Popper prétend que la démarche critique peut influencer avantageusement le progrès des sciences sociales. Son constat est que la démarche scientifique a consisté, jusqu’à un passé très récent, en une quête de la Vérité entendue comme une réalité dont la mise en exergue des sources, origines ou essences, devait en garantir l’indubitabilité. Aussi la connaissance figurait-elle une accumulation de certitudes auxquelles l’investigation philosophique apportait un fondement rationnel. Mais il relève la double difficulté posée par une telle approche de la connaissance : une difficulté d’ordre gnoséologique d’abord, qui réside dans une conception statique de la science dont la conséquence inéluctable réside dans l’édification d’une société figée, hostile au progrès ; et une difficulté d’ordre éthique ensuite, qui est le problème de la violence induite par le caractère sacré de la vérité. Le sort de Galilée est exemplaire à ce titre, puisqu’il est caractéristique à la fois de l’obscurantisme de l’ancienne vision de la science, et de son pendant naturel, à savoir la violence. De fait,
l’intervention de Karl Popper est d’abord une invite à la réflexion sur le statut de la raison. En effet, le théoricien du rationalisme critique se demande si, comme le prétend la science classique, la raison a vocation à servir de faire-valoir à nos intuitions ou impressions, ou si, comme il en fait la démonstration, son rôle ne s’inscrit pas plutôt dans
une logique de quête du savoir qui pose la Vérité comme un horizon. Dans le premier cas, la raison est instrumentalisée pour fonder des dogmes, à savoir, des vérités indépassables, et donc des vérités absolues. Dans le second, la raison accompagne la croissance du savoir, non pas simplement d’un point de vue quantitatif, mais surtout qualitativement, dans
un processus cathartique de remise en cause permanente des théories. Il en résulte une conception radicalement différente de l’homme de science, que la philosophie classique présente comme un savant, c’est-à-dire un fier possesseur de la vérité et une véritable autorité dans son domaine, mais qui devient, dans la science contemporaine, un chercheur inlassable de la vérité, un esprit alerte, toujours prompt à revisiter les résultats de ses propres recherches ou à les soumettre à la critique de ses pairs.
Mais l’intervention de Popper présente une autre vertu, qui est de proposer une méthode d’investigation différente de celle en vigueur dans la science classique. Car celle-ci procède d’un raisonnement par induction, c’est-à-dire qu’elle établit des lois par généralisation à partir de cas particuliers. Il observe ainsi que la méthode inductive commence par
« isoler » la vérité, pour ensuite juger de la véracité ou de la fausseté de situations ultérieures à l’aune de celle-ci. C’est pourquoi il existe, pour chaque situation, une vérité qui peut être découverte une fois pour toutes, et qui permet par suite de juger de la valeur de vérité de situations analogues.
Or, Popper dénonce la faiblesse d’un tel raisonnement qui, selon lui, est caractéristique d’une logique qui marche sur la tête. En effet, il ne considère pas la recherche scientifique comme une simple vérification de théories à partir de certaines références, mais au contraire comme une volonté constante de les améliorer, inspirée à l’homme de science par l’insatisfaction de ses propres résultats au regard des enjeux. Ainsi, pour lui, la Vérité n’est-elle pas une réalité comme une autre, que la raison permettrait de découvrir une fois pour toutes ; elle est, au contraire, un but que les théories permettent d’approcher les unes mieux que les autres. De ce point de vue, le rationalisme critique prône un falsificationnisme méthodologique, c’est-à-dire une attitude de doute constructif vis-à-vis des théories, qui encourage non seulement à les exposer à la critique la plus sévère, mais aussi à faire en permanence un effort d’inventivité de solutions originales susceptibles de mieux incarner les buts recherchés. Telle est, selon Popper, la logique véritable de la science, celle qui a permis de tous temps à l’humanité de réaliser des progrès prodigieux dans le domaine de connaissance.
Il nomme ainsi « révolution copernicienne » ce passage d’une science docte à une science qui cherche, une attitude qui, estime-t-il, doit valoir aussi bien pour les sciences naturelles que pour les sciences sociales. Et pour lui, cela suppose que même en politique, où bien souvent la volonté de puissance et le besoin de stabilité l’emportent sur toute autre considération,
la méthode critique peut aider à faire évoluer les mentalités, notamment en centrant le débat politique autour de l’indispensable conciliation de l’efficacité politique avec la justice sociale.
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