philophil a écrit: Intervenant dans un forum de philosophie, je ne puis que déplorer l'arrogance scientiste consistant à penser et à proclamer que, certes, la science n'explique encore pas tout, mais qu'avec un peu de patience, ça viendra. Visiblement, vous ne comprenez pas lorsque je vous explique que le mind-body problem relève d'une recherche conceptuelle (= philosophique) et non d'une recherche empirique (= scientifique).
Bonjour Phiphilo,
Je n'ai jamais nié ma prétention. En d'autres temps, vous avez même eu l'amabilité de me trouver trop sévère à mon égard. Quant à mon arrogance, je suis plus réservé et je laisse chacun juge.
Il est vrai que j'ai contré sans trop de précautions un Dehaene prophétisant que les qualia apparaîtront comme une notion ridicule dans les vingt ou trente ans à venir ou affirmant qu'on va bientôt construire des ordinateurs conscients. Je répète et répèterai encore que, si l'on prétend parler de la conscience, il faut parler de son contenu et que la notion de qualia est celle-là-même qui est nécessaire pour appréhender ce contenu. Je répète aussi que la logique computationnelle qui est mise en œuvre dans les connexions neuronales ne produit en aucune manière les contenus de conscience et ne les produira pas davantage mise en œuvre dans une machine, si perfectionnée soit elle.
Mais me voir "proclamer que, certes la science n'explique encore pas tout mais qu'avec un peu de patience, ça viendra", c'est me voir mal. On ne peut à aucun moment je le pense, induire que j'ai avancé cette idée de quelque façon. Je vous ai simplement reproché d'écrire : « Ce qui me laisse perplexe, dans ce débat, c'est qu'il laisse planer l'impression que les neuro-sciences ne savent pas
encore produire une théorie satisfaisante des phénomènes conscients mais que cela pourrait être le cas dans un avenir plus ou moins proche. Or il me semble qu'on est là en pleine confusion conceptuelle car
la science ("La science" comme dirait l'autre) n'a absolument rien à nous
expliquer sur ce sujet. » Je veux signifier seulement par là, et cela me semble assez clair, qu'il n'y a pour moi aucune objection métaphysique ou philosophique à ce que la science produise un jour une théorie satisfaisante des phénomènes conscients mais cela ne veut absolument pas dire qu'il est certain qu'elle le fera. Et vous conviendrez que ce n'est pas du tout la même chose, que, s'il y a d'un côté je ne dirais pas bien sûr arrogance mais affirmation péremptoire, ce n'est pas du mien.
Il serait faux également de dire que je prétend expliquer la conscience en proposant le mécanisme que j'appelle modulisme. Je prétends certes faire une avancée dans l'explication, mais pas plus. Je n'éclaire nullement la façon dont la modulation du champ magnétique peut provoquer la succession d'affects, elle-même génératrice d'une sensation particulière. Je pose une hypothèse qui, je le répète, ne porte que sur des phénomènes conscients très simples et ne les explique pas jusqu'au bout.
Votre thèse sur la conscience a une toute autre ambition que la mienne. "L'esprit", il faut entendre sans doute par là la réalité constitutive de la conscience, serait pour vous un "ensemble de dispositions conscientes à agir", "l'ensemble des
règles (lois, codes, normes, prescriptions, préférences, etc.) qu'un
agent déterminé est enclin à mobiliser (dans son for intérieur ou à la requête d'autrui) pour se
justifier dans le cadre d'un acte
intentionnel." Je n'ai rien contre cela a priori même si je le saisis un peu mal. Tout me semble aller très bien pour votre conception de l'esprit comme "ordre de normativité pour un monde humain, c'est-à-dire essentiellement social". Sauf évidemment un tout petit rien que vous déplorez vous-même : "l'objection "anti-spéciste" selon laquelle, si l'
intentionalisme a le mérite de rappeler que l'homme est fondamentalement un
zôon politikon, un animal social, il semble exclure toute autre espèce vivante de la possibilité d'accès à la
conscience..." Cela ne fait, bien entendu, pas l’affaire de mon nématode, ce
caenorhabditis elegans dont j’ai fait le héros de deux de mes articles (« Le générateur de conscience peut être un objet simple » et « Les fondements de la conscience »). J’y montre que ce petit ver qui a juste trois centaines de neurones pourrait très bien jouir, souffrir, désirer, vouloir, s’efforcer même s’il est encore très loin de penser comme moi. Et encore plus de philosopher comme vous…
Le mécanisme qui a sa base perceptible sur la simple oscillation des neurones et qui pourrait générer la substance intime de notre conscience n’a pas moins de raison d’être présent chez lui qu’il ne l’est chez nous. Etudier empiriquement comme je le propose les corrélats des objets les plus simples, les plus frustes qui se présentent à notre conscience, ne serait-ce pas le moyen de rattacher celle-ci aux limbes de la nature animale et d’en approcher la connaissance plus sûrement que de toute autre façon ?...