Je vous propose dans ce sujet de passer en revue le traitement que fait Pierre Clastres de la naissance de l’État. Pour ce faire, je m’appuierai sur plusieurs textes de l’auteur : Chronique des indiens Guayaki ; Recherches d’anthropologie politique ; La Société contre l’État. A noter que Recherches d’anthropologie politique contient également Archéologie de la violence, la guerre dans les sociétés primitives (au chapitre 11), essai publié également seul dans un petit volume du même nom.
Nous vivons dans une société hiérarchisée, composé de dirigeants et d’exécutants à tous les niveaux. Nous sommes nés dans cette société et, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons rien connu d’autre. Il y a quelques centaines d’années, ce type de société était même la seule envisageable pour l’occident. D’aussi loin que remontait l’histoire, la société avait toujours été hiérarchisée et même si les modes de gouvernement avaient varié, un gouvernement était toujours présent, « nécessaire » même.
Pourtant, des explorateurs ont fait la connaissance de « peuples sans foi, sans loi, sans roi » et l’incompréhension a alors été totale. La découverte de l’Amérique notamment, a ouvert une fenêtre pour l’occident sur un mode d’organisation de la société totalement différent du sien, sur une organisation sociale sans État, sans hiérarchie, sans relation de pouvoir.
L’objectif n’est pas de revenir ici sur ce qu’il s’est passé lors de cette rencontre, mais de voir, avec Pierre Clastres, ce que l’on peut tirer comme enseignement de cette confrontation entre deux modes d’organisation de la société radicalement différents. Depuis, les récits se sont accumulés pour décrire l’organisation et le mode de vie des ces peuples. Une collection comme Terre Humaine offre d’ailleurs de nombreux témoignages de ce type : Les deniers rois de Thulé (sur les Inuits de Thulé, par Jean Malaurie, créateur et directeur de la collection) ; Tristes tropiques (sur les Nambikwara entre autres, par Claude Lévi-Strauss) ; Les lances du crépuscule (sur les Achuar d’Amazonie, par Philippe Descola) ; Chronique des indiens Guayaki (sur les Guayaki du Paraguay, par Pierre Clastres) ; Yanoama (sur les Yanomami du Brésil, par Ettore Biocca racontant l’aventure vécue par Helena Valero)… pour ne citer que quelques titres que j’ai lu dans cette collection et qui présentent tous un témoignage direct sur le sujet qui nous intéresse ici. Toutes ces sociétés sont sans État, toutes refusent la séparation entre dirigeants et dirigés dans leur organisation, toutes refusent l’avènement de l’UN qui nous semble pourtant aller de soi dans toute organisation sociale.
Balayons tout de suite un préjugé ethnocentrique très répandu : non, la société sans État n’est pas une société qui n’a pas encore découvert l’État ; elle n’est pas une société embryonnaire qui va évoluer vers une société « normale » telle que nous la connaissons en occident depuis si longtemps. Clastres montre bien, et nous allons le voir avec lui, que la société sans État refuse l’État, qu’elle reste organisée de cette façon car tout en elle est mis en œuvre pour empêcher la division sociale qui va entrainer une concentration du pouvoir dans un petit nombre de membres de la société, une division entre dominants et dominés. Dans ce type de société, la prise de pouvoir est impossible et toute tentative de ce genre se solde généralement par la mort de l’arriviste !
Mais alors, comment une société à État peut-elle voir le jour ? C’est l’un des problèmes fondamentaux traités par Clastres. Si la société sans État est conçue pour résister à cette prise de pouvoir qu’est la création de l’État, comment se fait-il que l’État ai pu voir le jour ? Comment, à un moment donné, une société sans État se transforme en société à État ? Il y a bien sûr une solution facile : la prise de pouvoir par une autre société à État qui engloutit la société sans État. Cependant, cette situation, facile à imaginer et même à constater dans les récits historiques, ne peut être la seule explication. A un moment donné, les premières sociétés sans États ont dû se transformer par elles-mêmes et c’est ce mécanisme que Clastres souhaite analyser.
Je vous propose donc ici de suivre Clastres dans cette analyse. Je commencerai par traiter du sujet de la chefferie qui peut être, à tort, confondu avec le lieu du pouvoir dans les sociétés sans État ; je décrirai ensuite les fondations de la société sans État telle que l’analyse Clastres ; enfin, nous pourrons envisager les pistes possibles pour une naissance de l’État et finir par celle qui semble la plus probable pour Clastres.
Mon objectif, avec l’ouverture de ce sujet, est de mettre par écrit ce que j’ai retiré de la lecture de Clastres. En premier lieu, ça me permet d’organiser mes pensées sur ce sujet ; en second lieu, ça me permet d’avoir votre retour sur certains points qui pourraient ne pas être assez clairs ou même faux ; enfin, ça incitera peut-être quelques personnes à la lecture de Clastres. Ceci n’est que ma restitution d’un élément de son œuvre et, comme toujours, ça ne dispense pas de la lecture de l’œuvre elle-même si toutefois ce sujet vous intéresse. Si vous avez d’autres références en tête sur ce sujet, leur confrontation peut également être intéressante.
Nous vivons dans une société hiérarchisée, composé de dirigeants et d’exécutants à tous les niveaux. Nous sommes nés dans cette société et, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons rien connu d’autre. Il y a quelques centaines d’années, ce type de société était même la seule envisageable pour l’occident. D’aussi loin que remontait l’histoire, la société avait toujours été hiérarchisée et même si les modes de gouvernement avaient varié, un gouvernement était toujours présent, « nécessaire » même.
Pourtant, des explorateurs ont fait la connaissance de « peuples sans foi, sans loi, sans roi » et l’incompréhension a alors été totale. La découverte de l’Amérique notamment, a ouvert une fenêtre pour l’occident sur un mode d’organisation de la société totalement différent du sien, sur une organisation sociale sans État, sans hiérarchie, sans relation de pouvoir.
Pierre Clastres, Recherches d’anthropologie politique, Chapitre 11, p171 a écrit:C’est la découverte de l’Amérique qui, on le sait, a fourni à l’Occident l’occasion de sa première rencontre avec ceux que désormais, on allait nommer Sauvages. Pour la première fois, les Européens se trouvaient confrontés à un type de société radicalement différent de tout ce que jusqu’alors ils connaissaient, ils avaient à penser une réalité sociale qui ne pouvait prendre place dans leur représentation traditionnelle de l’être social : en d’autres termes, le monde des Sauvages était littéralement impensable pour la pensée européenne. Ce n’est pas ici le lieu d’analyser en détail les raisons de cette véritable impossibilité épistémologique : elles se rapportent à la certitude, coextensive à toute l’histoire de la civilisation occidentale, sur ce qu’est et ce que doit être la société humaine, certitude exprimée dès l’aube grecque de la pensée européenne du politique, de la polis, dans l’œuvre fragmentaire d’Héraclite. A savoir que la représentation de la société comme telle doit s’incarner dans une figure de l’Un extérieure à la société, dans une disposition hiérarchique de l’espace politique, dans la fonction de commandement du chef, du roi ou du despote : il n’est de société que sous le signe de sa division en maîtres et sujets. Il résulte de cette visée du social qu’un groupement humain ne présentant pas les caractères de la division ne saurait être considéré comme une société. Or, qui les découvreurs du Nouveau Monde virent-ils surgir sur les rivages atlantiques ? « Des gens sans foi, sans loi, sans roi », selon les chroniqueurs du XVIe siècle. La cause était entendue : ces hommes à l’état de nature n’avaient point encore accédé à l’état de société. Quasi-unanimité, troublée seulement par les voix discordantes de Montaigne et La Boétie, dans ce jugement sur les Indiens du Brésil.
L’objectif n’est pas de revenir ici sur ce qu’il s’est passé lors de cette rencontre, mais de voir, avec Pierre Clastres, ce que l’on peut tirer comme enseignement de cette confrontation entre deux modes d’organisation de la société radicalement différents. Depuis, les récits se sont accumulés pour décrire l’organisation et le mode de vie des ces peuples. Une collection comme Terre Humaine offre d’ailleurs de nombreux témoignages de ce type : Les deniers rois de Thulé (sur les Inuits de Thulé, par Jean Malaurie, créateur et directeur de la collection) ; Tristes tropiques (sur les Nambikwara entre autres, par Claude Lévi-Strauss) ; Les lances du crépuscule (sur les Achuar d’Amazonie, par Philippe Descola) ; Chronique des indiens Guayaki (sur les Guayaki du Paraguay, par Pierre Clastres) ; Yanoama (sur les Yanomami du Brésil, par Ettore Biocca racontant l’aventure vécue par Helena Valero)… pour ne citer que quelques titres que j’ai lu dans cette collection et qui présentent tous un témoignage direct sur le sujet qui nous intéresse ici. Toutes ces sociétés sont sans État, toutes refusent la séparation entre dirigeants et dirigés dans leur organisation, toutes refusent l’avènement de l’UN qui nous semble pourtant aller de soi dans toute organisation sociale.
Balayons tout de suite un préjugé ethnocentrique très répandu : non, la société sans État n’est pas une société qui n’a pas encore découvert l’État ; elle n’est pas une société embryonnaire qui va évoluer vers une société « normale » telle que nous la connaissons en occident depuis si longtemps. Clastres montre bien, et nous allons le voir avec lui, que la société sans État refuse l’État, qu’elle reste organisée de cette façon car tout en elle est mis en œuvre pour empêcher la division sociale qui va entrainer une concentration du pouvoir dans un petit nombre de membres de la société, une division entre dominants et dominés. Dans ce type de société, la prise de pouvoir est impossible et toute tentative de ce genre se solde généralement par la mort de l’arriviste !
Mais alors, comment une société à État peut-elle voir le jour ? C’est l’un des problèmes fondamentaux traités par Clastres. Si la société sans État est conçue pour résister à cette prise de pouvoir qu’est la création de l’État, comment se fait-il que l’État ai pu voir le jour ? Comment, à un moment donné, une société sans État se transforme en société à État ? Il y a bien sûr une solution facile : la prise de pouvoir par une autre société à État qui engloutit la société sans État. Cependant, cette situation, facile à imaginer et même à constater dans les récits historiques, ne peut être la seule explication. A un moment donné, les premières sociétés sans États ont dû se transformer par elles-mêmes et c’est ce mécanisme que Clastres souhaite analyser.
Je vous propose donc ici de suivre Clastres dans cette analyse. Je commencerai par traiter du sujet de la chefferie qui peut être, à tort, confondu avec le lieu du pouvoir dans les sociétés sans État ; je décrirai ensuite les fondations de la société sans État telle que l’analyse Clastres ; enfin, nous pourrons envisager les pistes possibles pour une naissance de l’État et finir par celle qui semble la plus probable pour Clastres.
Mon objectif, avec l’ouverture de ce sujet, est de mettre par écrit ce que j’ai retiré de la lecture de Clastres. En premier lieu, ça me permet d’organiser mes pensées sur ce sujet ; en second lieu, ça me permet d’avoir votre retour sur certains points qui pourraient ne pas être assez clairs ou même faux ; enfin, ça incitera peut-être quelques personnes à la lecture de Clastres. Ceci n’est que ma restitution d’un élément de son œuvre et, comme toujours, ça ne dispense pas de la lecture de l’œuvre elle-même si toutefois ce sujet vous intéresse. Si vous avez d’autres références en tête sur ce sujet, leur confrontation peut également être intéressante.