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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 7 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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PhiPhilo a écrit:
Quant aux cognitivistes monistes ("mental" = "neuronal"), ils sont contraints, soit à renoncer à employer les termes, désormais vides de sens
"Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ne sont pas vides de sens pour un cognitiviste, dans la mesure où l'on admet que les interactions neurophysiologiques qui les sous-tendent sont pour le moment inconnues. L'histoire de la science est inévitablement remplie d'exemples de mots qui furent utilisés faute de mieux avant que des progrès en mathématiques ou chimie, par exemple, permettent de formaliser rigoureusement les phénomènes et que vienne l'invention de mots plus précis, mieux définis. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que l'on est en droit de se poser la question : qu'est-ce qui se cache derrière les mots "Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ?

Pour ne rien dire des objections éthiques que font (heureusement) surgir toutes le tentatives d'assimilation du vivant au mécanique (encore une fois, on s'est beaucoup moqué de Descartes à ce propos
Des objections éthiques. Allusion sans doute à l'idée que considérer l'être humain comme une machine conduirait à pouvoir le traiter comme une machine. Qu'est-ce qui empêcherait de le considérer comme une machine pensante ? Nous considérer comme des machines généraliserait-il forcément le comportement des tortionnaires qui parcourt l'Histoire depuis toujours, dans les régimes dictatoriaux ou démocratiques en temps de guerre ou est le fait d'individus sadiques qui occupent chaque jour les actualités ? L'humanisme est-il une réalité ou un idéal impossible à réaliser pour des raisons biologiques ?

du point de vue éthologique, ce sont elles (ou "eux", en latin, c'est du neutre) qui déterminent causalement le comportement de l'organisme biologique
Dans quel manuel d'éthologie peut-on lire que les qualia déterminent causalement le comportement ???

Bref, la philosophie des qualia est et reste une philosophie à part entière sans aucune valeur scientifique (je n'ai pas dit : sans aucune valeur !)
Alors comment pourrait-on trouver dans un manuel d'éthologie que du point de vue éthologique (c'est-à-dire scientifique) ce sont eux qui déterminent le comportement des animaux ? Contradiction.

Or, il se pourrait bien que les états mentaux [et les états neuronaux soient hétérogènes, donc irréductibles les uns aux autres, non pas parce que les uns sont physiques (ou matériels) et les autres spirituels (ou immatériels), mais que, tout en étant physiques (ou matériels) tous les deux, les uns soient individuels (et donc facilement identifiables et traçables) et les autres... sociaux (et donc beaucoup plus difficilement objectivables, en tout cas avec les méthodes des sciences de la nature).
Cela me fait vaguement penser à la théorie des 3 mondes de K. Popper. Mais comme il s'agit d'une sorte de métaphysique (pour Popper on parle parfois de métaphysique du progrès scientifique), cela conduit à une réflexion strictement philosophique dans laquelle un neuroscientifique n'a aucune chance de retrouver ses petits. Peut-être est-ce le souhait de celui qui critique le scientisme, au profit des sciences humaines ?
Alternativement à l'analyse par les sciences sociales, je peux proposer une position qui entraîne peut-être moins de développements philosophiques mais qui me semble coller davantage aux faits scientifiques et historiques.
Quel inconvénient y aurait-il à envisager l'équivalence des niveaux mental et neuronal (monisme ou matérialisme-identité) ? Ceci conduit à conclure que le concept ou la notion de quale est inutile (c'est plus économique) et cela nous oblige à une modestie réaliste face à l'inconnu. Je vois deux raisons pour lesquelles l'idée des qualia peut s'imposer, à tort, à certains, à certains moments.
1) Notre naïveté, notre caractère présomptueux, notre ignorance, nos ambitions économiques et financières, tendent à nous cacher la réalité de la complexité de la matière vivante et de ses propriétés en tant que matière. C'est un phénomène habituel que cette attitude que nous avons qui consiste à imaginer qu'une percée scientifique (physique quantique, biologie moléculaire,…) va nous donner la solution à tous les problèmes, alors que la complexité, qui est ingérable, place toutes nos connaissances sur un progrès asymptotique, c'est-à-dire que quelle que soit l'étendue de nos connaissances, nous en sommes toujours au même point : nous ne connaissons jamais "Tout". L'étude de la matière vivante ne connaîtra jamais de point final et si une inconnue comme la conscience barre le chemin aujourd'hui, ce n'est pas une raison de renoncer à une approche matérialiste au profit d'une idée spiritualiste. Même si la seule idée de réseau neuronal rebute les diplômés en sciences humaines, ceux qui s'y intéressent ne pourront jamais admettre qu'ils devraient renoncer à les étudier. Il y a trop à découvrir dans la matière elle-même !
2) Le mental (suivant le dualisme) ou les qualia mettent une partie de notre vécu dans un monde "à part", "au-delà", comparable à celui qui était censé contenir l'âme immortelle de nos ancêtres. Même si l'on se dit athée, de la même façon que l'on peut constater que l'on est un "athée chrétien", dans le sens où l'on a conservé des processus de pensée hérités des siècles de christianisme, on peut avoir conservé cette habitude de pensée dualiste sans se rendre compte qu'elle nous sécurise en apportant cette impression que nous ne sommes pas qu'un corps, puisque notre "mental" ne serait pas réductible à notre cerveau matériel. C'est l'illusion de l'immortalité qui persiste.

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 7 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Bonjour Clément Dousset.

Je n’ai pas écrit que vous mettez « sur le même plan dédaigneux toute théorie qui prétend parler de la conscience » mais « toute théorie qui prétend parler de la conscience à partir de ses corrélats matériels ». Le complément déterminatif change beaucoup de choses.

Oui. Sans doute. Mais cela ne change rien à mon argument selon lequel on ne peut pas reprocher à celui qui s'intéresse à "toute théorie qui prétend parler de la conscience à partir de ses corrélats matériels", fût-ce pour la critiquer, de la dédaigner.

Vous parlez à mon propos de « philosophie des qualia ». Et vous dites : « la philosophie des qualia  ne me paraît pas en l’occurrence le type de solution le plus satisfaisant ». Mes connaissances philosophiques sont rudimentaires (aveu coûteux sur un forum de philosophie!) et je vois mal ce qu’il faut entendre par « philosophie des qualia » et encore moins comment j’en serais adepte. 

J'emploie l'expression "philosophie des qualia" parce que c'est le nom sous lequel est connu, depuis Peirce, le courant intellectuel qui s'intéresse aux qualia. Je ne sache pas qu'il existe une "théorie (scientifique) des qualia". Et pour cause. Comme vous le dites vous-mêmes :
Les qualia dont je parle là ne sont rien d’autres que des phénomènes de conscience simples, repérables et classifiables comme autant d’états de conscience liés à des stimulus distincts et se présentant comme une entité fixe, compacte et a priori inanalysable

Ce que vous définissez ici (et qui correspond d'ailleurs parfaitement à ce que le sus-nommé courant philosophique entend par là) n'est pas un phénomène empirique scientifiquement descriptible, mais une expérience privée. Ce qui est loin de priver de pertinence votre propos et celui des autres promoteurs de la conception des qualia (je me permets de vous conseiller vivement la lecture - en anglais - de l'article de Thomas Nagel). Simplement, l'exploration de la notion de qualia, faute de pouvoir s'appuyer sur des résultats empiriques objectifs, publics et vérifiables (ou réfutables), ne peut être conduite que de manière conceptuelle, autrement dit, philosophique. Et vous faites ça très bien. Pourquoi vous en excuser ?


Ce qui est indéniable en tout cas, c’est que ma théorie a besoin de l’observation empirique pour être soutenue et qu’elle s’effondre si l’observation la contredit.

Pas du tout. Si ce que vous appelez "ma théorie" doit être une théorie scientifique, alors elle s'arrête à l'observation empirique des conditions nécessaires de cette expérience privée que constitue le quale, donc en amont de celle-ci. Après, si (comme c'est votre cas) vous voulez aller plus loin, vous devez faire un saut dans le domaine conceptuel et vous devez donc quitter le domaine empirique. De facto, votre "théorie" se mue alors en thèse philosophique. Comme je l'ai déjà fait remarqué, toutes les grandes métaphysiques qui jalonnent l'histoire de la philosophie se sont nourries et continuent de se nourrir d'observations empiriques : Aristote disséquait des animaux, Descartes réalisait des expériences d'optique, Pascal découvrait la pression atmosphérique, etc. Sauf que, pour les uns et les autres, ces observations empiriques n'étaient pas une fin en soi mais ce que Russell appelle des "prémisses de fait" ("factual premises") pour un raisonnement conceptuel qui les conduisait à interroger la nature humaine. Encore une fois, c'est aussi ce que vous faites lorsque vous dites :
On peut mettre en regard plusieurs contenus subjectifs précis et des mesures corrélées de variation d’intensité de champ enregistrées par la magnétoencéphalographie

Car, quoi qu'on entende par "mettre en regard", vous ne pourrez corréler avec "des mesures de variation d'intensité de champ enregistrée par la magnétoencéphalographie", non pas des "contenus subjectifs précis" mais des réactions objectives (par exemple verbales, mais pas nécessairement : l'expérience peut être conduite avec de très jeunes enfants ou des animaux) dont vous inférez, sans jamais pouvoir l'établir empiriquement, qu'elles sont des manifestations desdits "contenus subjectifs précis".

C’est au fur et à mesure de cette exploration et seulement si elle a lieu qu’on pourra dire si oui ou non la science a quelque chose à nous expliquer sur le sujet de la conscience.

Non. Encore une fois, l'explication scientifique étant nécessairement de nature empirique, elle ne peut expliquer, au mieux, que les conditions nécessaires de l'émergence de la conscience. La preuve est que lesdites explorations scientifiques sont d'une utilité irremplaçable lorsqu'il s'agit d'expliquer et, plus encore, de remédier à certaines insuffisances cognitives bien déterminées, autrement dit, lorsque ces conditions nécessaires font défaut. Je prends un  exemple dans un domaine qui m'est cher : celui de la musique. J'ai lu récemment un livre écrit par Oliver Sacks, un neurologue américain, intitulé Musicophilia et dont la quatrième de couverture prétend pompeusement (et mensongèrement) nous expliquer pourquoi nous aimons ou détestons la musique sur la base d'un foisonnement de descriptions neurologiques. Or, tout l'ouvrage est constitué d'études de cas sur des personnes qui, soit sont complètement insensibles à la musique (ou à certaines caractéristiques sonores, je simplifie), soit, au contraire, y sont hyper-sensibles. Et dans tous ces cas, l'auteur relève une corrélation avec des anomalies (positives ou négatives) de fonctionnement des zones corticales dédiées à la perception musicale. Voilà ce que fait la science. Croire qu'elle peut en faire plus, en l'occurrence, aller au-delà de la stricte explication empirique, d'une part, cela relève du scientisme, autrement dit de la superstition, et, d'autre part, cela décrédibilise l'exigence de rigueur méthodique dont se réclame, à juste titre, la science moderne (post-kantienne).

S'il vous plaît, dites moi où et quand votre conférence pour que je puisse prendre mes dispositions afin de vous écouter

Eh bien je la tiendrai, en principe, au mois de mai 2019 à la Maison du Yoga au Plan d'Aups Sainte Beaume (83640), probablement un dimanche matin entre 10 h et 12 h. Si cela vous intéresse, je vous donnerai plus de précisions en temps utile. Il va de soi que je serais très honoré par votre présence.

Pour le reste,
"Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ne sont pas vides de sens pour un cognitiviste [...]. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que l'on est en droit de se poser la question : qu'est-ce qui se cache derrière les mots "Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ?

C'est, précisément, en quoi consiste une recherche conceptuelle (philosophique), distincte en cela d'une recherche empirique (scientifique).

Qu'est-ce qui empêcherait de le considérer [l'être humain] comme une machine pensante ?

... ou une pensée mécanique !

Dans quel manuel d'éthologie peut-on lire que les qualia déterminent causalement le comportement ???

Dans aucun, justement. C'est bien là le problème.

Alors comment pourrait-on trouver dans un manuel d'éthologie que du point de vue éthologique (c'est-à-dire scientifique) ce sont eux qui déterminent le comportement des animaux ? Contradiction.

Oui si la thèse des qualia prétend à la scientificité. Mais ladite thèse se présente, en général, comme philosophie des qualia.

Cela me fait vaguement penser à la théorie des 3 mondes de K. Popper. Mais comme il s'agit d'une sorte de métaphysique (pour Popper on parle parfois de métaphysique du progrès scientifique), cela conduit à une réflexion strictement philosophique dans laquelle un neuroscientifique n'a aucune chance de retrouver ses petits.

Nous sommes bien d'accord.

Peut-être est-ce le souhait de celui qui critique le scientisme, au profit des sciences humaines ?

Qui "critique le scientisme au profit des sciences humaines" ?

Le mental (suivant le dualisme) ou les qualia mettent une partie de notre vécu dans un monde "à part", "au-delà", comparable à celui qui était censé contenir l'âme immortelle de nos ancêtres. Même si l'on se dit athée, de la même façon que l'on peut constater que l'on est un "athée chrétien", dans le sens où l'on a conservé des processus de pensée hérités des siècles de christianisme, on peut avoir conservé cette habitude de pensée dualiste sans se rendre compte qu'elle nous sécurise en apportant cette impression que nous ne sommes pas qu'un corps, puisque notre "mental" ne serait pas réductible à notre cerveau matériel. C'est l'illusion de l'immortalité qui persiste.

Quel statut un tel énoncé doit-il revendiquer : science de la nature, science de l'homme, histoire, métaphysique, psychanalyse, psychologie de comptoir... ?

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 7 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Étant moi-même étudiant en Sciences Cognitives, je trouve ce post très intéressant et les échanges qui y ont lieu me permettent d'avoir un point de vue différent de mon champ de prédilection. Pour cela, je vous remercie.

PhiloGL a écrit:
nous ne connaissons jamais "Tout". L'étude de la matière vivante ne connaîtra jamais de point final et si une inconnue comme la conscience barre le chemin aujourd'hui, ce n'est pas une raison de renoncer à une approche matérialiste au profit d'une idée spiritualiste


Je me permets de vous citer pour engager mon commentaire, puisqu'en effet je pense aussi que cette variable inconnue qu'est la conscience est une entrave, voire une "anomalie" mais toutefois nécessaire si l'on souhaite progresser et créer de nouveaux paradigmes scientifiques selon Kuhn. Contrairement aux behavioristes qui ont tout simplement décidé d'ignorer ce problème, les cognitivistes cherchent justement à étudier et comprendre cette boîte noire, malgré nos connaissances actuelles et toutes les limites que cela implique. Les Sciences Cognitives se positionnent en tant que Sciences de la nature, et ont donc pour objet la nature elle-même. Ce qui amène à "naturaliser", c'est-à-dire à expliquer les phénomènes naturels de manière physique. Mais comment étudier l'esprit (j'entends ici conscience) comme un objet naturel ? Peut-on réellement naturaliser l'esprit ? Est-ce que l'esprit se réduirait à notre cerveau/nos états neuraux ? Mais si l'esprit n'est pas physique, comment l'étudier scientifiquement ? Toutes ces questions, plus ou moins réadaptées du dualisme cartésien, sont aujourd'hui fondamentales en Sciences Cognitives, puisqu'elles questionnent l'objet même de cette discipline.

Je préfère personnellement considérer notre conscience comme un objet mécanique/physique, ainsi on peut l'étudier et la naturaliser. Ce qui fait naturellement de moi un partisan de l'intelligence artificielle. Tout comme Hobbes.

Hobbes, Léviathan, Chapitre 5 : De la raison et de la science. a écrit:
Quand on raisonne, on ne fait rien d’autre que de concevoir une somme totale à partir de l’addition des parties, ou de concevoir un reste, à partir de la soustraction d’une somme d’une autre somme, ce qui, si on le fait avec des mots, consiste à concevoir la consécution [qui va] des dénominations de toutes les parties à la dénomination du tout, ou celle [qui va] des dénominations du tout et d’une partie à la dénomination de l’autre partie. Et bien que pour certaines choses, comme pour les nombres, outre additionner et soustraire, on nomme d’autres opérations multiplier et diviser, pourtant ce sont les mêmes opérations, car la multiplication n’est rien que le fait d’additionner des choses égales, et la division n’est rien que le fait de soustraire une chose, aussi souvent que c’est possible. Ces opérations n’appartiennent pas seule­ment aux nom­bres, mais à toutes les sortes de choses qui peuvent être addi­tionnées l’une à l’autre ou ôtées l’une de l’autre. De même que les spécialistes d’arithmétique enseignent comme on additionne ou soustrait des nombres, de même les spécialistes de géométrie enseignent comme on le fait avec des lignes, des figures (solides ou planes), des angles, des proportions, des temps, de degrés de vitesse, de force, de puissance, ainsi de suite. Les logiciens enseignent la même chose pour les consécutions de mots, additionnant ensemble deux dénominations pour faire une affirma­tion, et deux affirmations pour construire un syllogisme, et plusieurs syllogismes pour construire une démonstration; et de la somme, ou de la conclusion d’un syllogisme, ils sous­traient une proposition pour en trouver une autre. Les auteurs politiques additionnent ensemble des pactes pour découvrir les devoirs des hommes, et les jurisconsultes des lois et des faits, pour découvrir ce qui est juste et injuste dans les actions des particuliers. En somme, quel que soit le domaine, il y a place pour l’addition et la soustraction, et il y a aussi place pour la raison ; et là ou elles n’ont aucune place, la raison n’a rien à y faire du tout.

En dehors de tout cela, nous pouvons définir (c’est-à-dire déterminer) ce que signifie le mot raison quand nous la comptons parmi les facultés de l’esprit. Car la RAISON, en ce sens, n’est rien d’autre que le fait de calculer (c’est-à-dire additionner et soustraire) les consécutions des dénominations générales admises pour marquer et signifier nos pensées. Je dis marquer, quand nous calculons par nous-mêmes, et signifier quand nous démontrons ou prouvons à autrui nos calculs.


Mais la critique majeure qui peut être opposée à cette conception de la pensée qui la résume à un calcul plus ou moins complexe, c'est comme évoqué plus tôt dans la conversation : les qualia, qui sont une des contraintes principales à l'étude de la conscience et sa naturalisation. J'ai en tête l'expérience de pensée de la chambre de Marie de F. Jackson. Si l'on suppose que Marie sait TOUT ce qu'il y a à savoir sur les couleurs, il n'y a pas de raisons de croire qu'elle apprendra quelque chose de nouveau si on la met face à une couleur X pour la première fois. Cette expérience de pensée reste compliquée à se représenter, le résultat d'une telle situation est pour nous impossible à appréhender. Surtout "qu'il est apparemment impossible de comprendre comment les qualia peuvent émerger d’un système purement physique" (J. Dokic, Précis de philosophie analytique). Sans trop parler de la deuxième expérience de pensée sur les "zombies philosophiques" de David Chalmer, en soutien aux qualia où il définit son propre équivalent zombie, c'est-à-dire son double strictement physique de la façon suivante :
David Chalmer a écrit:
Il est identique à moi à la molécule près, identique jusqu'aux dernières propriétés de niveau inférieur postulées par une physique achevée, mais il est complètement dépourvu d'expérience consciente […] Sur un plan fonctionnel, il sera sûrement identique à moi ; il traitera le même genre d'information, il réagira de la même manière que moi aux inputs, et ses configurations internes seront modifiées de manière appropriée jusqu'à ce qu'en résulte un comportement indiscernable du mien […] Le problème est que rien dans ce fonctionnement ne sera accompagné de la moindre expérience consciente réelle. Il n'existera pas pour lui de ressenti phénoménal. Il n'y aura nul effet que cela fait d'être un zombie. 


Toutes ces expériences de pensée en faveur des qualia ne sont en réalité pas des arguments démonstratifs ou empiriques. Le matérialisme éliminativiste, défendu principalement par les Churchland ou encore Feyerabend, est par exemple persuadé qu'on pourra ramener tout les états mentaux (intentions, affects, etc.) à des états cérébraux. C'est certes optimiste et assez extrême comme position, mais je trouve que c'est possible que "dans trente ou quarante ans, la notion de quale paraîtra complètement ridicule et on construira des ordinateurs conscients". Je suis certainement biaisé mais c'est le parti que je souhaite soutenir puisqu'on doit bien se positionner entre ces trois positions majeures.

La première étant de considérer qu'il n'y a ni naturalisation, ni élimination : ce qui conduit à l'irréductibilité de la conscience par rapport au physique.
La seconde position est d'avoir pour ambition le fait de naturaliser le cerveau, comme on fait encore actuellement avec l'exemple du fonctionnalisme.
La troisième que j'ai exposée dans mon dernier point est l'élimination, la réduction de la conscience à la neurobiologie.

Je ne vois pas quelle autre position on peut tenir pour rendre compte de nos états mentaux sans rentrer dans un dualisme et être "assassiné" en quelques lignes.

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 7 Emptyl'énergie affective

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Qu'on me permette de revenir sur un point, pour moi essentiel, de mon article sur Dehaene et qui, curieusement, n'a pas été du tout abordé ici. Il s'agit de ce que j'ai appelé "l'énergie affective". Sans cette notion-là, ma position sur les qualia et sur la conscience ne peut apparaître dans sa véritable originalité.

Je recopie la partie de mon article où cette notion d'énergie affective est abordée et développée :

Le dédain de l'affectif

Ce « neurobiocentrisme » est loin toutefois d'être ce qui me gêne le plus. Ce qui m'alerte c'est la volonté de Dehaene de s'emparer de la conscience et de la nettoyer de tout contenu affectif. La façon dont il parle de la conscience phénoménale, des qualia est sans appel : « Dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d'expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l'information sera considérée comme une idée étrange de l'ère préscientifique. » (2) Or, pour en rester au seul plan des sensations, les qualia ne se réfèrent pas seulement à leur qualité particulière mais à leur contenu affectif marqué quantitativement (un bruit est plus ou moins fort, une lumière plus ou moins vive) et affectivement (une sensation est plus ou moins plaisante ou plus ou moins douloureuse). Prétendre expliquer la conscience sans expliquer le plaisir et la douleur en tant que réalités subjectives ne me paraît pas pertinent. L'affectivement neutre n'existe pas dans la conscience, quelle que soit l'illusion qu'on en ait.
Sans doute l'image visuelle est-elle l'objet de conscience sensible le moins sensuel que nous puissions percevoir, très loin de l'odeur sur ce plan en tout cas. Mais, si nous l'examinons, nous la voyons composée de grains de couleur ou de lumière qui coexistent en son sein avec chacun sa particularité propre et sa valeur affective. Une image est faite d'une myriade de micro-affects même si on ne la retient comme Dehaene que pour être le support d'un chiffre ou de la graphie d'un nom, c'est-à-dire que le support d'une information abstraite. L'image justement avant d'être le support d'une information (ce qu'elle est à l'occasion, ce qu'elle n'est pas par essence) est la concrétisation d'une énergie affective.

En quoi cette forme d'énergie est-elle la transformation d'une autre ? Et quel phénomène permettrait cette transformation ? C'est ce sur quoi Dehaene ne s'interroge pas et ce sur quoi on ne peut pas ne pas s'interroger si on ne veut pas parler de la conscience comme d'une forme vide. La réflexion ici, je le sens bien, risque d'être complexe, périlleuse ou oiseuse. Mais il est des moments où le raisonnement par analogie peut être un recours éclairant. Dehaene nous en fournit un des deux termes : « Lorsque nous regardons un vieil écran de télévision muni d'un tube cathodique, l'image clignote cinquante ou soixante fois par seconde et l'enregistrement des neurones du cortex visuel montre qu'ils clignotent à la même fréquence. »(3) Gardons le chiffre de 50 fois par seconde et donc la durée de 40 millisecondes comme correspondant à une image (4). Nous pouvons toujours considérer qu'il y a correspondance entre deux éléments. Le premier serait un certain segment d'onde électromagnétique d'une longueur d'environ 6000 km (5). Ce segment d'onde est modulé en amplitude de façon particulière induisant la forme particulière de l'image reçue par l'écran. Le second serait un certain état des oscillations coordonnées de neurones se prolongeant de façon fixe pendant 40 millisecondes et induisant la forme particulière de l'image perçue par la conscience. Il y a à chaque fois un signal et une image. Il y a à chaque fois aussi l'état initial d'un objet et son état final. Cette façon de voir permet d'apprécier la transformation des substances (c'est-à-dire des formes d'énergie) qui conduisent à l'actualisation de l'objet -image. Dans le cerveau, c'est le mystère. Dans le vieux téléviseur, c'est relativement aisé à décrire si l'on simplifie. Capté par l'antenne, le segment d'onde qui a pour substance l'énergie électromagnétique se transforme après entrée dans le démodulateur en une variation d'intensité électrique de 40 millisecondes. Cette variation d'énergie électrique fera, pendant 40 millisecondes toujours, varier l'énergie cinétique d'un flux d'électrons projeté dans le tube cathodique. Ce flux d'électrons balaye la face interne de l'écran de gauche à droite et de haut en bas pendant toujours 40 millisecondes. Donc on a passage de l'énergie électromagnétique à l'énergie électrique et de l'énergie électrique à l'énergie cinétique.
Et après ? L'image virtuelle devient-elle actuelle automatiquement sur l'écran qu'on regarde ? Eh bien, non. Si l'écran n'est que du verre opaque, il reste noir sinon d'un gris verdâtre. Pour que l'image y apparaisse, il faut autre chose. Il faut que chaque ligne de la face interne de l'écran soit tapissée d'une centaine de photophores. Sans ces minuscules appareils, l'énergie cinétique du flux d'électrons ne peut être transformée de façon modulée en énergie lumineuse. Tout le cheminement ingénieux s'arrête court. Et l'image reste virtuelle, désespérément. Ainsi donc électromagnétique, électrique, cinétique, puis lumineuse, l'énergie ne subit pas moins de trois transformations avant de devenir substance de l'image. Et selon des processus à chaque fois différents, rigoureux et précis. Tout en étant instantanés. Des neurones qui oscillent avec un rythme particulier et sûr à l'image qui jaillit dans notre conscience, ne pourrait-il pas en être ainsi ?
 


Évidemment le cadre complexe de la vision consciente ne permet pas d'étudier avec une clarté et une rigueur suffisantes sur le plan philosophique le contenu de  ce que j'appelle l'énergie affective. Je poursuis donc et précise mon étude dans deux articles. Un que j'ai déjà copié ici : "Le générateur de conscience peut être un objet simple". Un autre auquel je n'ai pas encore fait allusion: "les fondamentaux de la conscience"

Dans le premier article, j'évoque deux situations :

Voici un coureur de fond. Il s’entraîne dans la campagne. Sa course le mène à gauche au bord d’un champ ménagé en chemin d’où un sentier bifurque à droite. Il s’est engagé dans le chemin quand une odeur de lisier infecte le prend au nez autant qu’à la gorge. Le voilà qui qui s’arrête brusquement, se retourne, revient sur ses pas, s’engage dans le sentier qu’il avait délaissé sur sa droite et s’éloigne à prestes foulées du champ nauséabond.
Voici maintenant un ver minuscule, le nématode C elegans qui avance en sinuant sous l’objectif du microscope. Il se dirige vers la gauche et c’est de ce côté qu’on instille dans la solution où il baigne une goutte de quinine que notre elegans ne supporte pas. De fait on le voit se retourner et sinuer dans l’autre sens. Le ver fuit la mauvaise substance comme le coureur.


En mettant en regard ces deux situations, je rédige un commentaire. Ce commentaire entraîne une réflexion sur ce que j'appelle "les fondamentaux de la conscience". C'est le titre d'un article (Agoravox, 7-12-17) que je copie ici, au moins pour une large partie.

« Le générateur de conscience peut être un objet simple », ai-je écrit dans mon dernier article (1). Cet objet simple cependant appartient au monde des vivants. Ce peut être un animalcule comme le nématode C Elegans qui a 303 neurones. Pour dire qu’un si simple animal puisse être conscient, il faut s’appuyer fondamentalement sur une réalité simple. Cette réalité simple, c’est celle de l’énergie.
L’énergie au sens physique du mot est ainsi définie : « caractéristique que possède un système s’il est capable de produire un travail ». Le coureur que j’évoquais rebroussant chemin pour fuir l’odeur de lisier ou le nématode fuyant la concentration de quinine sont des systèmes effectuant un travail. Ce travail s’accompagne d’une dépense d’énergie mesurable en joules ou en calories. Mais la cause de ce travail, ce n’est pas l’énergie physique dépensée, c’est l’énergie psychique ressentie.
Nous ne pouvons pas parler du ressenti du nématode mais nous pouvons parler de celui du coureur. Malaise intense lié à l’odeur délétère, désir de supprimer ce malaise, volonté d’agir pour s’éloigner de la source nauséabonde, effort enfin qui soutient l’action corporelle effectuée : arrêt, volte-face, nouveau départ. Malaise (ou mal être ou douleur), désir, volonté, effort, telle est la succession logique en ce qu’elle se règle sur un enchaînement de cause à effet qui permet au système global du coureur et sans doute aussi à celui du nématode d’effectuer le travail constaté et mesurable en dépense d’énergie. Ainsi douleur, désir, volonté et effort apparaissent bien comme les états d’une forme d’énergie contenue dans la conscience et qui est l’unique cause de la dépense d’énergie effectuée. Tout se passe donc comme si l’énergie psychique n’était ni plus ni moins qu’une forme transformée de l’énergie au sens physique du mot. Elle est la caractéristique possédée par le système psychique qui lui permet de produire un travail. Si l’intensité du ressenti déplaisant n’existait pas, il n’y aurait pas de travail musculaire pour l’éviter. Notre coureur, atteint d’anosmie, continuerait sa route dans l’odeur nauséabonde.
Il faut être bien clair. Notre corps n’a pas besoin qu’existent des contenus de conscience pour effectuer diverses sortes de travail. D’abord de la circulation du sang à la respiration en passant par la digestion, notre corps multiplie les tâches dépensières en énergie sans que nous en ayons la moindre conscience. Ensuite bien des gestes, des actions que notre corps effectue se font aussi en dehors de la conscience. On peut même, en état de somnambulisme, avoir des comportements qui copient ceux de l’état de veille tout en étant profondément endormi. Mais lorsque nous ressentons une douleur ou un plaisir, éprouvons un désir, avons une volonté, fournissons un effort, l’actualité de notre conscience se confond avec l’actualité d’une force qui existe avant tout par son intensité et par le rapport qu’il y a entre cette intensité et la quantité de travail que nous pouvons effectuer à cause d’elle. Des émotions comme la peur, la colère etc. sont aussi des manifestations d’énergie psychique qui engendrent des comportements violents ou des efforts pour les contenir. Mais au-delà de nos émotions, nos pensées mêmes entrent dans un jeu de forces : affirmation, négation, mise en doute, adhésion etc. sans lesquelles elles n’ont plus accès à notre conscience. Qu’on enlève à la conscience l’intensité de la volonté et de l’affectif et il n’en reste rien.
Il y aurait ainsi des forces fondamentales à la base de la conscience comme il y en a pour supporter la matière. Mais il ne me paraît pas pertinent de penser que ces forces de la conscience existeraient au-delà d’elles, avant elles, présentes dans la nature dès l’origine, associées aux atomes, voire aux particules comme le voudrait une sorte de panpsychisme. En revanche, il me paraît certain qu’il y a des propriétés virtuelles des forces physiques fondamentales qui peuvent s’actualiser dans le psychisme, fût-il rudimentaire, des animalcules et qui supportent en dernière analyse le contenu présent à notre conscience, si élaboré soit-il.
Comment cette actualisation peut-elle se faire ? C’est à cette question que je propose un début de réponse en développant la théorie que j’ai appelé le modulisme (2). Elle présuppose certes la présence dans l’animal d’une structure inconnue qui permettrait le passage du physique au psychique mais elle s’appuie également sur l’existence assurée d’un champ magnétique interne d’une intensité modulée à tout instant par les diverses oscillations des neurones. Du nématode où deux neurones seulement permettent d’induire l’intensité d’un bien être ou d’un mal être en fonction de tel ou tel stimulus au cerveau humain où des milliards d’oscillations orchestrées dans le temps peuvent dessiner la physionomie et la couleur affective d’une sensation perçue, le même mécanisme producteur des forces fondamentales de la conscience (plaisir, déplaisir, désir, effort) me paraît à l’œuvre.


J'espère avoir ainsi suffisamment éclairé la notion particulière d'énergie affective que je défends. Cette notion me paraît devoir être au cœur du débat sur la conscience.

Pour la situer par rapport aux deux dernières interventions, je dois dire que, bien évidemment, elle ne peut s'accorder avec celle de Philophil puisque son "ordre de normativité pour un monde humain" à partir duquel selon lui naît la réalité de la conscience ne peut exister chez le nématode où, selon moi, l'énergie affective donne à cet individu vivant la possession d'une conscience réelle.

Pour "l'éliminativisme" d'Azyb, l'énergie affective est, comme pour Dehaene, soit un quale, c'est-à-dire un épiphénomène et elle perd sa substance et sa propriété d'énergie, soit tout simplement une forme d'énergie ayant la même réalité objective que les autres mais elle perd sa réalité affective.

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 7 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Bonjour Azyb.

Bienvenue dans le feu de la discussion ! D'autant qu'il est on ne peut plus utile pour nous d'avoir le point de vue 1) d'un jeune étudiant 2) d'un jeune étudiant en sciences cognitives. Cela dit, puisque nous sommes sur un forum philosophique, entrons d'emblée dans le débat conceptuel.

Tout d'abord, je trouve tout à fait significatif et un peu cavalier d'embrigader Hobbes sous la bannière des partisans de l'intelligence artificielle. Significatif parce que, pour étayer le courant dit IA, vous faites spontanément appel à un philosophe et non pas à un scientifique (après tout, vous auriez pu, tout aussi bien convoquer le Descartes du Traité des Passions). Cavalier parce que Le Léviathan est bien, en un certain sens, un traité de mécanique, mais c'est de mécanique sociale et politique qu'il s'agit et non de mécanique mentale même si, comme vous le citez justement, Hobbes semble, en passant, réduire la pensée à un calcul. Leibniz, à peu près à la même époque que lui, déclare tout à la fois que
Leibniz a écrit:
il faut bien entendu faire en sorte que tout paralogisme ne soit qu'une erreur de calcul [...]. De ce fait, lorsque naîtront les controverses, deux philosophes n'auront pas besoin de discuter davantage que deux calculateurs. Il suffira, en effet, de prendre la plume en main, de se mettre face aux abaques et de se dire l'un à l'autre [...] « calculons ! »

Leibniz, Écrits Philosophiques, VII.

Ce qui n'en fait pas un partisant de l'IA pour autant, puisque :

Leibniz a écrit:
en feignant qu’il y ait une machine dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception, on pourra la concevoir agrandie en sorte qu’on puisse y entrer comme dans un moulin. Et cela posé, on ne trouvera en la visitant au-dedans que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception

Leibniz, Monadologie, §17.

En tout cas, ni l'un ni l'autre ne peuvent être qualifiés de philosophes de l'esprit au sens où nous l'entendons aujourd'hui et, de toute façon, il n'y a pas de notion d'intelligence artificielle avant Turing.

Ensuite vous évoquez l'expérience de pensée dite "de la chambre de Marie" et celle du "zombie" de Chalmers. Soulignons d'abord que, mutatis mutandis, ces deux expériences de pensée ont la même fonction argumentative que celle dite du "cerveau dans une cuve" (the brain in a vat) de Putnam ou celui du "problème de Molyneux" évoqué par Locke. Dans tous les cas, il s'agit de se demander dans quelle mesure un apprentissage sensible est possible en dehors des conditions normales d'acquisition des connaissances. Et dans les quatre cas (Jackson, Chalmers, Putnam, Locke), on conclut que le sujet placé dans des conditions anormales d'apprentissage ne sait rien, en réalité, de ce qu'il aurait dû savoir s'il avait eu la perception directe du monde naturel et du monde social dans lequel le sujet est normalement placé lorsqu'il fait lesdites acquisitions. Donc, effectivement, c'est un puissant argument contre le physicalisme qui considère que l'apprentissage sensible se réduit à l'empreinte neuronale que laisse l'immersion dans un flux de données sensorielles. Mais je ne vois pas en quoi il y aurait là une "preuve" de l'existence des qualia. Encore une fois (pardon de me répéter, je l'ai déjà dit dix fois au moins) pour inférer "il existe des qualia" à partir de "on ne peut pas réduire le mental au neuronal", il faut faire un saut métaphysique en postulant, a priori, que l'alternative est "réductionnisme ou qualia" et tertium non datur ! De même, quand vous dites :
dans trente ou quarante ans, la notion de quale paraîtra complètement ridicule et on construira des ordinateurs conscients

je ne comprends pas comment vous inférez la partie de l'énoncé qui se trouve après "et" de la partie qui se trouve avant. Je ne suis pas sûr que ce genre de dichotomie nous aide à saisir la complexité du mind-body problem.

Une dernière chose : 
La seconde position est d'avoir pour ambition le fait de naturaliser le cerveau, comme on fait encore actuellement avec l'exemple du fonctionnalisme.

Ce n'est pas le cerveau que le fonctionnalisme prétend naturaliser (ça, c'est déjà fait depuis toujours), mais le mental (ou l'esprit, ou la conscience si vous préférez).

Allez, au plaisir.
________________________________________________________________________________________________________

J'enchaîne avec le post de Clément Dousset qui est arrivé au moment où j'enregistrais le mien.

Vous dites :

Qu'on me permette de revenir sur un point, pour moi essentiel, de mon article sur Dehaene et qui, curieusement, n'a pas été du tout abordé ici. Il s'agit de ce que j'ai appelé "l'énergie affective". Sans cette notion-là, ma position sur les qualia et sur la conscience ne peut apparaître dans sa véritable originalité. [...] J'espère avoir ainsi suffisamment éclairé la notion particulière d'énergie affective que je défends. Cette notion me paraît devoir être au cœur du débat sur la conscience.

Effectivement, cet aspect particulier n'a pas été, pour le moment évoqué bien qu'il soit, comme vous le dites, au cœur de la philosophie des qualia dans le sens où le concept d'"énergie affective" est, précisément, ce qui peut permettre de comprendre en quoi les qualia possèdent une efficacité causale de nature à déterminer le corps à se mouvoir (par exemple, j'en reviens à mon exemple favori dès qu'on évoque les qualia, celui de la chauve-souris de Nagel). Je répondrai que, de deux choses l'une :
- ou bien vous entendez par "énergie" ce que les physiciens y mettent communément, à savoir, pour un corps déterminé, le produit de sa masse par son accélération et par la distance qu'il parcourt (M.L^2.T^-2) et alors on ne comprend pas comment une entité "affective" (un quale) par hypothèse non réductible à une entité physique, peut posséder de l'"énergie" en ce sens
- ou bien vous entendez par là la même chose que les yogi, à savoir (j'entends déjà ricaner les imbéciles) ce qui est censé "circuler" lorsque l'adepte pratique le prânâyâma, c'est-à-dire la respiration consciente et rythmée destinée, précisément à "recueillir" ce qui est le propre de l'"esprit".

Du coup, certes, votre position
ne peut s'accorder avec [la mienne] puisque son "ordre de normativité pour un monde humain" à partir duquel selon lui naît la réalité de la conscience ne peut exister chez le nématode où, selon moi, l'énergie affective donne à cet individu vivant la possession d'une conscience réelle.

mais, malgré tout, si c'est la deuxième branche de l'alternative qui est la bonne, alors elle m'intéresse au plus haut point (pour des raisons personnelles sur lesquelles vous m'autoriserez à ne pas m'étendre).

Dernière édition par Euterpe le Dim 4 Juil 2021 - 0:08, édité 3 fois
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