Re...
Vous me demandez si je fais de la philosophie ou de la science. Honnêtement, a priori, je ne fais ici qu'exprimer une pensée qui est peut-être de la philosophie mais certainement pas de la science. Si j'ai pu vous laisser croire que j'avais une prétention contraire, je vous prie de bien vouloir m'en excuser.
Oui mais vous postez sur un
forum d'échanges philosophiques. On peut donc présumer que vous prétendez donner à votre intervention, à tort ou à raison (et de mon point de vue,
à raison), une coloration
philosophique, non ?
Si je pensais que l'énergie psychique telle qu'elle peut se manifester dans la douleur, le plaisir, l'effort, la volonté, le désir, la force des sensations etc. n'était pas de l'énergie physique, ou l'était de façon analogique,métaphorique, poétique etc. je ne serais pas venu ouvrir ce fil sur ce forum.
Diriez-vous cela à Elisabeth Pacherie, Fred Dretske ou Thomas Nagel, c'est-à-dire à quelques-uns des représentants actuels de la philosophie des
qualia, si, par hasard, il leur prenait l'envie de participer à notre discussion ? Diriez-vous que, pour être un
qualiste (pardonnez le néologisme) digne d'intérêt, il faut défendre l'idée que les
qualia sont nécessairement
causalement déterminés et/ou déterminants ? Si vous tenez tant que cela à préserver la connexion causale vers et à partir ce que vous appelez l'"énergie psychique", je vous suggère d'adopter plutôt l'
intentionnalisme que je défends et dans le cadre duquel la
causalité existe réellement entre le
corps et l'
esprit (puisqu'en très très gros, le
corps c'est l'individu et l'
esprit le groupe social) même si elle n'est pas évaluable individuellement mais collectivement et statistiquement (les
dispositions qui nous font agir
intentionnellement sont
causées par le conditionnement matériel auquel nous sommes soumis et dont ils
causent, en retour, des modifications matérielles).
Nous éprouvons le poids des pierres, la force du vent, la violence du feu.
Et ... ? Cet argument ne prouve pas l'existence des
qualia, encore moins leur efficacité
causale. Cf. le plan de ce cours d'E. Pacherie où l'auteur discute justement de l'existence des
qualia.Ce que je crois, moi, c'est que l'énergie psychique a la même substance, la même réalité d'existence et a non pas la même forme ( il n'y a pas une forme d'énergie physique, il y en a plusieurs) mais est une forme particulière de l'énergie physique.
Vous avez le droit de croire tout ce que vous voulez. Mais bon, c'est un peu léger comme argument. Même en
philosophie. Supposons néanmoins que vous ayez raison. Comment expliquez-vous alors qu'il n'y ait pas un(e) seul(e) physicien(ne) qui mentionne l'"énergie psychique" au titre des divers aspects que peut revêtir l'
énergie ? Lisez ceci et dites-moi où vous voyez écrit "énergie psychique" !
Il faut être bien clair. Notre corps n’a pas besoin qu’existent des contenus de conscience pour effectuer diverses sortes de travail. D’abord de la circulation du sang à la respiration en passant par la digestion, notre corps multiplie les tâches dépensières en énergie sans que nous en ayons la moindre conscience. Ensuite bien des gestes, des actions que notre corps effectue se font aussi en dehors de la conscience. On peut même, en état de somnambulisme, avoir des comportements qui copient ceux de l’état de veille tout en étant profondément endormi. Mais lorsque nous ressentons une douleur ou un plaisir, éprouvons un désir, avons une volonté, fournissons un effort, l’actualité de notre conscience se confond avec l’actualité d’une force qui existe avant tout par son intensité et par le rapport qu’il y a entre cette intensité et la quantité de travail que nous pouvons effectuer à cause d’elle. Des émotions comme la peur, la colère etc. sont aussi des manifestations d’énergie psychique qui engendrent des comportements violents ou des efforts pour les contenir. Mais au-delà de nos émotions, nos pensées mêmes entrent dans un jeu de forces : affirmation, négation, mise en doute, adhésion etc. sans lesquelles elles n’ont plus accès à notre conscience. Qu’on enlève à la conscience l’intensité de la volonté et de l’affectif et il n’en reste rien.
Je souscris à tout ce que vous dites ici. Je remarque simplement que, entre ses deux occurrences, le terme "force" change de sens. Sens
physique dans la première occurrence, sens
non-physique (
psychique, si vous voulez) dans la seconde.
Donc, pas de malentendu. l'énergie psychique dont je parle est bien capable de produire un travail et est bien mesurable en joules
"Donc" introduit un lien de consécution. Si, comme je le pense, l'antécédent est contradictoire (deux acceptions incompatibles du même terme), effectivement, vous pouvez déduire n'importe quoi. Comme disaient les scolastiques,
ex falso quodlibet sequitur. Si, comme vous le pensez, il ne l'est pas, le conséquent est une pétition de principe ("l'énergie psychique est une énergie physique donc c'est une énergie physique"). Par ailleurs, un
joule étant 1 kg.m^2.s^-2, expliquez-moi comment vous vous y prenez pour "mesurer" la masse et l'aire d'un phénomène
non-physique (
psychique).
Il s'agit à chaque fois de fables, de paraboles mais qui sont destinées à faire sentir, admettre que l'énergie de la conscience existe bien substantiellement comme une forme d'énergie physique réelle.
"Faire sentir" est un procédé argumentatif tout à fait respectable, surtout en
philosophie. Cela dit, comme l'a remarqué Pascal, ce procédé s'adresse à l'intuition par le cœur et non pas à la démonstration par la raison.
Il s'agit à chaque fois de fables, de paraboles mais qui sont destinées à faire sentir, admettre que l'énergie de la conscience existe bien substantiellement comme une forme d'énergie physique réelle.
Durkheim écrit quelque part qu'il ne connaît pas de
monistes. Voulant dire par là que, même les prétendus
monistes purs et durs (il pense, notamment, à Spinoza et à Marx)
montrent qu'ils sont
dualistes dès qu'ils admettent qu'il y toujours deux manières de décrire un phénomène humain : une manière
physicaliste ("l'agitation moléculaire de mon organisme s'est élevée de 2 °C") et une manière
non-physicaliste ("j'ai chaud").
Vous ne faites pas exception : vous êtes
ontologiquement moniste (l'ameublement ultime de l'univers, c'est de la matière et rien d'autre), ce que presque tout le monde vous accordera aujourd'hui (pour ce qui me concerne, en tout cas, je vous l'accorde sans difficulté), mais
lexicalement dualiste puisque vous parlez d'"énergie physique"
et d'"énergie psychique".
Pour contrer des gens comme Dehaene qui veulent s'emparer de la conscience pour la néantiser, il le faudrait. Pour l'instant, je n'en suis pas sûr. On fait cependant des progrès extrêmes dans les mesures et on pourrait peut-être construire une expérience où on n'observerait pas bien sûr la présence de cette énergie physique psychique ou psycho-physique mais où on devrait admettre son existence par déduction. Après tout, il y a des milliers de choses que les physiciens ne pourront jamais observer mais dont ils sont obligés d'admettre l'existence
Dehaene, c'est
peanuts ! C'est une pitoyable marionnette agitée devant les
media parce qu'il incarne à merveille l'idéologie dominante (à ce propos, permettez-moi de vous conseiller de (re-)lire, ou, mieux, de (re-)voir, si vous en avez l'occasion, la pièce de Bertoldt Brecht
Galileo Galilei,
la Vie de Galilée, en français, vous verrez que
nihil novi sub sole !). Le problème, ce n'est pas Dehaene ou ses épigones scientistes zêlés. C'est, en l'occurrence, le paradigme selon lequel, puisque les machines savent calculer et que nous savons le faire nous aussi, alors nous sommes des machines. Ce paradigme, est d'une grande pertinence socio-historique dans la mesure où il justifie et perpétue le pouvoir d'une classe dominante qui a compris que, pour maximiser la productivité du travail, et donc,
in fine, ses profits, elle a intérêt à atomiser les travailleurs et à fractionner le plus possible les forces de travail (les compétences). Durkheim dirait qu'elle a intérêt à promouvoir entre les individus une
solidarité mécanique (dans laquelle un individu est remplaçable par un autre, une compétence par une autre, comme les pièces d'une
machine) plutôt qu'une
solidarité organique (au sein de laquelle les individus sont irremplaçables un peu comme les
organes d'un corps vivant). Tout cela pour dire qu'il faudra autre chose qu'un simple argument scientifique, philosophique, religieux, poétique ou autre pour balayer ledit paradigme.
Allez. Bon week-end et au plaisir.