Tel est bien le cœur du problème. Tout ce qui existe a une cause, et tout ce qui a une cause extérieure à soi ne peut être qualifié de divin
Oui. Vous résumez là les huit définitions et les sept axiomes de la première partie de
l'Éthique. Cela dit, malgré le ton catégorique et la démarche déductive adoptés par Spinoza, il y a chez lui, néanmoins, une problématique dans le fait de choisir la
cause de soi comme toute première définition. Comme le souligne Deleuze dans son
Index des Principaux Concepts de l'Éthique, Spinoza reprend une notion (
causa sui) du vocabulaire scolastique et qui n'est, jusque là, utilisée que par analogie avec la
causalité efficiente d'Aristote. Selon cette analogie, en effet, la
causalité efficiente n'est, rigoureusement parlant, qu'une
causalité mécanique, donc exogène (A transmet son mouvement à B qui le transmet à C, etc.). Dès lors, on ne peut concevoir de causalité endogène (de
cause de soi) qu'en regroupant arbitrairement un certain nombre de phénomènes qui, individuellement, s'analysent tous en phénomènes de causalité exogène : on dira par exemple que chaque rouage d'une horloge est mû par
causalité efficiente, donc exogène, mais que, si l'on considère le tout de l'horloge, la causalité responsable du mouvement devient endogène et, en ce sens, on parlera, de manière dérivée et analogique de
cause de soi : tout s'y passe
comme si le mouvement de l'horloge était
causa sui, mais on sait que ce n'est pas le cas. L'illusion provient là de l'abstraction que l'on a faite du mouvement initial de l'horloger (pour ne rien dire du mouvement qui meut l'horloger, etc.,
ad infinitum). Or il n'y a rien de cela chez Spinoza. La
causa sui n'est pas une abstraction mais, tout au contraire LA causalité par excellence, et c'est la
causalité efficiente qui va se trouver reléguée au rang d'analogie dérivée et abstraite. Il est clair que, du point de vue ontologique, tout le panthéisme (ou panenthéisme) de Spinoza, et, du point de vue méthodologique, tout son holisme, résident dans ce renversement.