Nash a écrit: Je crois saisir ce que vous dites.
Je réexprime afin que vous me corrigiez en cas de mécompréhension :
On peut croire que l'on choisit librement sans que cela soit le cas (avec cela, je suis en total accord).
Le libre-arbitre ne serait qu'une construction humaine destinée à le rassurer face à ses angoisses métaphysiques.
Mais je ne saisis pas la fin. Vous dites que la conscience morale nous rend responsables les uns envers les autres, et ce indépendamment du libre-arbitre.
Je ne suis pas d'accord (ou peut être me trompé-je sur votre analyse). Il me semble que la conscience morale est en quelque sorte un "sentiment", qui nous fait distinguer le bien du mal.
Mais même en sachant qu'un choix est immoral, sans libre-arbitre, si nous sommes destinés à mal agir, nous agirons mal, indépendamment de notre conscience.
On pourrait alors dire que nous serions responsables de notre absence de conscience ? Ce serait donc prétendre que nous sommes responsables de notre nature, ce qui me semble un peu exagéré.
Bonjour Nash,Sur ce que vous exprimez au début de cette citation, je ne suis pas tout à fait d'accord. Que le libre-arbitre soit une construction humaine n'implique pas son inexistence. Il est trop rapide et réducteur de dire "le libre-arbitre n'est qu'une construction humaine" pour conclure qu'il n'est pas réel. Si l'on prend le droit par exemple. Ou non, plus simplement : le Père Noël. Le Père Noël existe ! Certes, il existe en tant qu'idée (il n'existe qu'en tant qu'idée), et cette idée est telle chez les enfants qu'ils en viennent un jour à dire "le Père Noël n'existe pas !" : ils réalisent le caractère imaginaire de leur représentation, ils réalisent qu'en dehors de cette représentation, il n'y a pas le Père Noël. La représentation imaginaire du Père Noël existe pourtant, elle est réelle, "il", en tant que telle, a eu et aura une incidence sur des vies.Concernant le déterminisme, il est possible d'avoir des attitudes différentes selon que l'on se tourne vers ce qu'il s'est passé, vers ce qu'il se passe ou ce qu'il se passera peut-être. Si l'on veut comprendre le passé et surtout pour qui souhaite en tirer les leçons, le postulat déterministe autorise une meilleure intelligence. Mais quelle intelligence le déterminisme propose-t-il de l'avenir ? Il est aveugle. Vous direz-vous "de toute façon, le déterminisme..." pour finalement ne rien choisir ? Non, vous endurerez ces choix, envisagerez les options qui semblent se présenter et finirez par poser vos choix. Alors à quoi "sert" le déterminisme si ce n'est à nier la part de responsabilité dans les événements passés, ou, par avance, dans ceux à venir ? - A dire : ce ne sont pas mes choix, ce sont des choix dans la réalisation desquels "je" n'ai été que l'agent passif ? ("je" entre guillemets car on en vient, ultimement, dans cette direction, à nier l'idée même de sujet). Et, de fait, quelle "croyance" autorise le plus de possibilités à venir ? Le libre-arbitre ouvre l'horizon, induit des choix là où nous n'avions pas même conscience de choisir. Sa pensée m'intime qu'à tout instant, je est maître de ses actes, je me trouve au carrefour entre une multitude de réalités envisageables et il faut me demander ce que je veux, ce qui est bien, ce qui est mieux. Elle est génératrice de choix et pour ainsi dire d'aléatoire. Si le recours à la pensée du libre-arbitre et au thème de la responsabilité peut être l'avatar de notre insécurité existentielle lorsqu'il s'agit de trouver un coupable à blâmer en réaction à ce qui est "arrivé" dont nous souffrons ; sur le versant de l'action il est au contraire le plus fidèle ambassadeur de notre capacité à l'auto-détermination, à briser les chaînes, à la force de caractère et, notamment, au pardon.Pour ma part j'essaie d'articuler ces deux "attitudes" dans la vie quotidienne. Lorsque des événements regrettables adviennent, dans la réalisation desquels j'ai une part de responsabilité, je me demande comment nous en sommes arrivés là et mon regard se fait déterministe. C'est d'ailleurs ce qui permet de comprendre qu'en ayant fait d'autres choix, ou si j'avais eu une vision plus complète de la situation (ce qui revient au même), le cours des choses aurait été autre. Je suis souvent surpris avec les discours déterministes de la manière qu'ils ont de considérer les choses d'une manière assez binaire. S'il y a déterminisme, je ne fais aucun choix, ce n'est qu'une illusion, je suis déterminé à faire ces choix et je le suis d'une manière telle qu'il me soit impossible de le comprendre (sans quoi je pourrais m'y abstraire). En somme, comment, suivant une idée pour le moins abstraite, s'agissant d'un postulat et non pas du fruit de l'expérience, on en vient à nier toute un pan de la réalité "sensible", effective : les choix et leurs conséquences. C'est pourtant parce que les choses sont arrivées nécessairement telles qu'elles sont arrivées, l'une entraînant l'autre, que je réalise qu'elles auraient pu être autrement. "Si j'avais..." ; "si tu avais..." ; en même temps que nous éprouvons la fatalité, nous identifions rétrospectivement les rôles que nous avons joué dans le déroulement des événements.Notre tendance à percevoir des événements sous le jour de la relation cause/effet, c'est cela même qui permet la prévision et un relatif contrôle de ce que nous faisons dans la mesure où nous disposons d'une vision adéquate des paramètres déterminants. C'est une condition au choix. Si les choses sont telles qu'elles ont été, telles qu'elles semblent devoir toujours être, en faisant cela je provoquerai ceci. Et, si les prémisses à la situation désagréable qui s'est produite devaient se rejoindre, à l'avenir, il est devenu possible d'agir autrement. Pour ce qui est de la conscience morale ou sociale, en fait il s'agit de la conscience tout court. Nous ne sommes pas "imperméables" les uns aux autres, la conscience représente précisément cette part de nous qui appartient aux autres et nous rend responsables de nous-mêmes et de nos actes à leur égard. Je cite un passage du Gai Savoir (livre V paragraphe 354): [...] A quoi bon la conscience en général, si elle est pour l'essentiel superflue ?[...] La conscience en général ne s'est développée que sous la pression du besoin de communication, - elle ne fut dès le début nécessaire, utile, que d'homme à homme (en particulier entre celui qui commande et celui qui obéit), et elle ne s'est également développée qu'en rapport avec le degré de cette utilité. La conscience n'est proprement qu'un réseau d'homme à homme, - et c'est seulement en tant que telle qu'elle a dû se développer : l'homme érémitique et prédateur n'aurait pas eu besoin d'elle. [...] Car pour le dire encore une fois : l'homme, comme toute créature vivante, pense continuellement, mais ne le sait pas ; la pensée qui devient consciente n'en est que la plus infime partie, disons : la partie la plus superficielle, la plus mauvaise : - car seule cette pensée consciente advient sous forme de mots, c'est-à-dire de signes de communication, ce qui révèle la provenance de la conscience elle-même. Pour le dire d'un mot, le développement de la langue et le développement de la conscience (non pas de la raison, mais seulement de la prise de conscience de la raison) vont main dans la main.[...]