Voici un sujet dont on n'interroge jamais les présupposés.
Généralement, on admet comme allant de soi l'idée suivante : depuis le XIXème siècle, les révolutions politiques et économiques (dont le développement du "capitalisme sauvage") ont remis en cause les structures traditionnelles (État, École, Religion, Famille) qui avaient pour fonction de fournir des repères solides ainsi que des valeurs stables aux individus. La conséquence de cette idée est de considérer que la société aurait le "néolibéralisme" comme idéologie dominante, avec la disparition progressive de l'État providence. Il est ainsi fort courant en France d'entendre dire que le marché et le "néolibéralisme" seraient responsables de tous les maux : légitimation des inégalités sociales, sécurité sociale en voie de disparition, développement de l'individualisme forcené, de l'égoïsme, etc.
Or si on examine l'idée, on peut remettre en cause le lien mécanique supposé entre libéralisme économique et effritement des structures traditionnelles. Prenons historiquement la France avec son idéalisme républicain existant depuis la fin du XVIIIème siècle avec l'ambition, sous la Terreur, de voir disparaître la religion (que l'on peut percevoir comme une source d'autorité en tant qu'institution). L'ambition républicaine a permis l'effacement des différences régionales en France, avec la perte de légitimité de certaines langues et coutumes (basques, bretonnes). Bref, on voit nettement, grâce à ces exemples, que ce n'est pas nécessairement la "mondialisation" qui serait la cause de l'effritement des structures traditionnelles mais bien l'État qui aurait une part de responsabilité. Souvenons-nous de Tocqueville qui disait que l'État est le seul lien de l'individu avec la société (étant donné que les associations étaient prohibées), mais que ce même État est éloigné de l'individu qui est donc "atomisé". Prenons un autre exemple (caricatural) avec un citoyen ayant un casier judiciaire vierge issu de la France contemporaine : qu'est-ce qui m'empêche, une fois mes impôts payés, de me comporter comme un "salaud" ? C'est-à-dire en ne respectant rien ni personne, en n'ayant aucune valeur, etc. ? Peut-on vraiment dire que ce comportement a quelque chose à voir avec le développement du marché et les délocalisations ? On peut supposer que ce n'est aucunement la "solidarité" envers mon prochain qui pousse à cotiser pour la sécurité sociale, mais l'espoir de pouvoir en bénéficier, à mon tour, un jour, à moindres frais. Autrement dit, l'État, dans ce cas précis, peut être vu comme le responsable, en partie, de l'effritement des structures traditionnelles. Les libéraux et conservateurs (qui soutiennent la pluralité des sources d'autorité) ne seraient pas en désaccord. On trouvera souvent l'idée, parmi les politiques et autres, qu'il y aurait une disparition de l'autorité de l'école et de la famille, etc. Néanmoins, ces entités n'auraient pas une existence propre, en plus d'une autorité indépendante, non, ce serait l'État qui insufflerait, tel un cœur, l'autorité nécessaire.
Abordons maintenant la nécessité d'avoir un "cadre". Autrement dit, les supermarchés ne poussent pas comme des champignons. Prenons un exemple caricatural : si j'en construis un dans une société "traditionnelle", alors les autochtones ne vont pas se presser pour acheter des articles. Le fait d'acheter un article implique un certain nombre de choses, comme une adhésion "culturelle" à ce système économique. Par conséquent, la cohabitation entre les structures traditionnelles d'un côté et le marché n'est aucunement incompatible. Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme nous dit que "l'esprit du capitalisme" est apparu aux alentours du 16-17ème siècle grâce au protestantisme qui voyait dans le succès de l'activité économique un indicateur du salut de l'âme. Peu importe que la thèse soit fausse, l'idée à retenir étant d'une part que le capitalisme doit être vu comme un processus (qui n'est donc pas apparu en un claquement de doigts). D'autre part, que la religion et le marché peuvent coexister sans que l'autorité de la religion soit menacée. Clastres, quant à lui, nous montre dans La société contre l'État que des sociétés traditionnelles ont pu exister sans État, ce qui n'empêchait pas l'existence de coutumes, de hiérarchies sociales, etc., constitutives de ces sociétés.
Que pensez-vous de ce sujet crucial dont la réponse n'est pas évidente (contrairement à ce que l'on nous incite à croire) ?
Dernière édition par Kthun le Ven 31 Aoû 2012 - 3:06, édité 1 fois
Généralement, on admet comme allant de soi l'idée suivante : depuis le XIXème siècle, les révolutions politiques et économiques (dont le développement du "capitalisme sauvage") ont remis en cause les structures traditionnelles (État, École, Religion, Famille) qui avaient pour fonction de fournir des repères solides ainsi que des valeurs stables aux individus. La conséquence de cette idée est de considérer que la société aurait le "néolibéralisme" comme idéologie dominante, avec la disparition progressive de l'État providence. Il est ainsi fort courant en France d'entendre dire que le marché et le "néolibéralisme" seraient responsables de tous les maux : légitimation des inégalités sociales, sécurité sociale en voie de disparition, développement de l'individualisme forcené, de l'égoïsme, etc.
Or si on examine l'idée, on peut remettre en cause le lien mécanique supposé entre libéralisme économique et effritement des structures traditionnelles. Prenons historiquement la France avec son idéalisme républicain existant depuis la fin du XVIIIème siècle avec l'ambition, sous la Terreur, de voir disparaître la religion (que l'on peut percevoir comme une source d'autorité en tant qu'institution). L'ambition républicaine a permis l'effacement des différences régionales en France, avec la perte de légitimité de certaines langues et coutumes (basques, bretonnes). Bref, on voit nettement, grâce à ces exemples, que ce n'est pas nécessairement la "mondialisation" qui serait la cause de l'effritement des structures traditionnelles mais bien l'État qui aurait une part de responsabilité. Souvenons-nous de Tocqueville qui disait que l'État est le seul lien de l'individu avec la société (étant donné que les associations étaient prohibées), mais que ce même État est éloigné de l'individu qui est donc "atomisé". Prenons un autre exemple (caricatural) avec un citoyen ayant un casier judiciaire vierge issu de la France contemporaine : qu'est-ce qui m'empêche, une fois mes impôts payés, de me comporter comme un "salaud" ? C'est-à-dire en ne respectant rien ni personne, en n'ayant aucune valeur, etc. ? Peut-on vraiment dire que ce comportement a quelque chose à voir avec le développement du marché et les délocalisations ? On peut supposer que ce n'est aucunement la "solidarité" envers mon prochain qui pousse à cotiser pour la sécurité sociale, mais l'espoir de pouvoir en bénéficier, à mon tour, un jour, à moindres frais. Autrement dit, l'État, dans ce cas précis, peut être vu comme le responsable, en partie, de l'effritement des structures traditionnelles. Les libéraux et conservateurs (qui soutiennent la pluralité des sources d'autorité) ne seraient pas en désaccord. On trouvera souvent l'idée, parmi les politiques et autres, qu'il y aurait une disparition de l'autorité de l'école et de la famille, etc. Néanmoins, ces entités n'auraient pas une existence propre, en plus d'une autorité indépendante, non, ce serait l'État qui insufflerait, tel un cœur, l'autorité nécessaire.
Abordons maintenant la nécessité d'avoir un "cadre". Autrement dit, les supermarchés ne poussent pas comme des champignons. Prenons un exemple caricatural : si j'en construis un dans une société "traditionnelle", alors les autochtones ne vont pas se presser pour acheter des articles. Le fait d'acheter un article implique un certain nombre de choses, comme une adhésion "culturelle" à ce système économique. Par conséquent, la cohabitation entre les structures traditionnelles d'un côté et le marché n'est aucunement incompatible. Max Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme nous dit que "l'esprit du capitalisme" est apparu aux alentours du 16-17ème siècle grâce au protestantisme qui voyait dans le succès de l'activité économique un indicateur du salut de l'âme. Peu importe que la thèse soit fausse, l'idée à retenir étant d'une part que le capitalisme doit être vu comme un processus (qui n'est donc pas apparu en un claquement de doigts). D'autre part, que la religion et le marché peuvent coexister sans que l'autorité de la religion soit menacée. Clastres, quant à lui, nous montre dans La société contre l'État que des sociétés traditionnelles ont pu exister sans État, ce qui n'empêchait pas l'existence de coutumes, de hiérarchies sociales, etc., constitutives de ces sociétés.
Que pensez-vous de ce sujet crucial dont la réponse n'est pas évidente (contrairement à ce que l'on nous incite à croire) ?
Dernière édition par Kthun le Ven 31 Aoû 2012 - 3:06, édité 1 fois