Penser c’est catégorier, c’est-à-dire mettre dans des catégories, et nous ne pensons qu’en utilisant des paradigmes.
Par exemple prenons le paradigme couvre-chef, dans ce paradigme nous rentrons chapeau, casquette, bonnet, béret qui sont autant de sous-catégories qui vont permettre la réalisation d’objets matériels, réellement existants et par ailleurs différents (très grand nombre de casquettes diffère de bérets). Toute cette arborescence est regroupée sous des termes génériques qui nous permettent de créer un ordre pour faire en sorte que le monde est intelligible.
Ces termes génériques dont nous avons absolument besoin, sont exclus (de la définition de la substance) puisque l’Homme je ne le vois jamais qu’au travers des individus particuliers, qui dans leur particularité le manifeste, mais je ne rencontre jamais l’Homme, comme je ne rencontre jamais le Cheval.
Donc nous savons que la substance ce n’est pas l’accident, ce n’est pas l’être générique.
Alors qu’est-ce ?
Aristote va nous le dire par déduction.
La substance si elle n’est pas dans un sujet, c’est qu’elle est elle-même sujet, et si elle n’est pas un être générique c’est qu’elle est conséquemment un être individuel.
Nous avons une substance dès que nous rencontrons un être individuel, et véritablement un sujet.
Dans la vie nous ne faisons que rencontrer des êtres individuels qui vont être des sujets, c’est-à-dire supporter un certain nombre de qualités, et lorsqu’ils sont vivants, vont être sujets, vont faire des actions et vont être ce pôle actif.
Qu’est-ce qu’une substance ?
C’est une réalité individuelle dont l’existence est pensée comme substrat des accidents ou des qualités. Aristote parvient donc à cette définition :
Nous appellerons substance toute réalité individuelle dont l’existence est d’abord pensée comme substrat.
C’est-à-dire comme quelque chose qui va subsister de l’ensemble des qualités et des accidents qui vont affecter la substance et à propos de laquelle on va prédiquer la chose.
Quand nous allons parler, nous n’allons pas nous contenter de dire un âne ou l’âne. Pour que le propos ait un sens, il va falloir prédiquer des choses, c’est-à-dire rapporter un ensemble de qualités à ce sujet ou à cette substance, et dire quelle action s’opère sur elle, ou quelle action fait cette substance. C’est pour cela qu’il faut rajouter que la substance n’est pas ce qui est prédiqué de quelque chose, mais ce à propos de quoi on prédit quelque chose, ce à quoi on rapporte des qualités et de l’autre côté des actions, puisque nous n’arrêtons pas d’agir sur les choses et sur les gens.
Ce qui change par rapport à Platon c’est que nous ne pensons plus avec Aristote que l’idée a une réalité en soi, et qui plus est une réalité transcendante qui existe donc au-delà de notre monde phénoménal et sensible, mais que les concepts n’existent que parce que ce sont des termes prédicables d’une substance.
Il faudra néanmoins distinguer parmi les substances, les substances premières et les substances secondes. Il y a une gradation qui correspondra à une gradation dans l’existence. Il y aura des degrés d’existence. Une fois cette définition posée, Aristote va hiérarchiser, va introduire des subdivisions subtiles à l’intérieur même de la notion de substance et va montrer que la substance première se confondra avec le sujet au sens grammatical.
Cette substance sera précisée par l’adjonction de substance seconde plus importante, au sens où la substance seconde donne une qualité qui ne peut être arrachée totalement à la substance première sans l’altérer profondément. A ces substances secondes, on ajoute une multitude d’accidents qui sont variables, changeables, absolument contingents donc jamais nécessaires.
« Je vois Socrate un homme blanc, assis sur un banc »
. Socrate est sujet, c’est donc la substance au réel, au sens premier, c’est donc la substance première.
Socrate qui est un homme blanc : On dira que l’homme est ici une substance seconde, c’est-à-dire que le rôle de cette substance seconde est de me permettre d’identifier cette substance première, Socrate, avant de reconnaître Socrate et non Diogène.
Je sais que Socrate, comme Diogène, est un homme. La substance seconde n’a pas le même poids que l’accident, me permet d’identifier la chose particulière en la rapprochant en général à quelque chose de générique.
Par exemple : je sais que cela est une table, je le sais parce que je m’arrache à la perception et au jugement qui s’attachent à cette chose-là, et je le raccroche à une catégorie beaucoup plus vaste qui est le concept de table. En langage aristotélicien, table serait une substance seconde qui va me permettre d’identifier cette chose-ci et pas une autre. En imaginant une table différente des autres, je verrai les différences, mais je saurai que c’est une table.
Le rôle de la substance seconde c’est de mener à bien l’opération d’identification des choses et des êtres d’une façon générale.
Alors, à cette substance seconde se rajoute des accidents variables : blanc, ici la couleur, c’est quelque chose. Socrate est assis sur un banc- assis, banc, sont des accidents, et assis avec la précision, sur un banc, de la modalité de la substance.
Donc ce qui relève de la substance c’est toute la réalité individuelle, de sorte qu’ici on est en opposition avec Platon qui conférait le maximum d’être, donc d’existence à ces essences.
Ici on est apparemment dans un domaine où les choses se passent à l’envers, c’est-à-dire que c’est seulement la substance individuelle qui existe au sens le plus étroit et le plus fort du terme. Néanmoins, il ne faut pas nous laisser abuser par le fait qu’ Aristote a l’air de prendre acte de la réalité empirique, de s’intéresser à des êtres qui existent matériellement et qui sont, au sens courant du terme, réellement existants.
Cela n’a pas suffi pour le conduire à une réflexion sur l’existence en tant que telle, à lui conférer une certaine forme d’autonomie.