C'est plutôt la comparaison de plusieurs passages
(Platon, Le Banquet).Ainsi nous avons, en 204e - 205 a (dialogue Diotime-Socrate) :
Socrate, celui qui aime ce qui est bon, que lui veut-il ? — Il veut se l’approprier. — Et s’il se l’approprie, que lui en adviendra-t-il ? — Je trouve, lui dis-je, la réponse plus facile cette fois : c’est qu’il deviendra heureux. [205a] — Bien, répondit-elle ; c’est par la possession des bonnes choses que les heureux sont heureux. Et il n’est plus besoin de demander en outre pour quelle raison celui qui veut être heureux veut l’être : tout est fini, je pense, par ta réponse. — Il est vrai, Diotime. — Mais cette volonté, cet amour, dis-moi, penses-tu qu’ils soient communs à tous les hommes, et que tous veuillent avoir toujours ce qui est bon ? qu’en penses-tu ? — Oui, Diotime, cela me paraît commun à tous les hommes.
Donc ce qu'on veut en général, c'est le bon, n'est-ce pas ? Cela va avec le fameux "nul n'est méchant volontairement". Du coup on poursuit, non pas toujours le bon, mais ce qui nous semble tel, dans le but d'être heureux.
Ensuite nous avons, en 206 b :
mais quelle est la recherche et la poursuite particulière du bon à laquelle s’applique proprement le nom d’amour ? que peut-ce être ? Pourrais-tu me le dire ? — Non, Diotime : autrement je ne serais pas en admiration devant ta sagesse, et je ne viendrais pas vers toi pour que tu m’apprennes ces secrets. — C’est donc à moi de te le dire : c’est la production dans la beauté, selon le corps et selon l’esprit.
Diotime vient de dire que tout le monde aime, puisque tout le monde désire être heureux, et pour cela désire le bon. Elle cherche maintenant à quoi on donne particulièrement le nom de "Eros", et elle trouve que c'est ce bon particulier : la production dans la beauté, selon le corps ou l'esprit.
en 206 c, elle précise ce qu'est la production dans la beauté :
Oui, Socrate, tous les hommes sont féconds selon le corps et selon l’esprit ; et à peine arrivés à un certain âge, notre nature demande à produire. Or elle ne peut produire dans la laideur, mais dans la beauté ; l’union de l’homme et de la femme est production : et cette production est œuvre divine ; fécondation, génération, voilà ce qui fait l’immortalité de l’animal mortel.
Donc produire, c'est ce qui fait notre immortalité (il n'est pas ici question particulièrement de produire du bien). Nous recherchons le beau pour produire dans la beauté.
D'après 206 b, qu'on a vu plus haut, il semble que ce soit, en soi, un bien de produire ce dont on est fécond.
Mais plus loin on lit, en 206e - 207a (c'est toujours Diotime qui parle à Socrate) :
Par conséquent, Socrate, l’objet de l’amour, ce n’est pas la beauté, comme tu l’imagines. — Et qu’est-ce donc ? — C’est la génération, et la production dans la beauté. — J’y consens, Diotime. — Il le faut bien, reprit-elle. — Mais, dis-je, pourquoi l’objet de l’amour est-il la génération ? — Parce que ce qui nous rend impérissable, toute l’immortalité que comporte notre nature mortelle, c’est la génération. Or, d’après ce que nous avons reconnu précédemment, [207a] il est nécessaire que le désir de l’immortalité s’attache à ce qui est bon, puisque l’amour consiste à vouloir posséder toujours le bon. D'où il résulte évidemment que l’immortalité est aussi l’objet de l’amour.
Il n'est pas dit ici que l'immortalité soit directement un bien, mais que le désir de l'immortalité "s'attache à ce qui est bon". Je ne sais pas si la distinction est importante. L'immortalité est "aussi" l'objet de l'amour, c'est-à-dire, visiblement, en plus du bien.
Curieusement, Diotime se demande ensuite, à nouveau (en 207 a) "d'où proviennent cet amour et ce désir", et elle répond (207 b-c) que notre nature mortelle désire forcément ce qui lui manque (donc l'immortalité) :
Eh bien, dit-elle, ma question ne doit point t’embarrasser, si tu crois que naturellement l’objet de l’amour est celui que nous lui avons plusieurs fois reconnu : [207c] car c’est encore ici, comme précédemment, le même principe d’après lequel la nature mortelle tend à se perpétuer autant que possible et à se rendre immortelle ; et son seul moyen c’est la naissance, laquelle substitue un individu jeune à un autre plus vieux.
Il me semble que c'est à nouveau un argument pour dire que l'immortalité est elle-même un bien : on désire ce qui (pensons-nous) nous rend heureux, ce qui nous manque, ce qui nous semble un bien, c'est tout un. Suivent des considérations sur ce qui fait l'identité des êtres mortels : ils restent les mêmes en changeant continuellement. Pour eux, l'immortalité consiste donc bien à produire, ce qui, finalement, n'est qu'un changement de plus : nos rejetons sont la continuité de ce que nous sommes, tout comme notre corps se remplace constamment lui-même, ainsi que notre esprit...
Jusqu'ici, rien sur la qualité de ce que nous produisons. C'est produire qui est un bien, parce que cela continue notre être. Or brusquement, quand elle aborde la production selon l'esprit, Diotime introduit l'idée que l'immortalité passe par la qualité de ce qui est produit (208 c - 209 e) :
Et, maintenant, Socrate, pour peu que tu veuilles réfléchir sur l’ambition des hommes, tu ne saurais manquer de la trouver bizarre et inconséquente, si tu ne songes au désir puissant qui les domine de se faire un nom et d’acquérir une gloire impérissable. C’est ce motif, plus encore que l’amour [208d] de leurs enfants, qui leur fait braver tous les dangers, sacrifier leur fortune, endurer toutes les fatigues, et donner même leur vie. Penses-tu en effet qu’Alceste eût souffert la mort à la place d’Admète ; qu’Achille l’eût cherchée pour venger Patrocle, ou que votre Codrus s’y fût dévoué pour assurer la royauté à ses enfants, s’ils n’eussent point compté sur cet immortel souvenir de leur vertu qui vit encore parmi nous ? Non certes, et il s’en faut de beaucoup. Pour cette immortalité de la vertu, pour cette noble renommée, il n’est rien, ce me, semble, que chacun ne fasse, et les plus gens de bien sont les plus empressés à ce dévouement, [208e] car ils désirent l’immortalité. Maintenant, continua Diotime, ceux qui sont féconds selon le corps, préfèrent s’adresser aux femmes, et leur manière d’être amoureux c’est de procréer des enfants pour s’assurer l’immortalité, la perpétuité de leur nom et le bonheur, à ce qu’ils s’imaginent, dans un avenir sans fin. Mais pour ceux qui sont féconds selon [209a] l’esprit… Et, ajouta Diotime en s’interrompant, il en est qui sont plus féconds d’esprit que de corps, pour les choses qu’il appartient à l’esprit de produire. Or, qu’appartient-il à l’esprit de produire ? La sagesse et les vertus, qui doivent leur naissance aux poètes, et généralement à tous les artistes doués du génie de l’invention. Mais la plus haute et la plus belle de toutes les sagesses est celle qui établit l’ordre et les lois dans les cités et les sociétés humaines : elle se nomme prudence et justice. Quand donc un mortel [209b] divin porte en son âme dès l’enfance les nobles germes de ces vertus, et qu’arrivé à l’âge mûr il éprouve le désir d’engendrer et de produire, alors il s’en va aussi cherchant de côté et d’autre la beauté dans laquelle il pourra exercer sa fécondité, ce qu’il ne pourrait jamais faire dans la laideur. Pressé de ce besoin, il aime les beaux corps de préférence aux laids, et s’il y rencontre une âme belle, généreuse et bien née, cette réunion en un même sujet lui plaît souverainement. Auprès d’un être pareil, il lui vient en foule d’éloquents discours sur la vertu, sur les devoirs et les occupations [209c] de l’homme de bien ; enfin il se voue à l’instruire. Ainsi, par le contact et la fréquentation de la beauté, il développe et met au jour les fruits dont il portait le germe ; absent ou présent il y pense sans cesse et les nourrit en commun avec son bien-aimé. Leur lien est bien plus intime que celui de la famille, et leur affection bien plus forte, puisque leurs enfants sont bien plus beaux et plus immortels. Il n’est point d’homme qui ne préfère de tels enfants à toute autre postérité, s’il vient à considérer, avec une noble jalousie, la renommée et la mémoire immortelle [209d] que garantissent à ]Homère, à Hésiode et aux grands poètes leurs immortelles productions ; ou bien encore, s’il considère quels enfants un Lycurgue a laissés après lui à Sparte, pour le salut de sa patrie, et je dirai presque de la Grèce entière. Telle a été parmi vous la gloire d’un Solon, père des lois, et d’autres grands hommes, [209e] en diverses contrées, soit en Grèce, soit chez les Barbares, pour avoir accompli de nombreux et admirables travaux, et enfanté toutes sortes de vertus. De tels enfants leur ont valu des temples ; ceux des hommes, qui sortent du sein d’une femme, n’en ont jamais fait élever à personne.
Faut-il comprendre que nous recherchons l'immortalité comme un bien, ou en tout en plus du bien, mais que nous ne l'atteignons réellement que si nous produisons de bonnes choses ?
On pourrait peut-être dire quelque chose comme cela : de même que rechercher le bien de son corps, c'est le maintenir en bonne santé, de même rechercher le bien de son esprit, c'est le garder en bonne santé, donc produire du juste, du bien, etc., - puisque la façon mortelle de continuer de vivre est de produire.
Le hic, c'est la référence à la mémoire des hommes... Car enfin, comme l'a fait remarquer fort pertinemment une élève, Hitler aussi s'est immortalisé...