Bonjour Vangelis,
Vangelis a écrit: 1/ Une tension émise à une certaine fréquence ne peut que rester dans le tout ou rien. Donc pas de nouveauté de ce côté.
Un neurone est une cellule qui, à l’état de repos, est chargée négativement (-70 mV). Lorsqu’elle est excitée, elle se polarise, c’est-à-dire que son potentiel devient positif (30mV). Il y a donc une variation d’amplitude de 100mV. Cette variation se produit ou ne se produit pas. Elle est donc bien de l’ordre du tout ou rien.
Mais cette polarisation-dépolarisation qui entraîne l’émission d’un potentiel d’action parcourant un ou plusieurs axones auxquels le neurone est relié est en général suivie d’une nouvelle phase, et même de plusieurs autres qui ne se produisent pas à moins de 1,5 milliseconde l’une de l’autre car, pendant cet intervalle, le neurone subit une période réfractaire où il ne peut plus être repolarisé.
A partir de là, il existe plusieurs types de neurones qui se distinguent notamment par leur mode de réaction à un potentiel excitateur. L’un, par exemple, va se décharger 4 fois tous les 10 ms pour avoir une période de latence de 10 ms et recommencer après. Et pour l’autre, ce sera 6 fois avec des périodes de latence de 7 ms etc. Tous ces types de neurones possibles sont sans doute répertoriés. Personnellement, je ne connais pas de répertoire mais peu importe. Ce qui compte c’est qu’il peut exister des groupes de neurones fonctionnant ensemble et qui appartiennent à des types différents.
L’effet produit par le fonctionnement de ce groupe (qu’on peut assimiler à un module cortical) sur le champ magnétique interne peut alors être unique et singulier. Le nombre de neurones de chaque type, la longueur des axones qui les joignent, tout cela peut être prédéterminé par le caryotype et faire que les décharges de neurones soient organisées dans le temps avec une précision horlogère pour donner toujours une modulation propre de l’intensité du champ magnétique interne. On n’est plus là dans une logique du tout ou rien, dans une logique numérique mais dans une logique analogique. Il y a modulation continue et périodique de l’ « onde » produite par le module cortical excité.
Voyons comment cette mécanique peut fonctionner à partir d’un exemple. Je prends une aiguille avec laquelle je pique l’extrémité de la dernière phalange de l’index droit au milieu, à deux millimètres au dessous de l’ongle. Je fais la même chose à l’endroit correspondant pour le majeur. Un influx nociceptif après avoir franchi le relai de la moelle épinière parvient au cerveau à cet endroit du corps de Penfield où sont les modules corticaux récepteurs de la main droite. Pour l’index comme pour le majeur, on va dire qu’il y a un module spécialisé pour la dernière phalange qui va être excité tant que l’influx nociceptif y parvient.
Pendant la durée de l’excitation, il y aura une modulation du champ magnétique qui sera particulière par rapport à toute autre excitation de tout autre module cortical et qui ne sera en particulier pas la même s’il s’agit d’une piqûre à l’index ou au majeur. La modulation continue et particulière produira une sensation continue et distincte. De piqûre au milieu de la face extérieure de la dernière phalange de l’index droit à deux millimètres au-dessous de l’ongle si c’est l’index qui est piqué. De piqûre à deux millimètres au dessous de l’ongle du majeur droit si c’est le majeur.
Je dis bien qu’elle la produira et je ne dis pas qu’elle est cette sensation. C’est un peu comme lorsque vous avez une émission de musique à la radio. Vous avez une fraction d’onde électromagnétique modulée en amplitude qui va correspondre, par exemple, à une phrase musicale. Mais évidemment cette fraction d’onde n’est pas la phrase musicale. Elle va être reçue par un récepteur de radio et transformée en onde sonore. Cette onde sonore va faire vibrer votre tympan etc. Ceci étant, quel que soit le processus final, succession d’éléments d’une gamme d’affects ou autre chose, par lequel la modulation du champ magnétique va aboutir à la sensation ressentie, cette modulation se place, à mon sens, juste au bord du fossé explicatif qui sépare l’activité cérébrale de cette sensation.
Pour me faire comprendre d’une autre façon, j’ajouterai ceci. Le module cortical de l’index droit et celui du majeur droit se situent côte à côte dans le corps de Penfield. Mais imaginons une opération par laquelle on déplacerait le module du majeur à un autre endroit du cerveau, tout en le maintenant bien sûr relié par des axones aux cellules réceptrices des stimulus sensoriels du majeur. Eh bien il s’activerait de la même particulière façon et produirait en fin de compte le même ressenti. C’est un peu comme si on avait plusieurs portables dans une même pièce ayant chacun sa sonnerie propre. Quel que soit l’endroit où l’un se situe, on le reconnaît des autres par le type de sa sonnerie.
Vangelis a écrit: 2/ Il oublie de mentionner les neurotransmetteurs qui eux sont des composés chimiques.
C’est vrai, je ne mentionne pas les neurotransmetteurs. A mon sens, il faut choisir. Ou les sensations sont l’émergence d’algorithmes particuliers correspondant aux parcours des potentiels d’action dans les axones. Et alors on est dans l’explication numérique, computationnelle avec sa variante de l’espace de travail global à la Dehaene. Ou les sensations sont produites à partir de la modulation du champ magnétique contemporaine du ressenti et alors on est dans l’explication de type analogique que j’appelle moduliste. Si on mêle à cela les explications de type chimique et qu’on essaie de voir quelle partie de tel produit entre dans la composition de telle sensation, on met le pied dans un fouillis explicatif dont je me retire tout de suite. Les neurotransmetteurs sont une voie de transmission des excitations des neurones. Leur activité revient toujours à influer sur le champ magnétique global mais par l’intermédiaire des décharges de neurones. Donc on peut les laisser tomber sans problème sur le plan d’explication où l’on se situe vis-à-vis des processus qu’on cherche à expliquer.
Vangelis a écrit: 4/ Il ne dit rien de la voie épistémique empruntée, à savoir s'il recherche le fondement d'une création pure ou la connexion à un "catalogue*" préexistant (ou pourquoi pas les deux).
Un catalogue préexistant ? C’est plutôt mon idée. Pour en revenir aux deux modules, de l’index et du majeur, que j’évoquais plus haut, on peut penser qu’ils se rencontrent chez tous les hommes, peut-être chez tous les singes mais certainement pas dans le cerveau du serpent. De même que nous n’avons certainement pas les modules qui sont dans la tête de la chauve-souris de Nagel et qui lui permettent de savoir l’effet que font les ultrasons. Ce que je crois c’est qu’il faudrait encore beaucoup progresser à la fois en micro-anatomie pour analyser la composition des modules corticaux à la fois chez l’homme et chez les animaux ; et en utilisation de la magnétoencéphalographie pour repérer les modulations de champ propre à telle sensation, voir si elles ne varient pas d’un sujet à l’autre. Des variations individuelles sont possibles sans forcément que la cohérence globale de l’explication soit affectée.