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Humanité-inhumanité

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Euterpe
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broceliand
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descriptionHumanité-inhumanité - Page 3 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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broceliand a écrit:
Un débat humain/inhumain n'a pas de sens. Pourquoi ? Parce que tout ce qui est inhumain n'est pas humain par définition. En outre pour trop de monde le terme inhumain est associé à un acte choquant mais pourtant commis par l'homme. Par exemple beaucoup de personnes affirment, trop rapidement, qu'un crime est inhumain (ce qui avait le don d'horripiler mon professeur de philosophie). Or tout crime est commis par un homme. Donc est purement humain. De même dire que le nazi Hitler, le soviétique Staline, le khmer Saloth Sâr ou encore le fanatique Merah sont inhumains parce qu'ils ont commis des génocides/crimes est complètement dépourvu de sens puisque jusqu'à preuve du contraire tout acte commis par un homme est humain et ces différents individus sont des hommes.

Vous auriez du mal à montrer en quoi un tel débat n'a pas de sens. Il suffirait de constituer une bibliographie pour s'en rendre compte. Évidemment, toutes les horreurs commises dans l'histoire sont des horreurs commises par des hommes. Mais la nature humaine serait-elle si évidente et immuable qu'il n'y aurait pas de débat ? Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce que l'humanité ? A-t-on plus et mieux que des idées pour y répondre ? On ne trouve guère de ouassou pour se demander ce que c'est qu'être ouassou. Tandis que les hommes passent un temps fou à se demander ce que c'est qu'être homme. Reprenez les textes de Hegel sur la dialectique du maître et de l'esclave. Ou bien reprenez la littérature concentrationnaire et les témoignages de ceux que les nazis soumettaient à des rituels faits pour leur dénier toute humanité, pour les déshumaniser. Dès lors qu'on décrète ce que c'est qu'être homme, on décrète ce que c'est qu'être inhumain. Ce qui ne signifie pas qu'il y aurait d'un côté des hommes et de l'autre des sous-hommes ou des hommes inhumains, mais que les hommes sont à la fois humains et inhumains, autrement dit peuvent ou pas recourir à l'idée qu'on se fait de l'humanité. Un criminel, pour le dire très sommairement, c'est quelqu'un qui n'a pas jugé opportun de mobiliser son humanité en puissance pour agir avec un autre, quand dans le même temps il est et reste capable de mobiliser cette même humanité avec un autre. Notez que ça ne nous renseigne pas plus sur ce que c'est qu'être homme. La question reste ouverte.

Une fois posé cela, on peut poser la question du jugement. Pas juger de l'humanité ou de l'inhumanité d'un acte, mais juger l'acte lui-même. Peut-on juger les crimes nazis ? Oui. Prétendre que non, c'est prétendre qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient (et présupposer qu'être homme, c'est avoir conscience de ce qu'on fait). En ce sens, les crimes "contre l'humanité" sont bien nommés : on ne les juge pas inhumains, on les juge en tant qu'ils visent l'humanité des hommes qui en furent ou qui en sont les victimes. Au total, un nazi est "inhumain" si l'on veut, c'est une question d'opinion et de sensibilité personnelle qui compte peu, non parce que cela n'a pas de sens, mais parce qu'on ne peut en débattre. Si on prétend que les nazis sont "inhumains", ou bien cela signifie qu'on les soumet au même traitement auquel ils soumettaient leurs victimes : on dénie leur humanité ; ou bien on prétend, parfois sans en avoir bien conscience, qu'ils n'étaient pas responsables de ce qu'ils faisaient - ce qui revient au même, puisque la responsabilité est un attribut supposé de l'humanité. Dans les deux cas, la position est difficile à soutenir. Mais votre position à vous, pour être soutenue, exige d'en accepter ce qu'elle implique. Si tout est humain, que juge-t-on quand on juge un crime nazi ? L'humanité d'hommes qui ont commis des horreurs, pas seulement ces hommes. Étant entendu qu'en l'occurrence, juger l'humanité signifie s'interroger sur ce que peut bien être l'humanité. Quel que soit le cas de figure, il semble bien que nous ayons affaire à un serpent, et que le serpent ne puisse pas faire autrement que se mordre la queue.

JimmyB a écrit:
En outre faire preuve d'humanité c'est être doué d'empathie, de compassion

Rousseau attribue ces qualités à la nature, plutôt qu'à la société. Or, pourriez-vous dire, si vous deviez juger les crimes nazis, que vous seriez en état de les juger selon votre nature, autrement dit en faisant complètement abstraction de la couche de civilisation qui vous recouvre (histoire, droit, culture, technique, etc.) ? Et recourir à la nature, cela ne revient-il pas à faire de ces crimes quelque chose de parfaitement incompréhensible ?

broceliand a écrit:
D'une part quelles sont ces valeurs morales et universelles ? Pouvez-vous étayer, les définir s'il vous plaît ? D'autre part je ne comprends pas pourquoi ces valeurs devraient être partagées par tout être humain. Qui/quoi impose cela et surtout pourquoi ?

Ça doit quand même être aussi une affaire de bon sens, si on se réfère par exemple au droit de la guerre (je ne parle pas des conventions de Genève), qui montre que beaucoup de belligérants dans l'histoire tombent d'accord sur plusieurs des règles importantes qui régissent les guerres.

Intemporelle a écrit:
Christian Ingrao qui a fait une monographie historique sur les escadrons d'extermination des populations juives de l'est de l'Europe montre bien que les activités intellectuelles ne préservent pas de la barbarie. Au contraire, dans ces escadrons les commandants étaient pour la plupart des intellectuels qui avaient une formation très poussée et qui avaient justement pour rôle de rationaliser l'irrationnel pour empêcher les simples soldats de "flancher", ils étaient les fers de lance.

Liber a écrit:
En résumé, je crains bien que plus la civilisation s'améliore, se cultive, va dans la voie de qu'on nomme le "progrès", plus la barbarie augmente.


On retrouve la thèse de Rousseau, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. La société dénature à ce point les hommes qu'il y affirme même, immédiatement après le fameux passage sur l'origine des langues et sur le langage :
on voit du moins, au peu de soin qu'a pris la nature de rapprocher les hommes par des besoins mutuels, et de leur faciliter l'usage de la parole, combien elle a peu préparé leur sociabilité, et combien elle a peu mis du sien dans tout ce qu'ils ont fait, pour en établir les liens

Comprendre : ce n'est pas à la nature (humaine) qu'on doit reprocher les bêtises de l'humanité. Il ajoute, un peu plus loin :
Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent ? [...] Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien au contraire n'eût été si misérable que l'homme sauvage, ébloui par des lumières, tourmenté par des passions, et raisonnant sur un état différent du sien

Les sauvages ne sont pas méchants précisément, parce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'être bons ; car ce n'est ni le développement des lumières, ni le frein de la Loi, mais le calme des passions, et l'ignorance du vice qui les empêche de mal faire. [...]. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l'homme la seule vertu naturelle [...]. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles, et sujets à autant de maux que nous le sommes ; vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à l'homme qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion. [...].
Mandeville a bien senti qu'avec toute leur morale les hommes n'eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison.

La pitié ne nous est donc enseignée, ni par la morale, ni par la raison, d'après Rousseau.

Dès lors, je me demande si Nietzsche ne fait pas fausse route, lorsqu'il vise le christianisme en démasquant la pitié. Les deux thèses m'ont l'air incompatibles. De sorte qu'on m'a aussi tout l'air de devoir choisir. Weber, et Boudon à sa suite, n'ont-ils pas raison contre Nietzsche, sur ce point ?

Intemporelle a écrit:
Par rapport au terme "inhumain", et tous ses synonymes (par exemple "monstrueux"), j'ai l'impression qu'ils répondent plus à un désir de se rassurer pour un groupe social donné, comme si, pour conjurer l'acte commis (qualifié d'inhumain, et l'auteur avec), le groupe social avait besoin de sortir celui qui l'a fait de l'ordre de l'humain. Mais personnellement je n'accorde pas de valeur profonde à ce terme, aucun acte commis par un être humain ne peut être qualifié autrement que métaphoriquement d'inhumain. Accorder à ce terme une valeur profonde serait comme le montre Arendt dans Eichmann à Jérusalem une contradiction : si véritablement l'acte est inhumain, comment juger l'auteur ? On ne condamne pas (encore) un requin qui dévore un baigneur. Ce qui effraie dans ces actes qui sont qualifiés "d'inhumains", c'est que précisément ils sont bien humains, et c'est cet effroi que le terme essaie de conjurer, non sans contradictions. En effet, le seul fait de qualifier un acte d'inhumain, c'est déjà l'intégrer dans la sphère du jugement, et donc nier son caractère inhumain.

Ce que vous dites me rappelle une remarque que j'avais faite à un ancien membre du forum, dans un topic consacré à la liberté. Je me permets de la reproduire ici :
Euterpe a écrit:
La morale (et la loi) ne jugent pas inhumains les nazis : leur inhumanité morale et juridique leur donnerait une immunité totale. On ne juge pas ce qui n'est pas humain. Les dignitaires nazis jugés à Nuremberg le furent pour crimes contre l'humanité, pas pour avoir été inhumains. La loi et la morale sont inclusives, si elles veulent juger des personnes et des actes, si elles veulent qu'aucun acte ne leur échappe (cf. la question de l'universalité de la morale et de la loi). Parler de barbarie c'est encore parler d'une humanité aux confins de l'humanité, aux frontières de l'humanité, mais encore de l'humanité. Ça permet de juger les nazis comme responsables, conscients de leurs actes ; je ne reviendrai pas sur le sujet rebattu de la préméditation, de la planification, de la rationalisation, de l'industrialisation du crime, chez les nazis, autant de choses qui signalent leur humanité, et qui permettaient, au moment du procès de Nuremberg, d'éviter tout recours à la folie pour les dédouaner.


Dernière édition par Euterpe le Sam 30 Juil 2016 - 11:26, édité 2 fois

descriptionHumanité-inhumanité - Page 3 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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Liber a écrit:
Intemporelle a écrit:
Ce qui effraie dans ces actes qui sont qualifiés "d'inhumains", c'est que précisément ils sont bien humains, et c'est cet effroi que le terme essaie de conjurer, non sans contradictions. En effet, le seul fait de qualifier un acte d'inhumain, c'est déjà l'intégrer dans la sphère du jugement, et donc nier son caractère inhumain.

Mais d'où peut bien venir cet effroi ? Est-ce que ce qui effraie est la cruauté, le sang versé, ou bien est-ce la perversité, la torture, le plaisir de faire souffrir, qui est identifié comme une particularité humaine ? Un animal n'est pas effrayé par le sang versé. Un homme souvent. Dans ce cas, il n'y aurait pas de mal dans la nature. Le mal viendrait de ce que la souffrance infligée a été pensée. Le mal serait donc la pensée. On n'est pas loin de Dostoïevski et de ses grandes tentations que sont les questions métaphysiques (d'après Gide dans son analyse des Possédés).
n. En résumé, je crains bien que plus la civilisation s'améliore, se cultive, va dans la voie de qu'on nomme le "progrès", plus la barbarie augmente.

Ce n'est pas tant le sang qui effraie que le fait que ça ait été pensé, effectivement, que ça ait été commis par un être humain, quelqu'un doué de raison. Celui que l'on qualifie d'inhumain est comme nous, et cette ressemblance est source d'interrogations dérangeantes sur soi-même et sur le groupe social dans son ensemble, interrogations que l'on refuse d'assumer. Qualifier quelqu'un d'inhumain, c'est un peu comme déclarer : "il n'est pas comme nous", c'est une manière de se rassurer sur la communauté, de ne pas voir qu'un grand nombre d'individus de cette communauté sont potentiellement capables des mêmes horreurs. C'est tellement plus facile d'écarter de l'ordre de l'humain celui qui commet des actes particulièrement odieux, plutôt que de creuser ce qui fait précisément son humanité : la rationalisation, la perversité, et aussi le plaisir de faire souffrir qu'évoque Liber.

Vangelis a écrit:
De par cette liberté, en faire la liste serait une tâche infinie et s'évanouit aussitôt la définition positive de l'humain. Le seul moyen est d'en définir la négation, c'est-à-dire tout ce que les hommes ne veulent pas voir dans leurs projets. Bien sûr ce projet change au gré de l'histoire et l'on peut discuter aussi sur un consensus qui de par la liberté de tout un chacun n'en est pas un au sens strict du terme. Mais il n'empêche qu'il y a là un début de quelque chose sur lequel chacun peut s'appuyer plutôt que d'imposer une définition positive toujours fuyante. De plus ce socle est un projet et résulte donc d'une volonté. Or si l'on peut refuser des valeurs immanentes, une morale au ciel ou ailleurs, on ne peut pas refuser (en dehors d'un déterminisme radical) cette volonté et cette liberté.
Je me perds un peu : parlez vous de projets personnels propres à chaque individu, ou d'un projet global qui comprend toute l'humanité (puisque vous parlez de consensus) ? Je réponds en partant du principe que vous parlez d'un projet global, ce qui me paraît plus cohérent, et m'excuse par avance si le propos a été mal compris.

Je suis bien d'accord que définir l'humanité de manière purement physique serait réducteur, mais je n'en rejoins pas pour autant votre propos. L'idée d'une humanité porteuse d'un projet, est assez séduisante, mais aussi à mon sens dangereuse. Cela revient à exclure un certain nombre d'individus réels, concrets de l'humanité, au nom d'une idée abstraite de celle-ci, dont la validité n'a d'autre fondement qu'un ensemble de valeurs partagées par le plus grand nombre. Les exemples historiques ne manquent pas de valeurs partagées par le plus grand nombre à un moment donné, qui sont aujourd'hui considérées comme "inhumaines". Vous cherchez à dissocier projet et valeurs, mais le contenu du projet tel que vous l'évoquez, il me semble bien qu'il s'agit toujours de valeurs. Parler d'inhumanité ressemble fortement à une manière de ne pas assumer tout ce dont est capable l'humanité, surtout quand il s'agit du pire. Je ne prétends pas répondre à la question de ce qu'est l'humanité, mais je ne la fonderais pas sur des valeurs, qui sont à mon sens très discutables, et surtout principalement issues d'un mode de penser occidental, qui ne peut prétendre définir l'humanité à lui seul.

Vangelis a écrit:
Dés lors poser l'inhumanité c'est poser l'humanité. Et décréter que tels actes sont inhumains ce n'est pas juger l'homme dans son essence ou par des critères propres à son espèce, mais c'est juger sa volonté et son projet. Il peut donc y avoir des actes inhumains en tant que projets, perpétrés par des humains en tant qu'espèces, sans pour autant recourir à la métaphore.
Précisément, d'un point de vue logique, vous ne pouvez pas juger sa volonté et son projet si vous considérez que l'acte est inhumain. Si vous écartez la métaphore, et considérez que tel acte est inhumain, de manière absolue et littérale, alors vous n'avez aucun moyen de juger cet acte, l'auteur ne peut répondre de cet acte. C'est une manière de le dé-responsabiliser, parce que seul un être humain répond de ses actes. Les individus qui commettent des actes atroces souvent nient l'humanité de leur victime, réduite à l'état d'objet, exclure ces mêmes individus de l'humanité c'est reproduire le schéma de pensée pervers selon lequel ils conçoivent leur victime.

Euterpe a écrit:
La morale (et la loi) ne jugent pas inhumains les nazis: leur inhumanité morale et juridique leur donnerait une immunité totale. On ne juge pas ce qui n'est pas humain. Les dignitaires nazis jugés à Nuremberg le furent pour crimes contre l'humanité, pas pour avoir été inhumains. La loi et la morale sont inclusives, si elles veulent juger des personnes et des actes, si elles veulent qu'aucun acte ne leur échappe (cf. la question de l'universalité de la morale et de la loi). Parler de barbarie c'est encore parler d'une humanité aux confins de l'humanité, aux frontières de l'humanité, mais encore de l'humanité. Ça permet de juger les nazis comme responsables, conscients de leurs actes ; je ne reviendrai pas sur le sujet rebattu de la préméditation, de la planification, de la rationalisation, de l'industrialisation du crime, chez les nazis, autant de choses qui signalent leur humanité, et qui permettaient, au moment du procès de Nuremberg, d'éviter tout recours à la folie pour les dédouaner.
C'est exactement ce que j'ai voulu exprimer, de manière plus ou moins claire.

descriptionHumanité-inhumanité - Page 3 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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Euterpe a écrit:
Peut-on juger les crimes nazis ? Oui.

En ce qui me concerne, je ne le ferai pas. Faire tuer un nazi, un homme, parce qu'il a ordonné la mort, mettons, d'un million de personnes, ne répondra pas aux interrogations que me posent ses actes. Si tant est qu'il y ait finalement une interrogation, pour ce qui me semble être hors de sens surtout par l'énormité du crime. Je ne crois pas à cette idée de "crime contre l'humanité", parce que tuer un seul homme ou un million, signifie renier l'humanité dans les deux cas, et cela même s'il s'agit d'un crime d'État (peine de mort). Je ne trouve pas l'homme plus essentiel (au sens philosophique, essence d'un être) quand on le considère par milliers que seul.

Si on prétend que les nazis sont "inhumains", ou bien cela signifie qu'on les soumet au même traitement auquel ils soumettaient leurs victimes : on dénie leur humanité

Si les Nazis avaient dénié l'humanité de leurs victimes, ils ne leur auraient pas infligé des traitements humiliants. Il faut lire Dostoïevski, qui a beaucoup écrit sur ce thème de l'humiliation, pour comprendre à quel point c'est un sentiment humain, trop humain, pour reprendre l'expression nietzschéenne (lequel fut très lucide sur cette question).

beaucoup de belligérants dans l'histoire tombent d'accord sur plusieurs des règles importantes qui régissent les guerres.

C'est surtout pour eux un moyen de continuer leurs petits jeux sans se détruire. La guerre étant avant tout une question d'intérêts, les belligérants s'ingénient à maintenir un semblant de règles afin de ne pas rendre la guerre complètement inutile (la guerre ne valant que par la recherche de la domination, non de la destruction).

La société dénature à ce point les hommes qu'il y affirme même, immédiatement après le fameux passage sur l'origine des langues et sur le langage :

Mandeville a bien senti qu'avec toute leur morale les hommes n'eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison.
La pitié ne nous est donc enseignée, ni par la morale, ni par la raison, d'après Rousseau.

Certes, on dit souvent que la pitié nous distingue des animaux. Cela dit, la pitié m'apparaît, comme le droit de grâce, être un privilège des plus forts, un moyen de domination. Rousseau la voit comme un don de la nature. Nietzsche comme une ruse du faible... pour dominer le plus fort.

Dès lors, je me demande si Nietzsche ne fait pas fausse route, lorsqu'il vise le christianisme en démasquant la pitié.

En tous les cas, il lie dans le christianisme la pitié à la dualité Bien/Mal, ce qui me semble une évidence. D'autre part, comme il le rappelle justement, la pitié a toujours été méprisée par les plus grands philosophes. Je veux bien que Rousseau ait beaucoup de qualités, cependant, il sera difficile de le confronter à eux. La pitié est avant tout un sentiment qui met en danger notre individualité, que je pense fondamentale. Si on aime l'humanité, on doit aimer dans l'autre autre chose que soi-même, et non pas un "semblable". C'est la thèse nietzschéenne. Sinon, cela signifie qu'on veut faire de l'humanité un magma informe, telle que le christianisme la voit.

je ne reviendrai pas sur le sujet rebattu de la préméditation, de la planification, de la rationalisation, de l'industrialisation du crime, chez les nazis, autant de choses qui signalent leur humanité, et qui permettaient, au moment du procès de Nuremberg, d'éviter tout recours à la folie pour les dédouaner.

Encore faut-il décider de ce qu'est la folie. Un fou n'est pas totalement inconscient, il sait ce qu'il fait, la preuve en est que nombre de fous, comme Breivik en Norvège, par exemple, savent s'organiser mieux que quiconque pour commettre leurs crimes. Personnellement, je pencherais tout de même pour une folie nazie, ne serait-ce que pour le mysticisme qui accompagna toute leur vie politique, la folie des grandeurs, la paranoïa, qui sautent aux yeux de n'importe quel observateur, et qui ont leur attirance, car c'est par là que se recrutent les nostalgiques, certainement pas par les camps de la mort (cf. les négationnistes). Quant au procès de Nuremberg, il ne me paraît pas être une preuve de l'état de santé mentale des nazis, car ce procès politique ne pouvait pas faire l'impasse d'une condamnation, eu égard à l'attente du monde et au besoin d'expiation de l'Allemagne, conformément à notre civilisation judéo-chrétienne. Il fut infiniment plus facile de reconstruire cet État après un jugement clair et définitif. C'est ainsi que nous fonctionnons en Europe, encore de nos jours. Il ne faut surtout pas vivre dans le Mal ! Dans la pratique, on a vu qu'Adenauer ne s'était pas embarrassé de scrupules pour conserver d'anciens nazis dans l'armée. Combien de tueurs coupables de crimes contre l'humanité vivent paisiblement en ex-Yougoslavie ! On a jugé Milosevic, on jugera Karadic, Mladic, cela suffira. Curieuse conception de la justice, où le symbole compte plus que la recherche et la punition des coupables.

Intemporelle a écrit:
Ce n'est pas tant le sang qui effraie que le fait que ça ait été pensé, effectivement, que ça ait été commit par un être humain, quelqu'un doué de raison.

Il y a encore quelque chose qui me chiffonne là-dedans. En quoi tuer est-ce "mal" ? Qu'est-ce qui nous amène à penser que tuer = mal ? Etant entendu que jamais un animal ne se posera ce genre de questions. Certes, le prophète a tranché la question comme Alexandre le noeud gordien : "Tu ne tueras point". Mais s'il avait dit "Tu tueras ton prochain", quelle eût été la différence ? Nietzsche pose clairement la question quand il déclare que le Vieux de la montagne, qui justement avait une telle morale, puisqu'il ordonnait à ses disciples de tuer, était le plus libre des esprits libres. Ces gens s'appelaient des Assassins, parce qu'ils consommaient du haschich, le Vieux leur fournissant, comme tout commandement militaire à ses soldats, de quoi affronter la peur.

Veuillez pardonner mon iconoclasme.

descriptionHumanité-inhumanité - Page 3 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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En effet Euterpe, c'est pour cela que je ne suis pas d'accord avec la position que j'exprimais.

descriptionHumanité-inhumanité - Page 3 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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Si les Nazis avaient dénié l'humanité de leurs victimes, ils ne leur auraient pas infligé des traitements humiliants. Il faut lire Dostoïevski, qui a beaucoup écrit sur ce thème de l'humiliation, pour comprendre à quel point c'est un sentiment humain, trop humain, pour reprendre l'expression nietzschéenne (lequel fut très lucide sur cette question).

Le but de ces traitements humiliants n'est-il pas précisément d'atteindre les victimes dans ce qui fait leur humanité en les traitant comme du bétail, voire pire ? Le but n'est pas tant je pense de faire ressentir à leurs victimes un sentiment d'humiliation, que de leur faire ressentir un sentiment d'animalisation, de leur faire douter de leur propre humanité, ce qu'évoquent la plupart de ceux qui ont témoigné de leur expérience des camps.

Liber a écrit:
Intemporelle a écrit:
Ce n'est pas tant le sang qui effraie que le fait que ça ait été pensé, effectivement, que ça ait été commit par un être humain, quelqu'un doué de raison.

Il y a encore quelque chose qui me chiffonne là-dedans. En quoi tuer est-ce "mal" ? Qu'est-ce qui nous amène à penser que tuer = mal ? Etant entendu que jamais un animal ne se posera ce genre de questions. Certes, le prophète a tranché la question comme Alexandre le nœud gordien : "Tu ne tueras point". Mais s'il avait dit "Tu tueras ton prochain", quelle eût été la différence ? Nietzsche pose clairement la question quand il déclare que le Vieux de la montagne, qui justement avait une telle morale, puisqu'il ordonnait à ses disciples de tuer, était le plus libre des esprits libres. Ces gens s'appelaient des Assassins, parce qu'ils consommaient du haschich, le Vieux leur fournissant, comme tout commandement militaire à ses soldats, de quoi affronter la peur.

Jusque-là, je ne porte pas de jugement moral sur l'acte de tuer, je constate simplement que c'est une des valeurs de la société actuelle. C'est une valeur qui comme beaucoup d'autres possède ses propres contradictions : ceux-là même qui déclarent que tuer est mal, considèrent que dans certains cas il s'agit d'un bien, lors d'une guerre par exemple. Pascal l'avait déjà décelé :

"Pourquoi me tuez-vous  ? Et quoi, ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte. Mais puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave et cela est juste."

Mais j'ai aussi le sentiment que ce que l'on constate quand on critique ce dogme ("tuer c'est mal"), c'est plus les exceptions arbitraires à ce dogme, que le fait qu'il ne soit pas justifiable. La plupart des philosophes remettent moins en cause le fait que tuer soit mal, que le fait que dans certains cas, quand ça nous arrange, on déroge à ce principe. Maintenant en vertu de quoi pourrait-on déclarer que tuer est mal ? De toutes les conceptions du mal que j'ai pu lire en philosophie, j'adhère à la vision plotinienne du mal non comme principe (et donc par définition autonome), mais comme manque d'être, comme de ce qui se refuse à être, et ce qui refuse l'être. Dans cette logique, tuer serait mal en raison de cette négativité propre au meurtre, qui revient à annihiler une existence. Par ailleurs, aucune société ne peut prendre sur elle de dire que "tuer c'est bien", et donc d'autoriser à tuer, puisqu'à terme c'est une logique d'auto destruction, ce n'est pas un principe universalisable. S'il avait dit "Tu tueras ton prochain", la différence aurait été qu'aucune société (suivant ce principe) n'aurait pu se créer, et les hommes auraient fini par figurer au rang des espèces en voie de disparition.  :)

Je trouverais intéressant que vous développiez pourquoi selon vous, tuer ne serait pas mal. En vertu de quelle conception du mal, plus précisément, si ça ne nous emmène pas trop vers le hors-sujet.
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