L'auteur oppose l'opinant à l'esprit libre :
Auquel cas, à partir de quand peut-on dater l'apparition de l'égalité par défaut ?
Pourriez-vous développer ?
En quoi est-il irréversible ?
"Fléau de l'élitisme" ? C'est-à-dire ?
Bénéton, p.14-15 a écrit:La liberté d'esprit est une conquête difficile. Qui peut s'en prévaloir ? Elle a pour ennemi tout ce qui élève des barrières, tout ce qui contrarie la disponibilité de la raison : les a priori qui naissent de l'accoutumance ou des idées reçues, les passions qui détournent du vrai ou y font obstacle. L'esprit libre idéal a ces vertus : 1/ il n'est pas prisonnier des habitudes et conventions, il prend ses distances, questionne et questionne encore ; il est libre face aux préjugés, il les soumet à la critique sans préjuger de leur fausseté ou de leur validité ; 2/ il n'est pas tenu par l'amour-propre : il reconnaît librement ses erreurs, ses ignorances, ses dettes, ses limites. Il est libre de ne pas se prendre pour un maître et de prendre pour tel celui qui à ses yeux le mérite. Or les maîtres spirituels ou intellectuels, les fondateurs, les éclaireurs, les découvreurs, sont-ils légion ? Les autres, nous autres, ont-ils d'autre choix que de choisir sur quelles traces marcher ? L'esprit libre est libre de penser que tel penseur ou telle institution voit plus loin que lui et lui fait la courte échelle. Dans tous les cas, il est impossible de tout repenser tout seul. Inévitablement la question à un moment se pose : à qui faire confiance ? En définitive, l'esprit libre ne se fie pas aux idées convenues, il choisit librement à qui se fier (fût-ce aux idées convenues). Sans préventions, sans esprit de parti, sans souci de soi. Il est tendu vers le vrai, pour le reste, il est tout à fait détendu. L'opinant, lui, n'est pas détendu. D'abord bien entendu parce qu'il partage le lot commun : nous ne sommes jamais que des esprits plus ou moins libres. Ensuite parce qu'il a en propre de soumettre sa liberté à l'idée reçue d'égalité et qu'il en paie la rançon : il perd de sa liberté intérieure. On en a vu les raisons : l'égalité par défaut l'invite à refuser de voir dans l'autre un appui possible, elle l'invite à juger pour juger, même quand les conditions d'un jugement fondé en raison ne sont pas réunies. L'opinant s'interdit de penser que Pascal ou Nietzsche puisse également parler pour lui, que l'âge et l'expérience puissent instruire, que telle tradition ou institution ait pu engranger une sagesse pratique... L'esprit libre dit : il faut prendre ce qu'il y a de bon partout où on le trouve, peu importe la source. L'opinant rétorque : je ne bois qu'à ma propre fontaine. L'une des conséquences est que la culture se tarit. L'opinant ne peut se permettre de la prendre au sérieux. Il ne peut davantage se permettre de pratiquer en toute liberté la suspension du jugement. Le jugement d'opinion est désirable par lui-même. Voici quelques formules qui, lorsqu'elles sont authentiques, sont des signes de liberté d'esprit : « Je ne sais pas, je n'ai pas compris, faut-il s'en tenir là ?, Je me suis trompé, la question est ouverte, il faut choisir ses ignorances.... » Ce ne sont pas les formules de l'opinant : « à mon avis ; selon mon opinion ; c'est vous qui le dites ; à chacun sa vérité... ». Quelles sont celles qui dominent dans le discours d'aujourd'hui ? La suspension du jugement ne se pratique guère si l'on en juge par ce que l'on entend sur les ondes ou par les résultats des sondages. Que deviendraient les sociétés de sondages si chacun s'en tenait à ce qu'il pense vraiment ? « Savoir ce que l'on pense n'est pas facile » (Alain). Or les non-réponses sont rares, même aux questions techniques, et les incohérences ne le sont pas. La part d'artifice est difficile à mesurer, elle varie sans doute selon les sujets, elle semble indéniable. La pression des enquêteurs joue en ce sens et aussi la force du devoir d'opinion. Que fait alors le sujet quand il répond pour répondre, quand il donne un avis pour donner un avis, bref quand il opine ? Il subordonne ce qu'il pense vraiment au rôle qu'il se croit tenu de jouer. Au nom de l'autonomie, il ampute sa liberté de jugement.
Impero a écrit:C’est ce qui me fait dire que non ce n’est pas un problème franco-français, et qu’il est antérieur aux années 60.
Auquel cas, à partir de quand peut-on dater l'apparition de l'égalité par défaut ?
aldolo a écrit:Kthun a écrit:2 / Cette analyse s'applique-t-elle uniquement à l'Occident ? Ou bien s'applique-t-elle seulement à certains pays occidentaux (dont la France) ?
Ce me semble particulièrement s'adapter à l'Occident oui, dans la mesure où l'individualisme y fait rage. Les autres cultures et civilisations sont bien plus dans le "vivre ensemble" et la famille pour se prendre autant au sérieux que les occidentaux. Enfin pour l'instant...
Pourriez-vous développer ?
aldolo a écrit:Kthun a écrit:3 / Ce processus, tel que décrit par l'auteur, est-il irréversible ?
Tout est irréversible, ce qui n'empêche pas les choses de poursuivre leur cours (...)
En quoi est-il irréversible ?
aldolo a écrit:Kthun a écrit:4 / Les forums, "philosophiques" ou non, sont-ils épargnés par l'opinion ?
Bien sûr que non. Mais on entend ça et là que certains semblent plutôt touchés par le fléau de l'élitisme, et que ce serait ce qui les plonge dans ce coma autiste. Tout ça est bien délicat à débattre.
"Fléau de l'élitisme" ? C'est-à-dire ?