L'obsession du fondement temporel.
Vous voyez là peut-être un "invariant anthropologique". Je ne saurais comment contester ce point de vue, qui, de toute façon, ne nécessite pas d'être contesté. Qu'il soit ensuite question de théologie est plus ennuyeux, étant donné l'opinion que l'on rencontre parfois selon laquelle la science serait une religion. Comme ce n'est qu'une opinion, je n'en parlerai pas. C'est aussi sans intérêt.
Il se trouve que la Biologie, depuis ses débuts, n'a cessé d'étudier le vivant sous tous ses aspects.
L'obsession du fondement n'est pas un "invariant anthropologique". C'est le trait constant de toute métaphysique depuis ses débuts que de chercher jusqu'à l'obsession à "fonder" toute recherche sur un roc de certitude. A cet égard, la démarche cartésienne est un modèle indépassable : Descartes écarte toute proposition douteuse pour ne retenir que ce qui est "
si clair et si distinct que je n'eusse aucune raison d'en douter" et qui, dès lors, constitue le fondement inattaquable recherché. Toute métaphysique commence donc, comme le souligne Descartes, par une "
évidence intuitive" qui pose un fondement à la recherche. En fait, ce n'est rien d'autre qu'une prémisse indémontrable (un axiome, un postulat) qui va tourner en boucle dans tout raisonnement (pour les uns c'est l'eau, pour les autre l'air, pour d'autres encore les nombres, pour beaucoup, c'est Dieu, pour Descartes, la substance pensante, etc.). Sauf que, au lieu d'admettre la nature arbitraire de leur(s) prémisse(s) fondamentale(s) (ainsi que le font Héraclite, Pascal, Spinoza, Hume, Marx, Nietzsche, Freud, Bergson, Einstein, Schrödinger, Wittgenstein, Bourdieu et quelques autres ...), certains (la plupart) sont littéralement obsédés (au sens névrotique défini par Freud) par leur intuition au point de n'avoir de cesse de vouloir fonder le fondement, puis le fondement du fondement, etc. La métaphysique est donc, en soi, loin d'être illégitime puisqu'elle est au contraire grande pourvoyeuse d'intuitions fécondes (toutes les grandes découvertes scientifiques font suite à des intuitions métaphysiques). Mais, plutôt que de se contenter de faire honnêtement le
job grammatical qu'on attend d'eux, certains métaphysiciens se prennent eux-mêmes pour des scientifiques et là commence le
delirium : on prétend posséder des "preuves" de l'existence de Dieu, on affirme qu'il y a des "expériences" mystiques, on déclare que l'individualisme possessif est inscrit dans l'ADN humain, et autres fadaises. Bref, on tourne en rond, on ne fait que développer interminablement ce qu'on a décrété au départ jusqu'à, bien entendu, conclure le raisonnement par la prémisse qui l'a initié. Comme l'a dit Russell, toute métaphysique est de la forme "
p implique
p", c'est-à-dire, au sens de Wittgenstein, n'est qu'un tissu de tautologies.
A cet égard, donc, les thèses de Dehaene qui prétend avoir découvert le "code de la conscience", celle de Dousset selon qui le nématode ressent du plaisir et de la douleur, ainsi que la vôtre prétendant que la biologie est l'étude du vivant (variante : l'étude de l'évolution de la cellule) sont de la métaphysique pure et simple. Sauf que ni Dehaene, ni Dousset, ni vous ne vous en rendez-compte (à moins que vous vous en cachiez, les uns et les autres, comme d'une maladie honteuse). Plus grave : alors que, traditionnellement, les métaphysiciens ont généralement singé la science sans pour autant se prétendre scientifique, VOUS TOUS revendiquez haut et fort le statut de scientifique. Vous n'êtes donc pas seulement métaphysiciens, mais aussi métaphysiciens scientistes. Et comme, dans vos esprits, LA science n'est que l'autre nom du Dieu omniprésent, omniscient et omnipotent, vous vous comportez typiquement comme des théologiens.
PS : en dépit d'une "définition" wikipédesque qui se contente de piller l'étymologie grecque, la biologie n'est science ni des vivants (contrairement à la botanique, à l'ornithologie, à la virologie, à l'anthropologie, à l'entomologie, etc.), ni de la vie (si la plupart des biologistes préfèrent éliminer cette notion métaphysique en lui préférant celle de processus physico-chimiques, c'est bien parce que la biologie étudie des fonctions tissulaires ou organiques).