Plume a écrit:Pourtant n'est-ce pas en ce siècle qu'ont fleuri les plus scandaleuses théories révisionnistes et négationnistes ? N'est-ce pas en ce siècle, où justement les moyens d'apporter des preuves concrètes de ce qui s'est passé se sont tant diversifiés et perfectionnés, que la mise en question voire la négation pure et simple de faits d'histoire a pris l'ampleur qu'on lui connaît ? Je trouve cela pour le moins paradoxal, il n'y a pas un seul événement qualifiable de "grave" aujourd'hui qui ne trouve pas ses interprètes. La magie d'internet fait son office, proposant à qui souhaite les lire ou les visionner des documents pseudo-scientifiques appuyant les thèses les plus improbables et aliénant le jugement des personnes même les plus difficiles à manipuler. Ou du moins, en apparence, puisqu'il s'avère que je me suis trompé en beauté sur le compte de mon correspondant.
Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il y a une attirance inhérente de l'homme moderne pour les théories du complot, mais comment interpréter ce phénomène étrange qui pousse certains à nier l'évidence au profit d'une vérité alternative, comment peut-on dire "ce n'est pas possible" ? Et surtout, pourquoi me suis-je trouvé incapable de répondre ? Devant la pure négation de l'histoire telle qu'on me l'a enseignée depuis ma naissance, je me suis retrouvé nu. Rien à rétorquer, et pas même l'envie de creuser la question... Faut-il à son tour, nier la négation, faire comme si l'on n'avait rien entendu et passer à autre chose ?
Bonjour, je retrouve certaines de mes interrogations et souhaite vous faire part des éléments de réponse que j'ai rassemblés. Vous offrez l'occasion de faire un point.
D'une part, pour avoir vu, lentement, une personne qui m'était chère, sombrer, c'est le mot, dans la théorie du complot, je ne peux que contredire ce qui a été dit précédemment : il ne s'agit d'endiguer la propagation de ces idées ni par le rappel des faits, ni par un mur de paroles, car le problème se situe à un niveau psychologique, aussi répugnant que cela puisse sembler au philosophe ; une personne élevée à la théorie du complot (ça existe) sera facilement ramenée à la raison pour peu qu'on alimente son intelligence et sa curiosité : ce n'est donc pas le problème ; non, nous parlons des convaincus, qui sont aussi les missionnaires, or ceux-ci règlent un problème personnel, qu'il faut identifier, et qu'il leur faut faire identifier. Je comprends bien qu'on envisage mal cette cure, et pourtant je n'en connais pas d'autre. Ceux que l'on connaît, il faut les en extirper, pas à pas, prendre le temps, pour autant qu'on le veuille et qu'on le puisse, sans s'attaquer à leur sacro-sainte théorie, au doute qui, de toute manière, ne peut qu'être présent (même et surtout chez une personne saine d'esprit (!)), en espérant plutôt les voir toucher le nœud des problèmes et ainsi se désintéresser de ceux qui, tout compte fait, ne sont jamais que des exutoires, mais authentiquement inauthentiques.
Les problèmes (psychologiques) peuvent parfaitement être originaux, particuliers, singuliers, et pour autant conduire à une même certitude : la vie publique est une mascarade, nous sommes dominés par... La question revient alors à comprendre ce que la théorie du complot flatte, pour plaire autant ? (Mais avant cela, Plume, je me permets de demander, sachant que vous n'avez pas à répondre, si vous êtes familier de la communauté juive ?)
Je propose d'aborder la question par la notion d'hétéronomie.
Tout d'abord, qu'est-ce que le complotisme, et le négationnisme (dans la mesure où il n'est pas falsification consciente) ? C'est le délire hétéronome par excellence : la réalité, le délire partagé, est le produit d'une entité surplombante. Pourquoi ne puis-je affronter un complotiste sur le terrain du débat ? Il conteste la valeur de la preuve : la preuve est avant tout preuve de l'existence de cette entité, de ce pouvoir supérieur. Il est absurde de croire que le complotiste n'est pas sensible au raisonnement ou à la preuve : il y est hypersensible, à l'image d'un superstitieux, il ne fait jamais qu'interpréter et se tient à l'affût de toute preuve : pourquoi est-il si actif sur internet, son domaine de prédilection ? il a besoin d'une confirmation, et en ce sens n'est pas si loin de l'historien...
La théorie du complot permet de réinvestir socialement et personnellement un traumatisme de type "hétéronomique" : l'expérience brutale et non dialectisable de l'impuissance de sujet. Exemple idiot : la disparition inexpliquée d'un être cher. La perte de contrôle, ou la prise de conscience de l'absence de contrôle sur sa propre vie, etc. Autant de problèmes qui renvoient le sujet à son assujettissement à une loi autre, venue d'ailleurs, explicitement d'ailleurs. Le sujet, me semble-t-il, trouve alors une correspondance dans la théorie du complot, selon qu'il est exposé ou non à ces idées, plus ou moins accidentellement.