devenus des hommes.

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Sur le fond nous sommes à peu près d'accord. Nietzsche privilégie néanmoins les vagues ou moments dionysiaques de l'histoire, celles des barbares par exemple, qui apparaissent soit avant la civilisation soit viennent la mettre à mal et régénérer l'homme en libérant ses instincts. Ce qui lui fait parfois valoriser la bête blonde ou le satire. Mais il est certain que Nietzsche ne s'oppose pas à l'homme spiritualisé (si je peux utiliser une telle formule) puisqu'il valorise le philosophe, par exemple, notamment celui à venir, et s'intéresse aux apports de la chevalerie. On peut aussi rappeler que sa période préférée est la Renaissance où se côtoient les plus beaux instincts de la plante-homme maîtresse dans sa forêt luxuriante, à la fois civilisé (produisant les plus beaux édifices, mettant son énergie au service des idéaux les plus nobles) et spontané, impulsif, ayant libéré la vie en lui, acceptant son animalité, sa violence, le jeu, s'affirmant dans les rapports de force, manifestant sa force et sa confiance en lui-même et dans le monde (c'est d'ailleurs une époque de forte activité politique contre les coutumes qui elles-mêmes permettent pourtant un certain cadre de vie qui produit cette confiance et ce type d'homme potentiellement offensif, jouisseur, sûr de lui, inventif, etc., homme de virtù qui sait profiter du bon moment, se rendre maître autant que faire se peut de la fortuna).

Je n'ai pas dit que Nietzsche voulait faire de l'homme une bête (mais c'est ce que craignent certains commentateurs et ce qu'on pourrait craindre si l'on ne prenait Nietzsche que comme un libertaire et un hédoniste), mais il souhaite nous réconcilier avec notre part d'animalité, nos instincts, parce qu'il sait aussi que c'est le "mal" qui produit de belles plantes, de terribles monstres qui seront les futurs génies de demain qui imposeront leur volonté au monde et deviendront des législateurs de nouvelles tables de lois, des pères fondateurs que l'humanité reconnaîtra comme de grands hommes. Mais cela mène souvent Nietzsche à critiquer violemment la civilisation (et son mythe, au sens de la civilisation comme incarnation du progrès moral) en lui opposant une nature qui peut revêtir une dimension mythique elle aussi. Parfois il s'agit de nous rappeler que nous ne sommes pas aussi parfaits que nous le pensons, que nous sommes des animaux inadaptés et débiles (alors que nous avons la malédiction et l'opportunité d'avoir développé par hasard une anomalie qui nous définit et nous pousse à sortir de nous-mêmes, à nous définir sans cesse par nos propres moyens et des médiations pour pallier un écart au monde qui nous le rend étranger et hostile : un esprit, une conscience de soi, et que nous pourrions en faire quelque chose de grand au lieu d'en rester à notre confort insipide qui amenuise nos forces) et que nous sommes des animaux créateurs, menteurs par nécessité, inventeurs de fictions parce que nous avons besoin de cela pour pallier notre faiblesse et vivre, assurer notre confiance, etc.

D'autres fois, cela frise l'apologie romantique de la nature, alors même que Nietzsche vise un certain réalisme, surtout lorsqu'il se moque de l'homme et lui oppose la nature dont il faudrait s'inspirer et retrouver le sens (son oubli étant à l'origine des prétentions de l'homme et du refoulement des instincts dans un processus de civilisation - pour reprendre l'expression du sociologue Elias). Je ne dis pas, cependant, que l'intention de Nietzsche est de retourner à un hypothétique état de nature ou de fonder une Arcadie pleine de satires, etc. Pan n'apparaît pas dans sa mythologie. Mais vouloir retrouver et libérer la vie en l'homme exige de mettre ce dernier et la civilisation, l'ordre légitime, face à leurs contradictions, de sorte qu'il faut inventer une nature comme miroir du monde formé par les activités et valeurs humaines. Et c'est là où la fiction purement instrumentale, stratégique, de la "nature", censée ramener l'homme à la réalité, risque parfois de nous faire croire en sa propre réalité. Ce pourquoi on peut se demander s'il s'agit uniquement d'une métaphore ou s'il reste chez Nietzsche des croyances propres à son époque et dans quelle mesure il s'en défait ou non. Nous savons tout de même qu'en dépit de ses géniales intuitions, il reste dépendant d'illusions romantiques ou encore de savoirs scientifiques d'alors et parfois périmés.

Mais chez Nietzsche il faut comprendre la civilisation elle-même comme la guerre de tous contre tous que l'on pourrait croire éradiquée et réservée à la nature et aux désirs qui y règnent et s'y combattent. La civilisation a besoin de se masquer sa propre nature pour maintenir un ordre social prétendument pacifié et les rapports de domination qui contribuent à son unité. Or la guerre continue au sein même de la société. Nietzsche y privilégie les prédateurs, les bêtes de proie. C'est seulement au travers des grands hommes, ceux qui sont aptes à commander et à dominer, que l'homme peut se réaliser en tant que tel, c'est-à-dire se dépasser, sortir de son animalité, car seulement ainsi il peut avoir la force et la volonté de réaliser ses projets et par eux de se transformer lui-même selon sa volonté et de transformer son monde. C'est d'ailleurs tout le problème de l'égalité démocratique et du travail de maintenir l'homme dans sa condition animale afin que le troupeau assure sa propre conservation et se berce d'illusions (la prétendue humanité, les droits de l'homme, la supériorité morale, etc.).
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