Desassocega a écrit: Or, quand un grec prononce le mot ἀρετή, il entend tout à fait autre chose que lorsque nous entendons vertu. Qu'entend-il ? Excellence, pourrait-on dire ; l'ἀρετή de quelqu'un, c'est son excellence.
Prenons un exemple où cette distinction entre le mot grec et sa traduction pourra s'éclairer : un homme vole des passants. Mais il ne les vole pas en les attaquant sauvagement, il les vole avec une discrétion et un coup de main tels qu'il pourrait voler n'importe quoi à n'importe qui sans que personne ne s'en rende compte. Aucun chrétien ne dirait que cet homme est vertueux, car enfin, il vole ; le grec quant à lui dirait que cet homme a une ἀρετή, et cela non pas parce que c'est bien de voler, mais parce que cet homme le fait si bien qu'il fait du vol un art : il excelle dans le vol, et cette excellence est belle à voir. Cela peut sembler un peut tiré par les cheveux, mais si on y pense bien, encore aujourd'hui nous voyons parfois les choses ainsi : rappelons-nous ces films et romans où le voleur accomplit son méfait avec tant de finesse et d'intelligence qu'on en vient à souhaiter qu'il ne se fasse pas prendre.
Ainsi, l'immortalité offerte par la vertu (ἀρετή) se comprend mieux : elle n'est pas réductible à des principes moraux, mais est présente chez chaque homme qui est parvenu à faire ce qu'il fait de manière excellente. Il y a donc une ἀρετή du juge autant qu'une ἀρετή du criminel.
L'exemple est mal choisi et prête à confusion avec, par exemple, le
talent d'une personne. Attention, donc, avec ce terme grec, rigoureusement intraduisible ; qu'on ne peut que "rendre" par des approximations qui ne gagnent en précision qu'en les recoupant. Je n'ai pas le temps de développer, aussi je me contente de vous copier-coller ce qu'ailleurs je disais à Phylos :
Euterpe a écrit: la notion grecque d'ἀρετή / aretế [...] désigne :
- la fonction et la vertu (pour être plus précis, le mot désigne une fonction de type axiologique - valeur, qualité),
- l'excellence (même famille qu'aristos : le meilleur, l'excellent),
- ce qui réalise au mieux ce qu'il est (chez Platon, on n'est plus très loin de l'essence quand on parle d'arétè).
Bref, [...] quelle est l'excellence de [x], à quelle condition [x] réalise au mieux ce qu'il est ? En somme quel est l'être de [x] ?
Le meilleur ouvrage, pour bien comprendre ce terme, est celui de Werner Jaeger,
Paideia : La formation de l'homme grec. Leo Strauss en parle également dans son
Droit naturel et histoire.