@anormal,
D'abord, merci d'étayer votre raccourci ci-dessous, à propos du libéralisme. En l'état, la remarque n'est pas satisfaisante car elle prête à confusion :
anormal a écrit: Tout ceci se comprend mal, si l'on ne fait pas allusion au Libéralisme qui trouve ses sources dans la Renaissance italienne. Ce Libéralisme implique nécessairement l'individualisme, ce qui a pour conséquence première, une certaine autonomie qui s'exprime sous la forme d'une volonté de s'émanciper de tout ce qui peut contraindre l'Individu : Dieu ; la Religion ; l'autorité de l'Église, de la Monarchie, etc. Il devient par là même logique de ne dépendre que de soi-même et de ce que la raison nous dicte. Kant définit Les Lumières par la formule : sapere aude.
Ensuite, pour vous conformer exactement aux
articles 1, 3 & et 4 de la charte, merci de référencer au mieux vos contributions de manière à les rendre
accessibles à vos interlocuteurs. Ainsi, de Nietzsche, on trouve principalement le texte source ci-dessous (2 traductions) :
Nietzsche, Par delà le bien et le mal, § 17 a écrit: Pour ce qui en est de la superstition des logiciens, je veux souligner encore, sans me laisser décourager, un petit fait que ces esprits superstitieux n’avouent qu’à contre-cœur. C’est, à savoir, qu’une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux ; de sorte que c’est une altération des faits de prétendre que le sujet moi est la condition de l’attribut « je pense ». Quelque chose pense, mais croire que ce quelque chose est l’antique et fameux moi, c’est une pure supposition, une affirmation peut-être, mais ce n’est certainement pas une « certitude immédiate ». En fin de compte, c’est déjà trop s’avancer que de dire « quelque chose pense », car voilà déjà l’interprétation d’un phénomène au lieu du phénomène lui-même. On conclut ici, selon les habitudes grammaticales : « Penser est une activité, il faut quelqu’un qui agisse, par conséquent… » Le vieil atomisme s’appuyait à peu près sur le même dispositif, pour joindre, à la force qui agit, cette parcelle de matière où réside la force, où celle-ci a son point de départ : l’atome. Les esprits plus rigoureux finirent par se tirer d’affaire sans ce « reste terrestre », et peut-être s’habituera-t-on un jour, même parmi les logiciens, à se passer complètement de ce petit « quelque chose » (à quoi s’est réduit finalement le vénérable moi).
Traduction, Henri Albert.
Pour ce qui est de la superstition des logiciens : je ne me lasserai pas de souligner sans relâche un tout petit fait que ces superstitieux rechignent à admettre, — à savoir qu'une pensée vient quand « elle » veut, et non pas quand « je » veux ; de sorte que c'est une falsification de l'état de fait que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ». Ça pense : mais que ce « ça » soit précisément le fameux vieux « je », c'est, pour parler avec modération, simplement une supposition, une affirmation, surtout pas une « certitude immédiate ». En fin de compte, il y a déjà trop dans ce « ça pense » : ce « ça » enferme déjà une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus lui-même. On raisonne ici en fonction de l'habitude grammaticale : « penser est une action, toute action implique quelqu'un qui agit, par conséquent — ». C'est à peu près en fonction du même schéma que l'atomisme antique chercha, pour l'adjoindre à la « force » qui exerce des effets, ce caillot de matière qui en est le siège, à partir duquel elle exerce des effets, l'atome ; des têtes plus rigoureuses enseignèrent finalement à se passer de ce « résidu de terre », et peut-être un jour s'habituera-t-on encore, chez les logiciens aussi, à se passer de ce petit « ça » (forme sous laquelle s'est sublimé l'honnête et antique je).
Traduction, Patrick Wotling.
Ajoutons que
Le Gai Savoir, V, § 355, est complémentaire :
Nietzsche a écrit: L’origine de notre notion de la « connaissance ». — Je ramasse cette explication dans la rue ; j’ai entendu quelqu’un parmi le peuple dire : « Il m’a reconnu » — : et je me demande ce que le peuple entend au fond par connaître ? que veut-il lorsqu’il veut la « connaissance » ? Rien que cela : quelque chose d’étranger doit être ramené à quelque chose de connu. Et nous autres philosophes — par « connaissance » voudrions-nous peut-être entendre davantage ! Ce qui est connu, c’est-à-dire : ce à quoi nous sommes habitués, en sorte que nous ne nous en étonnons plus, notre besogne quotidienne, une règle quelconque qui nous tient, toute chose que nous savons nous être familière : — comment ? notre besoin de connaissance n’est-il pas précisément notre besoin de quelque chose de connu ? le désir de découvrir, parmi toutes les choses étrangères, inaccoutumées, incertaines, quelque chose qui ne nous inquiétât plus ? Ne serait-ce pas l’instinct de crainte qui nous pousse à connaître ? La jubilation du connaisseur ne serait-elle pas la jubilation de la sûreté reconquise ?… Tel philosophe considéra le monde comme « connu » lorsqu’il l’eut ramené à l’« idée ». Hélas ! n’en était-il pas ainsi parce que l’« idée » était pour lui chose connue, habituelle ? parce qu’il avait beaucoup moins peur de l’« idée » ? — Honte à cette modération de ceux qui cherchent la connaissance ! Examinez donc à ce point de vue leurs principes et leurs solutions des problèmes du monde ! Lorsqu’ils retrouvent dans les choses, parmi les choses, derrière les choses, quoi que ce soit que nous connaissons malheureusement trop, comme par exemple notre table de multiplication, notre logique, nos volontés ou nos désirs, quels cris de joie ils se mettent à pousser ! Car « ce qui est connu est reconnu » : en cela ils s’entendent. Même les plus circonspects parmi eux croient que ce qui est connu est pour le moins plus facile à reconnaître que ce qui est étranger ; ils croient par exemple que, pour procéder méthodiquement, il faut partir du « monde intérieur », des « faits de la conscience », puisque c’est là le monde que nous connaissons ! Erreur des erreurs ! Ce qui est connu c’est ce qu’il y a de plus habituel, et l’habituel est ce qu’il y a de plus difficile à « reconnaître », c’est-à-dire le plus difficile à considérer comme problème, à voir par son côté étrange, lointain, « extérieur à nous-mêmes »… La grande supériorité des sciences « naturelles », comparées à la psychologie et à la critique des éléments de la conscience — on pourrait presque les appeler les sciences « non-naturelles » — consiste précisément en ceci qu’elles prennent pour objet des éléments étrangers, tandis que c’est presque une contradiction et une absurdité de vouloir prendre pour objet des éléments qui ne sont pas étrangers…
Traduction, Henri Albert.
Mais, dès avant Nietzsche, Pascal se montrait aussi radicalement dubitatif, moins sur l'existence du moi que sur la possibilité même de l'identifier :
Pascale, Pensée 567 a écrit: Qu’est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées.
Pensée dont on lira avec profit cette analyse.
David Hume, de même, dans son
Traité de la nature humaine, Livre I, Partie 4, section 6.
Bref, l'évidence cartésienne en laisse plus d'un, et non des moindres, perplexes. Aussi faut-il en effet, et comme tentait de vous le suggérer anormal, remonter à ce qu'on appelle traditionnellement en philosophie
la crise de l'autorité théologico-politique (à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles). Le mieux, larmi, pour éviter de vous noyer dans des références, est de lire l'introduction du
Montaigne de Pierre Manent, qui offre sans doute la meilleure synthèse, de loin la plus rigoureuse, sur ce sujet (11 pages). L'inconvénient, qui pourrait bien vous arrêter, c'est qu'elle exige des connaissances solides, acquises de longue date, et mobilisables à peu près immédiatement, à la lecture de ce texte dense. Éventuellement, pour approcher ce livre, vous pouvez écouter cette conférence, et lire la présentation qu'en fait Simone Manon : ici.
@NaOh,
Pour compléter votre intéressante contribution, merci de citer le texte de Sartre auquel vous faites référence ci-dessous :
NaOh a écrit: Ainsi, je ne sais pas si vous connaissez L’Être et le Néant de Sartre mais il y développe une conception du sujet qui peut nous venir en aide ici. Je veux parler de la notion de "cogito pré-réflexif". Dans l'introduction en particulier, Sartre introduit un artifice typographique pour désigner ce mode d'être « primaire » de la conscience, en deçà de toute réflexivité, qu'il note : « conscience (de) soi ».
Concernant le point de vue que vous appelez « historien », qui n'a rien d'étrange, c'est à vous de comprendre qu'en la matière,
le contexte prime tout le reste, et détermine la compréhension des œuvres, des points de vue, concepts, etc. Ainsi de
L'être et le néant, dont le sous-titre vous indique une époque, une filiation, une orientation de la philosophie, etc. ; ce en quoi, donc, cette œuvre n'échappe pas à la règle.
Attention, enfin, aux art. 6 & 7 de la charte, qui font désormais l'objet d'une application stricte. Compte tenu du sérieux de vos contributions, vos messages ont été corrigés. Les prochains ne le seront plus.