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Problème de compréhension du "Sujet".

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anormal
Euterpe
Zingaro
larmi
8 participants

descriptionProblème de compréhension du "Sujet". - Page 4 EmptyRe: Problème de compréhension du "Sujet".

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Crosswind a écrit:
A bien comprendre, un Grec pouvait user de la première personne du singulier sans pour autant la substantifier ? Lorsqu'un Grec prononce "je", il parle donc d'un corps, à la limite d'une pensée vécue, rien de plus ?

D'abord, les Grecs n'employaient guère les pronoms personnels sujets, sauf dans certains cas très précis. Par exemple, dans une conversation, quelqu'un qui parlait disait : Λέγω (= je parle). Dans la langue grecque, seule la désinence du verbe indique la personne. C'est aussi le cas du latin : loquor (= je parle). Et c'est encore le cas de certaines langues (italien, espagnol, etc.). Quand un Grec parlait de quelqu'un, par exemple d'Alexandre le Grand, il ne disait pas : Alexandre ; il disait : l'Alexandre ( Άλέξανδροσ). L'article défini est le déterminant principal. Outre qu'on ne pense pas en dehors de, ni autrement que dans notre langue vernaculaire — sauf si on a appris à en parler plusieurs, seule garantie pour penser du dedans une pensée qui nous est étrangère —, dire "je" ne signifie pas ipso facto être un "sujet". Ici, comme il arrive, le mot précède la chose.
De plus, vous êtes prisonnier de la paire schématique et simpliste corps-esprit (ou âme, peu importe ici). Un Grec ne parlait pas de "son" corps (ou plutôt, son corps ne parlait pas "tout seul") au motif qu'il ne se percevait pas comme un sujet au sens moderne du mot. Ce n'est pas qu'affaire de différence de conception. Cette différence s'inscrit dans une réalité qui n'est pas la nôtre, à laquelle nous sommes parfaitement étrangers. La personne, telle que nous la concevons aujourd'hui, ça n'existait pas en Grèce. Il n'y avait pas de terme pour désigner ce que nous appelons une personne.

Alors, bien qu'on puisse admettre sans difficulté que la plupart des étudiants n'apprennent pas ou plus le grec et le latin, il n'est pas besoin de maîtriser ces deux langues pour accéder à des informations de base (j'insiste, ce n'est pas de l'érudition) que la plupart des cursus universitaires sont censés donner. De quoi s'agit-il ? Le terme grec qu'on a finalement traduit par personne est un terme neutre (premier détail essentiel — pour rappel, les langues grecque et latine ont trois genres, comme l'anglais et l'allemand par exemple : le masculin, le féminin, et le neutre) : πρόσωπον (πρόσ-ωπον, préfixe pro : devant, etc.). Le prosopon désigne la face, la figure, l'aspect ; l'air, l'apparence, l'expression du visage, le devant, la façade, le front. Et, comme le terme persona latin, il désigne également le masque, le rôle, le personnage de théâtre, et par extension le caractère, l'individualité, la personnalité. Or, le πρόσωπον a surtout donné le verbe français personnifier (προσωποποιῶ-[έω], composé du verbe ποιῶ-[έω], qui signifie faire, fabriquer, confectionner — littéralement : faire, fabriquer un personnage, un rôle, en animant un objet — et prosopopée, ou encore prosopographie. Vous seriez pour le moins étonné, n'est-ce pas, si je vous réduisais à votre visage, surtout en un temps où le délit de faciès est inscrit dans le Code pénal.

Mais, pour être exhaustif, reprenons le terme utilisé par larmi : hypokeimenon. C'est un terme composé, hypo-keimenon. C'est lui que les latins traduisent par sujet. Ύποϰείμενον est composé du préfixe ὐπό (= dessous) et du participe présent passif neutre du verbe ϰεῖμαι (être étendu, immobile, au repos, couché, à l'horizontale ; entendu comme un état stable, durable — pensez à nos verbes d'état —, et ainsi : être situé, être placé, se trouver, ou encore résider). Littéralement, Ύπο-ϰείμενον = étant étendu, ce qui est étendu, situé en dessous ; allons droit au but : ce qui se trouve en situation d'infériorité.
L'adjectif latin subjectus ? Il est tout aussi engageant... : soumis, assujetti (même état d'infériorité). C'est le participe du verbe subjicio : jeter, mettre sous, placer dessous. Pour l'anecdote, le neutre pluriel de l'adjectif se traduit littéralement par les bas-fonds. Voilà ce qu'on appelle un sujet, et voilà ce qu'entendront les rois (et leurs sujets aussi bien !), encore au XVIIIe siècle.

Crosswind a écrit:
Pourtant, l'Egypte antique semble avoir bel et bien considéré une certaine continuité de la personne au-delà du décès ? De même, l'inhumation et les rites funéraires laissent penser que l'homme a pu se sentir sujet unique bien avant l'apparition de la philosophie structurée.

L'Égypte antique tient ses Pharaons pour des dieux. Surtout, pourquoi vous contenter du seul exemple de l'Égypte ? L'un des marqueurs les plus signifiants aux yeux des paléoanthropologues dans l'apparition de l'humanité est le fait d'enterrer ses morts. Où est le rapport ? Vous confondez conscience et sujet. Les éléphants aussi, en raison de rituels trop spécifiques pour ne pas tenir l'hypothèse comme solide, semblent doués d'une espèce de conscience de la mort de leurs congénères. Trouvez donc un éléphant affirmant son "moi"... Cela répond, en l'invalidant, à votre vraie-fausse question, pas seulement fantaisiste, mais inepte, ci-dessous.
Crosswind a écrit:
Est-il correct de dire que l'Homme avait conscience de soi sans formulation théorique du sujet ?


Encore, ayez bien conscience que je ne donne là que quelques maigres échantillons... Ceux qui se soumettent à de vrais travaux de lecture, à ce qu'on appelle de l'étude, lorsqu'ils ont lu, étudié les Détienne, Vernant, Hadot, pour me contenter de noms suffisamment connus pour que chacun sache même vaguement de qui il est question, ceux-là n'en sont plus à des lacunes aussi fâcheuses.

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Mais en quoi le fait conscient seul pourrait-il pousser un être à enterrer ses morts et à les célébrer si ce n'est pour perpétuer quelque chose de plus spécifique que la simple existence en tant qu'objet ? Je vous suis, Euterpe, sur votre analyse de la langue grecque. Je n'ai pas de problème avec cela, j'ai suivi toute une scolarité gréco-latine. 

Soit, je continue de vous lire avec attention !

descriptionProblème de compréhension du "Sujet". - Page 4 EmptyRe: Problème de compréhension du "Sujet".

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Crosswind a écrit:
Mais en quoi le fait conscient seul pourrait-il pousser un être à enterrer ses morts et à les célébrer si ce n'est pour perpétuer quelque chose de plus spécifique que la simple existence en tant qu'objet ?

Nous n'en sommes pas à discuter la question de savoir ce que peut être le quelque chose qu'on cherche à perpétuer dans les rites mortuaires de l'inhumation. A vrai dire, peu importe. La conscience, comme telle, ne fait pas nécessairement le "sujet" au sens moderne du terme, autrement dit la subjectivité, la personne psychologique, conçue comme un être à part entière, séparé.

Il faut produire l'effort intellectuel, méthodologique, épistémologique (ἐπιστήμη, i. e. ici, art, habileté pour, application de l'esprit dans l'étude de quelque chose, l'étude), pour utiliser le terme de conscience dans le sens qu'il avait avant l'invention du sujet. Revenons à nos fondamentaux : συνείδησις (συν-είδησις) et conscientia (de con-scientia, verbe scio).

Συνείδησις est le terme que l'on traduit par "conscience", c'est-à-dire le sentiment intime (= certitude intérieure), conscience de ses propres pensées, et de ses propres actes. C'est le terme grec pour dire qu'on sait ce qu'on pense quand on pense, et qu'on sait ce qu'on fait quand on agit. On retrouve ce que j'explicitais à larmi plus haut. Nul besoin d'être "cartésien" pour savoir ce qu'on pense et ce qu'on fait quand on pense et qu'on agit. Mais, en outre, le terme grec, comme le terme latin, a un sens moral, et désigne la capacité à distinguer le bien du mal. On n'en a pas fini avec le terme, toutefois, si on n'envisage pas ce de quoi il est composé. D'abord, le verbe correspondant est le verbe εἴδω, qui signifie voir de ses yeux, observer, examiner, avoir une entrevue avec quelqu'un ; se représenter, se figurer ; se faire voir, se montrer, paraître, sembler ; être informé de, instruit de, etc. Verbe de la même famille que le nom εἴδησις, science, connaissance. Le terme latin qui le traduit n'apporte rien de bien neuf, sinon qu'il marque plus nettement la connaissance de quelque chose comme partagée avec quelqu'un, d'où complicité, connivence, confidence ; et qu'il n'intègre pour ainsi dire pas la dimension proprement visuelle du terme grec, qui a donné εἴδωλον (qu'on rend par idole) : simulacre, fantôme, image conçue dans l'esprit, imagination. Au total, la notion de connaissance est une constante, dans les multiples nuances sémantiques des termes examinés ici.

Mais les Grecs et les Latins disposaient de bien d'autres mots, pour désigner la connaissance et la vision ; ils ne bâtissaient pas sur de tels sables mouvants, mais se fiaient au νόος (noos : intelligence, esprit, pensée), à la νόησις (noèsis) — termes encore ô combien importants dans l'œuvre de Husserl —, ou encore à la φρόνησις, le pensée comme acte de la réflexion, le sentiment comme action de sentir (verbe φρονῶ = penser, sentir de telle ou telle façon — radical φρήν). Nous sommes loin, très loin du "sujet" autonome moderne ; lequel, du reste, ne paraît guère disposer d'une conscience supérieure à ses prédécesseurs, lui qui, pourtant, se gargarise de psychologisme.
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