broceliand a écrit:Je dirais que ce qu'illustre l'exemple d'Antigone est plus exactement l'idée de "droit naturel" qui sous-entend celle d'origine "naturelle" ou innée de l'idéal éprouvé originairement par l'être humain, mais pas tant au plan de la justice que celui de la liberté individuelle. Par son refus de se soumettre à cette décision relevant de l'arbitraire d'un gouvernant, qu'elle considère irrespectueux de la dignité humaine, Antigone donne l'exemple d'un acte de rébellion motivé par un impératif que, selon elle, aucune loi humaine ne pouvait transgresser, considérant que le respect dû à la dépouille de son frère relevait d'un ordre supérieur, ayant le rang de valeur spirituelle, de type divin. (Certains pourront toujours ensuite, pour discréditer la justice et s'exonérer de toute obligation morale ou devoir, prétendre que ces valeurs résulteraient de manipulations...)pensez à Antigone qui n'hésite pas à enterrer son frère Polynice contre l'avis et surtout le décret de son oncle Créon : elle dit suivre une loi "immuable non écrite dont personne ne connaît l'origine")
Ceci dit, je doute fort qu'un enfant soit en mesure, par lui-même, de "ressentir LA justice", ce qui aurait d'ailleurs plutôt le statut d'une idée abstraite et universelle que d'un sentiment. Qu'il soit intellectuellement ou raisonnablement pré-outillé pour acquérir en grandissant les règles de justice ou de bonne conduite que lui inculqueront les adultes (pas tant par leurs dires mais plutôt par leurs actes), ou d'une façon plus générale la société, cela ne me semble faire aucun doute.
La notion même de justice ne s'est "forgée" qu'au cours de l'histoire. Antigone ne saurait qu'illustrer une prise de conscience collective qui s'est manifestée au début de l'histoire humaine, et représenter une étape d'un processus historique (et juridique), mais chaque enfant à sa naissance ne reproduit pas individuellement ce schéma : il prend le train en marche en quelque sorte, et épouse le contexte, d'autant plus qu'au-delà de l'idée pure, le phénomène de Justice se réalise concrètement dans un cadre de type intersubjectif et social.
PS : la Justice étant rapportée à un phénomène concret, rien de surprenant à ce que son contenu (le droit positif) soit variable d'un lieu à l'autre, ou d'une époque à l'autre : il est normal qu'il se réalise diversement dans l'espace et dans le temps, suivant la diversité des mœurs. (Il serait de mauvaise foi de s'appuyer sur cette diversité pour prétexter un quelconque relativisme).