Vous parlez donc d'une beauté qui ne se vit pas mais qu'il y a seulement à contempler, voire dans laquelle il s'agit de s'oublier ? Est-ce que ça n'a pas à voir avec une extase justement, et quelle différence avec le sublime, l'ivresse en tant que participation au sacré qui nous transcende et nous fait nous transcender en lui ? Lorsque je parle d'Otto Dix, j'affirme certes qu'il ne s'agit pas de beauté mais je ne l'appréhende pas forcément par la pensée, par ce qu'il me donne à penser, ce n'est pas un art abstrait au point de n'être qu'un discours plein de concepts stériles, c'est l'animation des sens et des sentiments par la création d'une exposition ou d'une situation où se donnent à nous des mouvements violents et des ambiances que l'on a à vivre. La force des expressionnistes s'appuie peut-être sur un appel à certaines modalités de compréhension mais ceci pour éveiller des sentiments communs et connus à expérimenter intensément. C'est très loin du dépouillement abstrait de Malevitch... Quant au travail de Raphaël, il provoque certes une contemplation d'ordre religieux, toutefois il y a tout un art du jeu avec des codes et symboliques, les motifs participent aux formes, au tableau représentant une scène qui a toute son importance, je ne crois pas qu'on puisse faire abstraction de ce qui est dépeint au profit de la seule technique qui ferait la beauté de l'œuvre. Certes, c'est beau quelque soit l'objet de la peinture mais cet objet est l'occasion sur laquelle s'appuie la technique pour donner à voir quelque chose de singulier. Je peux admirer la toile pour son rendu mais c'est un rendu de quelque chose, qui vise quelque chose : j'admire la manière dont sont disposées les figures, les détails qui leur donnent leur spécificité et les rendent vivantes, l'impression qui se dégage du savant usage des clairs-obscurs, etc. Tout ceci parce que cela participe de l'œuvre, les effets font la composition et celle-ci produit une impression qui aide au développement de sensations en moi. Le travail sur la couleur ou le dégradé, par exemple, devient inséparable de telle figure qui me fait telle impression et éveille en moi passion, courage, respect, etc., par cela même. Je reconnais néanmoins mon manque d'érudition et si j'apprécie certaines œuvres classiques je suis plus habitué à l'art qui commence avec le romantisme. Je ne saurais condamner entièrement cet art pour son décadentisme. Le jugement de goût a évolué et s'il faut savoir être critique on peut aussi apprendre à apprécier cet art pour ce qu'il peut avoir de bon. Je vous accorde en revanche que tout le monde à notre époque n'est pas Baudelaire, voire personne aujourd'hui, pour transmuter le laid en beau.