PhiPhilo a écrit:"Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ne sont pas vides de sens pour un cognitiviste, dans la mesure où l'on admet que les interactions neurophysiologiques qui les sous-tendent sont pour le moment inconnues. L'histoire de la science est inévitablement remplie d'exemples de mots qui furent utilisés faute de mieux avant que des progrès en mathématiques ou chimie, par exemple, permettent de formaliser rigoureusement les phénomènes et que vienne l'invention de mots plus précis, mieux définis. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que l'on est en droit de se poser la question : qu'est-ce qui se cache derrière les mots "Pensée", "croyance", "émotion", "souvenir" ?Quant aux cognitivistes monistes ("mental" = "neuronal"), ils sont contraints, soit à renoncer à employer les termes, désormais vides de sens
Des objections éthiques. Allusion sans doute à l'idée que considérer l'être humain comme une machine conduirait à pouvoir le traiter comme une machine. Qu'est-ce qui empêcherait de le considérer comme une machine pensante ? Nous considérer comme des machines généraliserait-il forcément le comportement des tortionnaires qui parcourt l'Histoire depuis toujours, dans les régimes dictatoriaux ou démocratiques en temps de guerre ou est le fait d'individus sadiques qui occupent chaque jour les actualités ? L'humanisme est-il une réalité ou un idéal impossible à réaliser pour des raisons biologiques ?Pour ne rien dire des objections éthiques que font (heureusement) surgir toutes le tentatives d'assimilation du vivant au mécanique (encore une fois, on s'est beaucoup moqué de Descartes à ce propos
Dans quel manuel d'éthologie peut-on lire que les qualia déterminent causalement le comportement ???du point de vue éthologique, ce sont elles (ou "eux", en latin, c'est du neutre) qui déterminent causalement le comportement de l'organisme biologique
Alors comment pourrait-on trouver dans un manuel d'éthologie que du point de vue éthologique (c'est-à-dire scientifique) ce sont eux qui déterminent le comportement des animaux ? Contradiction.Bref, la philosophie des qualia est et reste une philosophie à part entière sans aucune valeur scientifique (je n'ai pas dit : sans aucune valeur !)
Cela me fait vaguement penser à la théorie des 3 mondes de K. Popper. Mais comme il s'agit d'une sorte de métaphysique (pour Popper on parle parfois de métaphysique du progrès scientifique), cela conduit à une réflexion strictement philosophique dans laquelle un neuroscientifique n'a aucune chance de retrouver ses petits. Peut-être est-ce le souhait de celui qui critique le scientisme, au profit des sciences humaines ?Or, il se pourrait bien que les états mentaux [et les états neuronaux soient hétérogènes, donc irréductibles les uns aux autres, non pas parce que les uns sont physiques (ou matériels) et les autres spirituels (ou immatériels), mais que, tout en étant physiques (ou matériels) tous les deux, les uns soient individuels (et donc facilement identifiables et traçables) et les autres... sociaux (et donc beaucoup plus difficilement objectivables, en tout cas avec les méthodes des sciences de la nature).
Alternativement à l'analyse par les sciences sociales, je peux proposer une position qui entraîne peut-être moins de développements philosophiques mais qui me semble coller davantage aux faits scientifiques et historiques.
Quel inconvénient y aurait-il à envisager l'équivalence des niveaux mental et neuronal (monisme ou matérialisme-identité) ? Ceci conduit à conclure que le concept ou la notion de quale est inutile (c'est plus économique) et cela nous oblige à une modestie réaliste face à l'inconnu. Je vois deux raisons pour lesquelles l'idée des qualia peut s'imposer, à tort, à certains, à certains moments.
1) Notre naïveté, notre caractère présomptueux, notre ignorance, nos ambitions économiques et financières, tendent à nous cacher la réalité de la complexité de la matière vivante et de ses propriétés en tant que matière. C'est un phénomène habituel que cette attitude que nous avons qui consiste à imaginer qu'une percée scientifique (physique quantique, biologie moléculaire,…) va nous donner la solution à tous les problèmes, alors que la complexité, qui est ingérable, place toutes nos connaissances sur un progrès asymptotique, c'est-à-dire que quelle que soit l'étendue de nos connaissances, nous en sommes toujours au même point : nous ne connaissons jamais "Tout". L'étude de la matière vivante ne connaîtra jamais de point final et si une inconnue comme la conscience barre le chemin aujourd'hui, ce n'est pas une raison de renoncer à une approche matérialiste au profit d'une idée spiritualiste. Même si la seule idée de réseau neuronal rebute les diplômés en sciences humaines, ceux qui s'y intéressent ne pourront jamais admettre qu'ils devraient renoncer à les étudier. Il y a trop à découvrir dans la matière elle-même !
2) Le mental (suivant le dualisme) ou les qualia mettent une partie de notre vécu dans un monde "à part", "au-delà", comparable à celui qui était censé contenir l'âme immortelle de nos ancêtres. Même si l'on se dit athée, de la même façon que l'on peut constater que l'on est un "athée chrétien", dans le sens où l'on a conservé des processus de pensée hérités des siècles de christianisme, on peut avoir conservé cette habitude de pensée dualiste sans se rendre compte qu'elle nous sécurise en apportant cette impression que nous ne sommes pas qu'un corps, puisque notre "mental" ne serait pas réductible à notre cerveau matériel. C'est l'illusion de l'immortalité qui persiste.