Liber a écrit: Je reproche l'inverse à des gens comme Leopardi ou Valéry. J'aimerais connaître leurs passions, ce qui les a fait vivre, car même la pensée est une passion (cf. le cas Nietzsche). Je n'aime pas l'émotion brute, je la crois sans intérêt en art ou en littérature, mais tout écrivain de grand talent spiritualise la passion. Cela me suffit, je n'ai pas besoin qu'il en tire une pensée à portée universelle. Les critiques de tout poil s'en chargeront.
Valéry est un intellectuel, mais Leopardi est un cérébral. Ses pensées sont exclusivement personnelles, mais jamais l'occasion d'une introspection. Peu ont écrit comme lui, non
à propos de l'amour, mais en train de
vivre les affres et les joies de l'amour. Retirez l'expérience vécue de Leopardi, sa pensée disparaît aussitôt. Chez Valéry, malgré son intellectualisme, et à force de le fréquenter, on parvient à retrouver ou plutôt à reconstituer son expérience vécue. Montherlant ne parle que de lui, mais parlant de lui, ce n'est pas de lui qu'il est question (il n'est pas autobiographique, introspectif, comme l'était un Rousseau par exemple), mais de la vie. Stendhal est également un maître en la matière parce qu'il procède comme un "scientifique" : ce n'est pas sa petite personne qui l'intéresse, mais ce que c'est que de vivre (cf. son égotisme et tout ce qu'il dit de l'amour). La vie est-elle un objet littéraire ? Voilà l'une des principales questions qui taraudent les romantiques. Ce faisant, quand ils écrivent des œuvres littéraires pour spiritualiser leurs passions, ils recourent souvent au symbolisme (Keats, par exemple, qui platonise parfois malgré son matérialisme). Hölderlin et Leopardi me paraissent les plus talentueux pour éviter, soit d'y recourir, soit d'en éviter les inconvénients (faire de la littérature, tomber dans la rhétorique) ; la plupart du temps, il leur suffit de nommer les choses, dans une simplicité absolue. Leurs passions transparaissent d'autant mieux, parce qu'elles sont directes. Et justement, aucun de ces trois-là n'a une portée universelle autrement qu'en ayant vécu comme des singularités qui ne se rencontrent qu'une fois (on disait de Hölderlin qu'une comète était passée). Mais on ne réconciliera jamais les deux écoles, surtout en France, où l'on choisit souvent la littérature plutôt que la vie.