Kthun a écrit:Régis [...] une analyse économique du bien-être qui intégrerait la notion de compréhension comme composante du bien-être.
Ne trouvez-pas qu'il s'agit d'une hypothèse rationaliste (comme si l'observateur supplantait l'observé) dans la mesure où il est tout à fait possible de trouver satisfaction en l'absence de compréhension ? On ne peut faire l'économie des effets de position. La frustration peut être aussi bien relative qu'irrationnelle. De plus, comme je vous le disais précédemment, que faire de ceux qui peuvent tirer une utilité du non-respect de ces règles (la classe politique et les fonctionnaires, entre autres) ? Prenons un exemple (je ne dis pas nécessairement qu'il soit souhaitable) : vous semble-t-il envisageable, armé de la seule raison, de faire comprendre à l'ensemble des citoyens que la diminution (voire la suppression) du salaire minimum augmenterait leur bien-être étant donné que cette mesure va à l'encontre des règles du marché ?
En conséquence, arrive la question suivante : comment peut-on faciliter la compréhension des citoyens ? Je recense deux moyens. Soit opter pour le "gramscisme", c'est-à-dire croire que les idées mènent le monde, et qu'il suffit pour cela de les diffuser (auquel cas, pourquoi les thèses d'Hayek ne suffisent-elle pas ?) grâce à quelque laboratoire d'idées ; soit l'économiste doit se faire le conseiller de l'élite gouvernementale en tentant d'influer la politique économique dans la direction qu'il estime satisfaisante (auquel cas, ne se rapproche-t-on pas du constructivisme au sens de Hayek, si l'on exige que les citoyens "comprennent" malgré eux ?). Qu'en pensez-vous ?
Mes excuses pour le délai de réponse.
Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il est tout à fait possible de trouver satisfaction en l'absence de compréhension. Cependant, cette possibilité n'empêche pas que, dans le même temps, les citoyens sont souvent contrariés par ce qu'ils ne comprennent pas. Par exemple, une personne peut être insatisfaite parce qu'elle ne comprend pas pourquoi elle gagne plus ou moins, ou pourquoi elle devrait soudainement quitter un emploi pour un autre. L'économie étant un domaine complexe, il est facile pour des citoyens de penser que s'ils subissent un coup dur économique (par exemple un licenciement), c'est à cause d'autres citoyens qui en profitent, ou qui exploitent les travailleurs, etc. En revanche, si l'économie était un sujet plus transparent, les citoyens accepteraient sans doute mieux leur sort (si ce sort est juste). Si ce sort n'est pas juste, c'est un autre problème. Mais s'il est juste (par exemple, si l'entreprise qui les employait avait réellement besoin de licencier), la compréhension permet, je pense, de réduire le sentiment d'injustice vécu par un citoyen et donc d'améliorer son bien-être.
Concernant votre dernier paragraphe, je pense que ce sont deux solutions que Hayek adopte : Hayek estime que les idées mènent le monde et que, par conséquent, l'économiste et le philosophe doivent exercer la plus grande influence possible dans le combat des idées. C'est dans l'espoir d'atteindre cet objectif que Hayek a créé la société du Mont-Pèlerin en 1947. De plus, Hayek a accepté de conseiller l'élite gouvernementale. Par exemple, il a donné une conférence à l'Assemblée Nationale française en 1980. Il me semble qu'il a conseillé aussi Pinochet (même si je n'en suis pas complètement sûr ; Milton Friedman, lui, a conseillé Pinochet). Et puis il a entretenu une correspondance avec Margaret Thatcher. Toutefois, ce qui me semble paradoxal, c'est que, dans le dernier tome de Droit, Législation et Liberté (1979), Hayek préconise une restriction très forte de la démocratie afin que la démocratie ne puisse pas éroder les principes d'une société libérale. J'y vois un paradoxe, car comment faire comprendre à la population qu'une telle restriction forte de la démocratie est souhaitable si on ne permet pas à cette population de comprendre la société via la délibération démocratique ?