Ma première interrogation était au fond la suivante : que se passe-t-il, POUR KANT, au point précis de l'articulation entre la cause et l'effet ?
Question triple qu'on peut considérer ainsi :
1) dans le temps,
2) dans le passage lui-même de la cause à l'effet,
3) dans l'effet, c'est-à-dire dans le passage de l'état A à l'état B (ce qui est différent de 2°).
(En fait il n'y aura pas de « point précis », le passage ne sera pas ponctuel.)
1) Pour Kant l'antériorité n'empêche pas la simultanéité considérée comme limite de l'antériorité, et la perception ou la considération de cette simultanéité n'empêche pas de penser l'antériorité de la cause.
Kant a écrit: La plupart des causes efficientes dans la nature sont en même temps que leurs effets et la succession de ceux-ci tient uniquement à ce que la cause ne peut pas produire tout son effet en un moment.
Kant a écrit: Il faut bien remarquer ici qu'il s'agit de l'ordre du temps et non de son cours : le rapport (avant-après) demeure, bien qu'il n'y ait pas eu de temps écoulé
2) Le passage de la cause à effet n'est pas le passage d'un état A à un autre B. Ce passage de A à B, cette transformation n'est que l'effet, la conséquence. Sur le passage de la cause à l'effet, Kant dit peu de choses. On a l'impression que ça va de soi : le concept de cause n'implique-t-il pas celui d'effet et réciproquement ? Mais je n'ai rien trouvé sur le mécanisme en jeu. Kant invente ici la boîte noire avec la cause comme
input et l'effet comme
output.
3) Ma troisième question, implicite, je l'ai trouvée formulée dans le chapitre sur lequel vous avez attiré mon attention, p. 223 :
Kant a écrit: Mais comment en général quelque chose peut-il être changé, ou comment se fait-il qu'à un état qui a lieu à un certain moment puisse succéder, dans un autre moment un état opposé ?
(exemple arrêt/mouvement) et Kant répond fort précisément : « C'est ce dont nous n'avons pas
a priori la moindre notion », et de nous renvoyer à l'expérience pour y observer les forces en action, « les forces motrices » c'est-à-dire causales.
Cependant il y revient pour nous indiquer que :
Kant a écrit: Cette cause ne produit donc pas son changement tout d'un coup (en une fois et en un moment), mais dans le temps, de telle sorte que tout comme le temps croît depuis le premier moment A jusqu'à son accomplissement en B, ainsi la grandeur de la réalité (B-A) est produite par tous les degrés inférieurs contenus entre le premier et le dernier. Tout changement n'est donc possible que par une action continuelle de la causalité, qui, en tant qu'elle est uniforme, s'appelle un moment. Le changement n'est pas composé de ces moments, mais il en résulte comme leur effet. Telle est la loi de la continuité de tout changement.
Donc il n'y a pas de saut. Par rapport à l'effet, la cause est largement simultanée, cela n'empêche pas son antériorité. Le passage de la cause à l'effet reste largement énigmatique, mais cela n'implique pas qu'il soit instantané (une boîte noire peut être ouverte et analysée), enfin est mise en évidence la continuité des changements (permise par la simultanéité de la cause et de l'effet).
PS : Je ne suis pas certain que Kant distingue clairement 2) et 3). Cependant la cause n'est pas l'état initial A, ni l'effet l'état final B, c'est certain. Ils peuvent n'avoir aucun rapport avec ces états (déplacement d'un champ magnétique - création d'un courant), et cela laisse penser que, pour agir ainsi l'un sur l'autre il faudrait qu'ils disposent de schèmes intermédiaires.