aliochaverkiev a écrit:Schopenhauer est cité comme étant le commentateur le plus fin de Kant
Euterpe a écrit:Schopenhauer se veut au contraire un kantien conséquent, et même le plus conséquent des kantiens
Ceci ne voulant pas dire la même chose que cela. Ce n'est pas très grave.
aliochaverkiev a écrit:Euterpe cite Schopenhauer :Le côté réel, lui, doit être radicalement distinct du monde comme représentation, il est ce que les choses sont en elles-mêmes.
Lorsque Kant dit que le phénomène est un apparaître, il n'emploie pas le mot apparaître comme signification imparfaite voire falsifiée de la chose en soi
Schopenhauer non plus. Il ajouterait :
Ainsi donc, l'impénétrabilité empirique de tous les êtres de la nature est une preuve a posteriori du caractère purement idéal et phénoménal de leur existence empirique.
aliochaverkiev a écrit:l'apparaître est bien réel. C'est un réel distinct de la réalité de la chose en soi mais c'est bien un réel. L'apparaître n'est pas illusion
Schopenhauer ne dit pas le contraire. La représentation est une réalité : la réalité d'une représentation. Quant à l'emploi du terme « apparaître », il est quelque peu imprudent, ici, dans la mesure où Kant distingue deux acceptions de l'apparence, distinction essentielle pour la Critique de la raison pure (cf. Théorie transcendantale des éléments, 2°partie, Introduction, I, « De l'apparence transcendantale » (cf. l'apparence logique et l'apparence transcendantale)).
aliochaverkiev a écrit:L'opposition n'est pas chez Kant entre le réel et l'idéal, il est entre le réel connaissable et le réel non-connaissable.
Schopenhauer distingue, sans les opposer, le réel (chose en soi, i. e. ce qui échappe à toute représentation) et la représentation (phénomène, i. e. ce qui, du réel, nous est accessible). Reprenons le texte lui-même : « on ne dépassera jamais la représentation, c'est-à-dire le phénomène, si l'on part de la connaissance objective, autrement dit de la représentation », ce qui signifie littéralement que la représentation ne saurait constituer un quelconque point de départ à partir duquel accéder à la chose en soi. Selon Schopenhauer toujours, il faut sortir, autant qu'il est possible, de la représentation elle-même. Autrement dit, il ne faut pas chercher à perfectionner la connaissance. Aussi objective soit-elle, elle n'en demeure pas moins une connaissance, c'est-à-dire une représentation, c'est-à-dire encore ce qui nous interdit d'accéder au réel (à la chose en soi). Il choisit un autre chemin que celui de la raison. Il n'y a pas là une opposition imputée à Kant et qui serait un contresens imputable à Schopenhauer. Les deux savaient bien que « le concept de chien n'aboie pas », pour reprendre ce que d'aucuns attribuent à Spinoza. Si le concept est bien référé à une réalité, il n'est pas la réalité qui lui sert de référence.
aliochaverkiev a écrit:Euterpe a écrit:renonce à descendre le cours du processus physique de la représentation du plus simple au plus complexe, de l'image à la raison en passant par le concept... du plus subjectif... au plus objectif.
Ce mot "descendre" peut prêter à confusion. S'il signifie que nous passons chronologiquement du subjectif à l'objectif, cette chronologie descriptive, écrite par Kant dans la présentation des trois synthèses, n'est pas une chronologie dans le temps. C'est une chronologie analytique. Il n'y a pas le subjectif, puis constitution d'une représentation intermédiaire soumise ensuite, dans une succession temporelle, aux catégories (qui attendent la soumission) au contraire c'est bien l'action immédiate des catégories dans l'unité synthétisante de la conscience qui construit le divers de l'intuition. Le divers de l'intuition est aussitôt agi par les concepts purs de l'entendement qui mettent immédiatement en relation les sensations entre elles (selon d'autres lois que celles de la simple association) pour construire l'objet scientifique.
Je répondrai en commençant par rappeler qu'on ne trouve pas chez Kant que des concepts purs de l'entendement (les catégories, ou encore concepts primitifs). Vous oubliez les concepts purs a priori de l'espace et du temps, ou formes de la sensibilité, qui précèdent les catégories (cf. chapitre II de l'Analytique des concepts) ; mais aussi tous les concepts dont la déduction n'est pas transcendantale (les concepts dérivés) ; enfin, et surtout, vous oubliez les concepts rationnels (concepts rationnels objectifs et concepts rationnels subjectifs). Schopenhauer se réfère, entre autre à ce fameux passage de la Critique de la raison pure, Théorie transcendantale des éléments, 2°partie, Introduction, II, A, « De la raison en général » :
Toute notre connaissance commence par les sens, passe de là à l'entendement et finit par la raison. Cette dernière faculté est la plus élevée qui soit en nous pour élaborer la matière de l'intuition et ramener la pensée à sa plus haute unité. Comme il me faut ici donner une définition de cette suprême faculté de connaître, je me trouve dans un certain embarras. Elle a, comme l'entendement, un usage purement formel, c'est-à-dire logique, quand on fait abstraction de tout contenu de la connaissance ; mais elle a aussi un usage réel, puisqu'elle contient elle-même l'origine de certains concepts et de certains principes qu'elle ne tire ni des sens, ni de l'entendement. Sans doute, la première de ces deux fonctions a été définie depuis longtemps par les logiciens comme la faculté de conclure médiatement (par opposition à celle de conclure immédiatement, consequentiis immediatis) ; mais la seconde, qui produit elle-même des concepts, ne se trouve point expliquée par là. Puis donc qu'il y a lieu de distinguer dans la raison une faculté logique et une faculté transcendentale, il faut chercher un concept plus élevé de cette source de connaissances, un concept qui renferme les deux idées. Cependant nous pouvons espérer, d'après l'analogie de la raison avec l'entendement, que le concept logique nous donnera aussi la clef du concept transcendantal, et que le tableau des fonctions logiques de la raison nous fournira en même temps celui des concepts de la raison.
Or on ne passe pas des sens à la raison autrement que chronologiquement, puisqu'on apprend à penser. L'ordre (et non la chronologie) analytique est postérieur, du reste, à l'ordre chronologique, puisqu'il exige que la pensée se pense elle-même.
aliochaverkiev a écrit:Schopenhauer ne parle pas d'image finale mais d'image initiale, qu'il assimile à l'intuition (« les représentations intuitives ou images »), intuition qu'il tient pour une connaissance originaire, non certes le tout de la connaissance, mais originaire en ceci que toute connaissance commence par là. Ce qui répond à votre remarque ci-dessous :ce n'est pas l'image finale qui donne naissance aux concepts généraux.
aliochaverkiev a écrit:Ensuite Schopenhauer juge que c'est la représentation intuitive qui est la connaissance originaire. Pour Kant il n'y a pas de connaissance à proprement parler dans la seule intuition. Une connaissance a besoin de deux sources pour s'imposer comme connaissance : l'intuition et l'entendement.
aliochaverkiev a écrit:Ainsi la volonté est encore dans l'ordre du phénomène, non de la chose en soi.
Reprenons le texte de Schopenhauer, encore une fois :
La volonté de Schopenhauer n'est pas seulement un phénomène, mais « le phénomène le plus proche et le plus précis de la chose en soi ». Pour qu'elle ne fût qu'un phénomène, il faudrait pour cela qu'elle en soit aussi le concept correspondant. Mais nous ne sommes plus là dans le cadre de la philosophie kantienne, la volonté n'est le résultat d'aucune déduction. Elle échappe, pour partie, à la représentation.[La connaissance que chacun a de son propre vouloir] ; cette connaissance n'est pas une intuition (toute intuition étant située dans l'espace) et n'est pas non plus vide ; elle est au contraire plus réelle qu'aucune autre. Elle n'est pas non plus a priori, comme la connaissance purement formelle, mais entièrement a posteriori [...]. En fait, notre volonté nous fournit l'unique occasion que nous ayons d'arriver à l'intelligence intime d'un processus qui se présente à nous d'une manière objective ; c'est elle qui nous fournit quelque chose d'immédiatement connu, et qui n'est pas, comme tout le reste, uniquement donné dans la représentation.
Surtout, c'est Schopenhauer lui-même qui prend soin de préciser (reprenons le texte, encore et toujours) que « cette connaissance de la chose en soi n'est pas complètement adéquate », et que la question de savoir ce qu'est cette volonté « ne recevra jamais de réponse ». Il reste toujours « quelque chose de mystérieux et d'insondable » ; « nous devinons que quelque chose est caché là-dessous, mais ce quelque chose nous ne pouvons pas le connaître ».
aliochaverkiev a écrit:Le concept d'expression est antérieur à l'énigme de la chose en soi ; on le trouve chez Spinoza, et même chez certains théologiens du moyen âge.D'où la forge de nouveaux concepts comme celui d'expression.
aliochaverkiev a écrit:Je suis en train de lire les Prolégomènes et surprise ! Kant envisage la liberté comme chose en soi pouvant avoir un effet, mais n'ayant pas elle-même de cause.
Ce qui doit aussi vous inciter à la patience, n'allez pas plus vite que le cours de votre lecture et de votre découverte progressive de l'œuvre.
aliochaverkiev a écrit:Si la chose en soi est un jour "connue", elle ne pourra l'être dans une représentation, mais dans une "intuition" pure intellectuelle. La chose en soi relèvera alors de l'intelligible pur, ce qui signifie qu'elle ne pourra pas être représentée au sens usuel du terme.
Ce que Schopenhauer rejette fermement. Dans l'hypothèse où l'on souhaite accéder à la chose en soi, s'il faut certes, d'après lui, sortir de la représentation, il faut également renoncer aux intuitions intellectuelles. On peut lire ceci, dans le texte qui précède immédiatement ma citation de la page 882 du MVR un peu plus haut :
Les systèmes qui prennent leur point de départ dans une intuition intellectuelle, dans une extase ou une voyance, présentent encore moins de garanties ; toute connaissance acquise de la sorte doit être écartée comme subjective, individuelle et conséquemment problématique.
Si une confrontation des œuvres vous intéresse, je vous propose de créer un fil de discussion dans l'atelier de lecture du site, pour une analyse comparée, par exemple entre l'Appendice « Critique de la philosophie kantienne », qui précède immédiatement les Suppléments aux quatre livres du Monde comme volonté et comme représentation, et les textes de Kant. Compte tenu de la difficulté du sujet de ce topic, les interventions doivent se concentrer sur la nature de la volonté chez Schopenhauer, et non digresser sur la lecture schopenhauerienne de Kant, ou la version kantienne de Schopenhauer.
Cordialement.