Silentio a écrit: Ça me rappelle le procès Eichmann et la question de la banalité du mal. L'homme s'est révélé être lucide et très intelligent. Il savait ce qu'il faisait et a mis volontairement en application des idées qu'il avait élaborées ou qu'il partageait. Mais on comprend difficilement comment un homme sensé peut faire le choix de commettre ce mal.
Un homme sensé mais surtout insensible, pour qui l'humanité n'existe plus. C'est bien le problème de l'idéologie, je ne veux pas dire par ce mot une pensée simpliste reprise en chœur par des milliers de personnes, mais vivre uniquement par et pour des idées, au mépris de l'homme de chair et de sang que nous sommes tous
avant tout. Par ailleurs, son acte est politique. C'est un extrémiste comme il en existe partout, par choix délibéré. Traite-t-on les idéalistes de fous ?
Non, je ne le qualifierais pas d'extrémiste, évidemment je parle de ses idées et non de ses actes qui sont d'une violence extrême, quoique un peu dématérialisée par l'utilisation d'une arme qui tue à distance. Ses idées sont d'une grande banalité, vous les trouverez actuellement dans la bouche de presque tous les hommes politiques d'Europe qui se déclarent de droite. Et c'est là que réside la plus grande inquiétude à mon avis : une idée banale, c'est-à-dire reprise par des millions de personne
s, peut, si elle contient un ferment de haine, prendre des proportions gigantesques, démultipliée par la boucle infernale que constitue internet, qui brasse et mélange les idées partout sur la planète.
Un idéaliste n'est pas non plus un extrémiste. C'est quelqu'un qui se coupe de la réalité, qui vit dans un autre monde. Cet homme n'est ni un fou ni un extrémiste. Pourquoi avoir choisi de tuer ? C'est simple, je qualifierai son acte d'un mot que nous connaissons tous très bien ici : le nihilisme, la volonté du néant, du rien. Il nie les musulmans, il nie les gauchistes ("marxistes" sous sa plume), il nie le multiculturalisme (s-e l'immigration). Comment réalise-t-on la négation ? Par le meurtre s'il s'agit d'hommes, par la destruction s'il s'agit de choses.
Euterpe a écrit: Silentio a écrit: son organisation méticuleuse et son parcours le montrent plutôt comme quelqu'un qui sait ce qu'il fait
C'est par là qu'il est inquiétant. Or c'est toute notre société qui est une hyperorganisation faite d'organisations multiples qui s'enchevêtrent inextricablement. On appelle ça la raison technicienne à l'œuvre, à ce qu'il paraît. Cet homme est un pur produit de notre société, il agit en conformité avec elle et avec les moyens qu'elle se donne. Une armée (qu'un État commande, chez nous) ne fait pas autre chose que ce qu'il fait. La seule différence est dans la légalité, l'équipement vestimentaire, la coupe de cheveux et les moyens techniques ou technologiques employés.
Exactement, sa façon de faire est militaire d'un bout à l'autre, minutieusement préparée et accomplie avec un sang-froid de technicien, ainsi par exemple, les 75 secondes entre le moment où il gare sa voiture et l'explosion, ainsi que son adaptation au grain de sable imprévu, quand il tue le seul policier en civil et non armé qui avait été prévenu par une passagère de l'existence de ce personnage inquiétant sur le bateau qui les menait à l'île d'Utoeya. Donc nous sommes face à ce paradoxe inquiétant : la puissance que donne à chaque individu l'hyper normalisation de l'action collective, destinée au progrès, au bienfait de tous par tous, et qui détournée de son usage habituel, permet à un homme seul de se travestir assez facilement en professionnel de la guerre.
jean ghislain a écrit: C'était peut-être tout simplement un fanatique chrétien comme les autorités l'ont décrit, qui a cru bon de tuer pour sa cause.
Il n'y a rien de religieux en lui, il n'agit pas pour un au-delà ou sur l'ordre d'un ministre du culte, comme les kamikazes islamistes par exemple.