Arcturus a écrit: Le texte de la Nausée est un moment particulier dans le roman puisque le narrateur, Roquentin, assis sur son banc dans le jardin public découvre tout à coup l'épaisseur, la consistance de l'existence. Cette découverte est une découverte très angoissante, très inquiétante "extase horrible".
Je ne pense que que nous produisons les mêmes pensées et que nous puissions nous comprendre. Mais, je vais quand même essayer. Comme c'est votre sujet, je vous laisserai le mener à votre guise par la suite. Je reprends cet extrait de votre introduction, car il est important, mais j'y reviendrai par la suite.
Arcturus a écrit: Vous tenez, par un réflexe culturel habituel, à resituer tout discours dans la contrainte mentale de la causalité. Il faudrait, que, tel un artiste (je dis bien un artiste non un critique d'art) vous regardiez un tableau en abandonnant toute référence culturelle usuelle : se laisser aller au sentiment. A la perception interne.
Il est exact que c'est un réflexe culturel :-)...
MAIS...
Acturus a écrit: Exister c'est d'abord se rendre compte que je suis ici, à ce moment-là, que d'abord j'existe. C'est un point de départ. C'est une perception, ce n'est pas déjà un raisonnement mais c'est une perception. En essayant d'attraper aussitôt un écrit comme vous le faites dans un filet rationnel vous vous attelez aussitôt à une chaîne causale. Il faudrait que vous vous laissiez aller. J'écoute cet mouvement musical, sans le critiquer, je regarde ce tableau sans l'expliquer, je respire le parfum de cette rose sans en inférer la structure moléculaire...Vous existez, première étape, première perception. Mais perception aussitôt oubliée si la volonté de tout resituer dans une chaîne causale vous empêche de rester sur ce moment originel.
En disant cela vous êtes inconsistant. Soit vous vivez votre perception de l'existence, soit vous en parlez, vous émettez des pensées qui vous permettent de comprendre de quoi il s'agit. Je suis ému lorsque j'écoute la Traviata, je n'ai effectivement pas besoin de me demander pourquoi, ni même d'en parler. La question est alors de savoir pourquoi j'aurais besoin d'en parler, de même que pourquoi avez vous besoin de parler de l'existence, puisque vous existez... A partir du moment où vous en parlez, que vous exprimez des pensées sur l'existence, soit vous cherchez à comprendre (prévoir), donc des relations de cause à effet, j'aime la Traviata parce que j'ai appris à l'aimer et je suis ému pour des raisons physico-chimique, soit vous cherchez à émettre des opinions, à convaincre quelqu'un, je dis que j'aime la Traviata pour inciter d'autres personnes à aller voir cet opéra. Pourquoi voulez-vous parler de l'existence ? Pour la comprendre ou pour émettre des opinions sur la façon dont il faut la mener ou peut-être encore sur le fait qu'il faut juste l'apprécier ?
Acturus a écrit: Je ne vais pas vous suivre dans votre exemple du chat, car vous ne savez rien du chat, en soi, vous savez du chat que ce que votre représentation vous dit qu'il pourrait être. Nous sommes là dans l'imaginaire. Nous ne sommes plus dans le sujet.
Les opinions ne m'intéressent pas, donc pour ma part je cherche à comprendre ce qu'est l'existence ou plutôt à expliquer ici ce que j'ai compris. Or, "l'épaisseur, la consistance de l'existence" est une façon poétique d'exprimer que l'homme ne peut que chercher à réconcilier l'abstraction qu'il représente avec ce qui l'entoure et dont il dépend, la matière, la vie, le monde des pensées, et en tenant compte de leur évolution. Nous sommes capables de faire cela parce que nous sommes des êtres vivants pensants, là où les autres animaux sont des êtres vivants qui ne pensent pas, tout au moins qui ne peuvent pas exprimer de pensées. Il ne s'agit nullement d'un imaginaire, l'homme n'a pas et ne pourra jamais couper le cordon qui le lie avec ces êtres vivants qui n'expriment pas de pensées. C'est pourquoi nous sommes capables de... ne pas penser.
Ainsi, en dehors de nos pensées, nous n'existons que comme des animaux. J'apprécie la Traviata, je ne sais pour quelle raison, et je n'en parle pas, je me contente de l'apprécier. A un moment donné, nous (des ancêtres inconnus) avons pu commencer à exprimer des pensées, et nous poser la question de l'existence. C'est alors que la réponse que nous pouvons donner n'est plus indépendante de rien, car nous ne sommes pas issues du néant, et que plus nous cherchons à y répondre, plus l'existence devient consistante, car nous pouvons découvrir (prendre conscience par nos pensées) de tous les liens que nous avons avec les choses qui nous entourent, notre Histoire, les choses qui entouraient nos ancêtres, et plus loin encore, les choses qui entouraient les mammifères (qui ne produisaient pas de pensées) dont nous sommes issus. Personnellement, cela ne m'angoisse pas :-) mais je ne suis pas supposé avoir les mêmes émotions que Sartre. En faisant cela, nous cherchons notre identité, la façon dont nous existons par rapport aux autres choses.
C'est pourquoi je trouve la pensée de Parménide intéressante mais il semble qu'elle vous laisse sur votre faim, que vous voudriez en savoir plus, "épaissir la consistance de l'existence". Je voulais alors montrer que Platon essayait probablement (je m'avance quelque peu) de parler du lien entre l'existence d'un individu et sa communauté, ce qui en soit est une approche importante puisque nous ne sommes pas plus indépendants du vivant que de la communauté qui nous apprend à exister, tout comme elle m'a appris à aimer la Traviata. Mais il me semble qu'il dérive alors sur la définition de normes culturelles (une morale, des lois...) et ainsi sur un débat politique.
Pour terminer, vous me faites simplement remarquer que je ne comprends pas les réponses que vous cherchez :-).