Comment distinguer égalité et justice ?

Sans doute limité par la définition mathématicienne de l'égalité, je me suis décidé à réfléchir sur le terme. Pourtant très employé ("les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit" ; "Liberté, égalité, fraternité"), il me semble très confus. A quoi réfère-t-il, au juste ? 

J'aimerais surtout comprendre pourquoi, sur cette question et de nombreuses autres, j'ai l'impression d'une confusion très courante entre l'égalité et la justice. Or cette confusion se constate dans des situations aussi banales que celle-ci : « Si nous sommes égaux, se demande souvent untel, pourquoi mon voisin possède-t-il une belle voiture et une piscine, et moi non ? » Ainsi, l'égalité entre les hommes n'est-elle pas le chemin vers la pensée unique et le conformisme ─ ce qui ne me paraît pas être l'issue la plus agréable pour l'humanité ?

Si l'un de vous pouvait m'éclairer sur ces quelques points, et idéalement me faire parvenir des titres d'ouvrages traitant ce sujet, j'en serais ravi.

Un ouvrage général sur la philosophie politique des théories de la Justice, écrit dans une langue claire par un philosophe rigoureux : Will Kymlicka, Les théories de la justice : une introduction.

L'auteur est un philosophe libéral (c-a-d clairement social-démocrate), donc il a forcément un parti pris, mais il arrive à trouver des points critiques à chacune des philosophies de la justice qu'il présente.

L'idée de base, c'est que l' "égalité" n'est pas la seule valeur sur laquelle on peut fonder la justice. Pour les libertariens par exemple, la liberté d'entreprendre et d'être pleinement propriétaire de soi et du produit de son travail est la valeur première. Pour eux, il est injuste d'être forcé par l'État de redonner aux plus pauvres à travers l'impôt. 

Sur la question de l'égalité politique, il y a encore plusieurs avenues possibles. Les marxistes et les libéraux (politiques) en ont des visions différentes. Et le livre de Kymlicka cité plus haut dédie un chapitre à chacun d'entre eux, de même qu'au féminisme et à d'autres courants, sans être toutefois complet.

Sinon pour plus de détails sur l'égalité du point de vue du libéralisme, il y a Rawls et sa Théorie de la justice qui est la Bible du libéralisme politique. Pour les penseurs socialistes et anarchistes, on retrouve tellement d'auteurs que je ne sais pas lesquels vous suggérer.

Vous pointez aussi des contradictions dans le discours libéral : Nous sommes tous égaux en droits (en principe), mais pas économiquement. Une contradiction analogue se produisait dans les systèmes communistes : sur le plan du discours tous étaient égaux économiquement, mais certains avaient beaucoup plus de pouvoirs (y compris économique) que d'autres : "Tous sont égaux mais certains sont plus égaux que d'autres", comme écrit Orwell dans La Ferme des animaux.
 
Les socialistes visent en plus une égalité économique, mais cela n'implique pas (en principe) un nivellement des autres caractéristiques humaines... Et on retrouve aussi des libertaires (anarchistes) qui souhaitent autant la "liberté pour tous" que leur "égalité politique et économique". Le problème alors est de savoir si c'est réalisable, et dans la clarification des concepts de liberté et d'égalité, et de leurs rapports.    

Bref, "égalité" n'est pas à prendre dans son sens mathématique, car de toute façon nous sommes changeants et donc jamais "égaux" à nous-mêmes.

Dernière édition par Euterpe le Sam 29 Juil 2017 - 9:45, édité 2 fois

L'égalité n'est pas juste un principe arbitraire d'une théorie politique. Nous disons aujourd'hui que les citoyens sont égaux devant la justice, comme nous disions auparavant que les hommes étaient égaux devant Dieu ou face à la mort. C'est une égalité de traitememt.

papillon a écrit:

L'égalité n'est pas juste un principe arbitraire d'une théorie politique. Nous disons aujourd'hui que les citoyens sont égaux devant la justice, comme nous disions auparavant que les hommes étaient égaux devant Dieu ou face à la mort. C'est une égalité de traitememt.

Personne n'a dit que l'égalité était un "principe arbitraire".

Dans le sens où l'on entend le concept de justice ici, la phrase : "les citoyens sont égaux devant la justice" n'a pas de sens. Entendons-nous bien : la justice, au sens politique, est un concept autre que celui de "système judiciaire". L'égalité n'est qu'une des valeurs pouvant sous-tendre la justice, et elle se décline en plusieurs versions (L'égalité libérale, l'égalité socialiste, etc.)

Mais c'est un bon exemple où le principe de la philosophie libérale et sa pratique ne correspondent pas totalement.

Devant le système judiciaire, le "pauvre" et le "riche ou puissant" ne seront pas égaux dans les traitements. D'abord, il y a des jeux de pouvoir où peuvent compter des "amis". Un directeur de police corrompu de mèche avec la mafia risque de mieux s'en sortir qu'un petit vendeur de drogue par exemple. Ensuite les bons avocats coûtent cher, un "pauvre" peut avoir recours à l'aide juridique qui est un peu négligée par les avocats, préférant travailler sur des contrats plus payants. Pour la classe moyenne, c'est aussi pire, chacun doit débourser de sa poche les honoraires des avocats. Un individu quelconque ne recevra pas un traitement identique selon sa condition sociale. Le libéralisme politique argue que c'est possible d'aller vers une égalité de traitement à condition que des mécanismes soient mis en place en ce sens. L'aide juridique est un de ces mécanismes, mais elle reste bien imparfaite, et chacun semble s'en accommoder cependant.