Bonjour Arcturus et bonjour à tous les participants.
Après mes trois ans d'absence, Boudou est venu me chercher sur le topic Corriger les Idées Reçues ? :
Boudou a écrit: Si on accepte de voir une parenté entre idée reçue, préjugé, hypothèse, conjecture, postulat, axiome, modèle, théorie, superstition, croyance, etc. on peut situer votre sujet sur la réfutation ou la déconstruction des idées reçues (qui ne sont, a priori, ni tout à fait vraies, ni tout à fait fausses) dans un contexte plus large que celui de la politique - Karl Popper (Misère de l'historicisme) prône une recherche perpétuelle de la vérité et plaide pour une société ouverte et démocratique. L'histoire des idées reçues quant à elle s'inscrit dans l'histoire des idées et à ce titre interagit avec l'histoire de la philosophie et la philosophie politique. Ne pourrait-on pas à partir de ce concept d'idée reçue faire une théorie générale de la philosophie comme le fait Arcturus avec celui d'existence (idée reçue vs. vérité qui serait le seul concept premier)
Il fallait donc que j'étudie votre topic, Arcturus.
Quand vous avez présenté l'expérience fondatrice de Sartre comme celle d'un homme qui réagit d'abord en écrivain avant de passer le message au philosophe, là, j'ai moi aussi eu une révélation : j'ai commencé à mieux comprendre cet homme.
Le mot existence était peu employé avant le 18ème, dites-vous. C'est vrai, mais quel début !
Julien Offray de la Mettrie a écrit:
Qui sait si la raison de l’existence de l’homme ne serait pas dans son existence même ?
(Julien Offray de la Mettrie ; Saint Malo : 1709-Berlin 1751 –L’Homme machine)
L'"illumination" de Sartre quand, assis dans un jardin public, il perçoit l'existence de cette racine qui émerge du sol sous son banc, cette illumination est comparable à celle de Newton qui aurait reçu l'intuition de la gravitation universelle en voyant tomber une pomme. Il comprend tout à coup qu'il est vain de chercher à comprendre les choses et les êtres pour donner un sens à sa vie, il suffit d'exister avec le monde. Il entre alors dans une "extase horrible". Pourquoi n'éprouve-t-il pas plutôt le bonheur d'exister, comme d'autres éprouvent la joie de vivre ? Parce que l'existence n'est pas nécessaire :
L'essentiel c'est la contingence. Je veux dire que, par définition, l'existence n'est pas la nécessité. Exister, c'est être là, simplement; les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais on ne peut jamais les déduire.
Jusque-là, en cherchant à pénétrer l'essence des choses, il espérait y trouver des bases solides pour conduire sa vie, comme Descartes qui crut y trouver les preuves de l'existence de Dieu, ce Dieu dont il avait tant besoin en ce 17ème siècle.
Sartre a écrit:
Je transforme ce « Je pense donc je suis » qui m’a tant fait souffrir –car plus je pensais, moins il me semblait être- et je dis : on me voit, donc je suis. (Tiré du dictionnaire Le Petit Robert au mot "être")
Damnation ! L'existence ne nous apprend rien si ce n'est qu'elle est là :
Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu'on s'en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter.
En effet, c'est plutôt désespérant. Mais, après tout, qu'est-ce qui prouve la contingence de l'existence ? Le fait qu'on ne peut pas la démontrer. C'est bien mince, quand même ! Un esprit supérieur comme celui de Sartre ne devrait pas s'en contenter. A moins que... A moins que cette conviction parvienne à son esprit par une faculté extraordinaire de percevoir les grands ensembles, les très, très grands ensembles. Et quoi de plus grand que l'histoire de l'univers ? Les grands événements fondateurs y apparaissent comme résultant de hasards extraordinaires.
En effet, notre univers avait une chance infime de se former. Et, dans cet univers si improbable, la vie paraît être le fruit du plus grand des hasards. Et, au sein des milliards d'espèces animales ayant vécu ou vivant encore, la naissance de l' espèce humaine était à tel point inimaginable qu'elle est restée la seule.
L'existence est gratuite. Il y a de quoi être désespéré. Et pourtant Sartre lui-même croit que les hommes obéissent à des lois de la nature. Et quand il soutient Mao Zedong enclenchant la Révolution Culturelle, il montre son adhésion au marxisme qui croit utiliser les lois de l'histoire. L'existence est-elle gratuite ? Ou obéit-elle à des lois ?
Je crois qu'on peut échapper à cette contradiction insupportable. Il suffit de penser que l'Existence est le fruit d'un immense besoin primordial : le besoin d'existence. Ensuite, il n'y a plus qu'à en induire toutes les implications. J'ai développé cette hypothèse sur le topic Corriger les Idées Reçues ?
J'ai demandé à Google de me trouver des pages où il serait question du besoin d'existence ou du besoin d'exister, ou encore du désir d'exister. Je n'ai pratiquement rien trouvé, sauf quelque chose d'approchant chez Spinoza :
Le désir est l'essence de l'homme. (Le désir comme puissance d'être. Spinoza. par Simone Manon) L'auteure écrit encore : "L'homme est par nature une puissance d'exister".
Par contre, ce concept, je l'ai rencontré chez vous, Arcturus, dans la langue courante -non philosophique- me semble-t-il :
Arcturus a écrit: Je pensais justement, Monsieur Crosswind, que vous pourriez ouvrir un "sujet" [...] J'ai le sentiment que, par moments, vous réalisez votre désir d'exister plus dans la réaction que dans la création. [.....]
La dévalorisation, la condamnation de l’existence n’est qu’un symptôme qui signale une défectuosité de notre élan vital [...]
En tout cas, je partage votre point de vue : le concept du désir d'exister et celui de l'élan vital sont proches. Mais l'élan vital s'arrête à la vie tandis que l'autre s'étend bien au-delà.
L'idée du besoin d'exister comme source de l'existence ne m'est pas venue en voyant tomber une pomme, mais c'est presque aussi fortuit. Je le raconte dans l'introduction de mon roman philosophique :
Georges Réveillac a écrit:
Enseignant, retraité maintenant, jusqu’en 1979 j’étais en même temps communiste. Entre l’histoire réelle qu’il me fallait enseigner et l’histoire prétendument scientifique que diffusait le « Parti », je découvrais trop souvent ce qui me paraissait être des contradictions. Cette année-là, leur masse avait dépassé le seuil critique. Je demandai un emploi à mi-temps, ce qui me permit de chercher une meilleure explication de l’histoire.
Après plusieurs mois de cogitation, je découvris, grâce à Jean Paul Sartre, ce qui m’apparut comme une illumination : le concept d’ « existence humaine » qui me permettrait enfin de rendre intelligible l’histoire.
Et d’où venait-il, ce « besoin d’existence » ?
J’obtins rapidement une réponse. Il se trouvait déjà chez nos ancêtres les animaux ainsi que dans tout le vivant. Il fallait donc refondre la « Théorie de l‘Évolution » dans un ensemble plus vaste qu‘on pourrait appeler la « Théorie de la Lutte pour l‘Existence ».
Et ce « besoin d’existence » du vivant, comment la matière avait-t-elle pu en accoucher ?
Cette question me tint quelques mois encore, jusqu’à ce qu’un verrou sautât. Et derrière la porte qu’il avait verrouillée, je découvris ceci : « Et si le « besoin d’existence » était dans la matière ? »
Cette théorie, j'aimerais la mettre en discussion sur ce forum. J'ai regardé un documentaire sur Confucius hier soir et j'ai vu comment il conduisait les débats avec ses disciples ou d'autres personnes. Ce n'était pas vraiment à la manière dialectique -thèse, antithèse, synthèse- mais sur le mode coopératif, chacun apportant son idée pour faire avancer la recherche commune. Voilà le genre de débat que j'aimerais avoir.