jean ghislain a écrit: Il est alors permis d'entrevoir la vérité du côté du raisonnement juste. Mais l'adéquation d'une idée avec la réalité, comme le définit Descartes pour ce qui est de la vérité, ne tient pas quand on pense que les choses réelles ne sont connaissables que par les sens et que les sens nous trompent parfois.
Je trouve étrange cette idée que nos sens nous trompent, premièrement, et ensuite j'interroge la tendance qu'on a souvent à les "renier", les mettre à l'écart, les dévaloriser sous prétexte qu'ils ne sont pas 100% fiables.
La première chose étant que nos sens ne nous trompent pas, ils font plus que ça, ils construisent la réalité dans laquelle nous évoluons. Car ce qui nous entoure, et la physique comme la chimie y font face tous les jours, n'a pas de forme en dehors de celle que lui donnent nos sens, notre observation. Chaque singularité renferme en elle-même quantité de singularités, et à la fois tout est lié au reste. C'est quelque chose d'observable par le microscope, comme le télescope, et même à notre niveau dans la vie quotidienne. Nos sens ne font pas que restituer le monde, ils le construisent en tant qu'objet sensible. De plus, pour pouvoir dire qu'ils nous ont trompé à un moment, n'est ce pas qu'ils sont sortis de cette illusion ensuite, sans quoi nous n'en n'aurions jamais eu conscience ? Mais l'illusion n'est-elle pas l'illusion ? Si je vois une oasis alors que j'erre dans le désert, le désespoir disparaît un instant, la chaleur de même en même temps qu'un regain d'énergie s'empare de mes jambes et que je cours dans sa direction. Cette oasis est alors une réalité tangible, effective. Si, alors que je m'en approche, il m'apparaît que j'ai été trompé et que ce n'était qu'un mirage, ce que je qualifie d'illusion n'est que le décalage entre deux réalités tangibles. Une rupture dans la continuité et même plus, une contradiction, deux réalités sensibles s'excluant l'une l'autre. Le rêve répond également à cette dynamique d'une rupture de la continuité. Alors est-ce une illusion, ou faut-il changer de continuum de référence, pour un continuum qui ne se rompt plus ? Faut-il discréditer une de ces réalités effectives en faveur d'une autre, et si oui selon quels critères, et avec quelles justifications ? N'est-il pas possible qu'il faille au contraire changer de profondeur dans l'approche qu'on a du monde, de manière à ce qu'il y ait continuité et donc logique, et pouvoir ?
Également, penser que nos sens nous trompent d'une manière générale c'est imaginer un monde qui serait toujours celui des sens en dehors des sens. Voyez-vous ce que je veux dire par là ? (Je m'excuse si ma réflexion est pauvre en vocabulaire et que sa clarté en souffre peut être... j'espère que sa valeur n'en est pas trop affectée...)
Et le philosophe, ne serait-ce que par son activité philosophique même, n'est-il pas forcé de reconnaître que l'intelligence, la morale, la raison (à moins qu'on ne considère la raison précisément comme ce qui nous soustrait à l'illusion ? Est ce le cas ?) sont à l'origine de bien des illusions elles aussi. Et pourtant ne leur fait-il pas crédit ?
S'il est si difficile de définir la vérité, il paraît plus simple de reconnaître ses erreurs ou illusions sur les choses. Car la réalité nous rattrape souvent pour nous rappeler que nous prenons trop nos désirs pour des réalités, ou que nous nous sommes trompés sur un point, ou encore que nous nous complaisons dans notre monde d'illusions. Quand il nous est apporté la preuve de nos erreurs, il vaut peut-être mieux les reconnaître pour pouvoir avancer, même si ces vérités vont contre notre volonté. Certes l'illusion peut être salutaire dans les traumatismes (le déni) mais l'homme doit avoir le devoir de vérité au moins envers lui-même, ne serait-ce que pour ouvrir les yeux sur sa propre vie, condition nécessaire pour au moins se situer, prendre conscience de sa situation.
Je suis d'accord, dans le sens où prendre conscience de sa situation n'est pas une fin en soi, mais souvent une étape nécessaire vers un devenir plus complet.
Pour revenir sur la conversation, car ce post m'intéresse beaucoup, j'aimerais savoir si la dépréciation de la valeur des sens en faveur de celle de l'esprit qui est faite dans le cogito de Descartes incombe au dualisme platonicien. N'est-ce pas ce qui se cache derrière ce "choix" ?
N'est-il pas temps que l'esprit renoue avec le corps, et prenne conscience que la raison, l'idéel n'ont de valeur qu'en tant qu'ils permettent de sublimer la matérialité, de la révéler, d'y attribuer de la valeur, plus précisément ? Que lorsque l'esprit dévalorise la matière il s'ôte lui-même toute valeur et qu'au contraire, quand il prend toute la mesure et la valeur des sens, il s'élève lui-même et retrouve son "sens" ?
Ce qui permet à l'esprit critique de se détacher des opinions qui ne sont pas indubitables à un moment pour les questionner, n'est-ce pas la valeur qu'il donne à ses sens, à ce qu'ils lui rapportent et qui se trouve parfois en contradiction avec les discours d'autrui ? N'est-ce pas eux qui font qu'on trouvera ailleurs bien plus de valeur au discours d'un autre ?
Ce que je veux dire par là c'est que la vérité est là, quoi qu'il en soit, elle nous habite et s'offre toute nue à notre regard, elle est effective en permanence. C'est ensuite qu'elle est manipulée, transformée, divisée, etc., par le système politique langagier qui l'exploite, l'organise, et produit de la conscience. Alors, dans quelle situation est-il préférable de prendre conscience de la vérité ? Et bien quand cette prise de conscience nous amène à plus de pouvoir, à plus de puissance, d'après moi. C'est ce qui motive et structure l'élaboration d'outils et de méthodes pour questionner le réel je crois.