pour la tradition indienne le jnana yoga qui pose par la question première : "qui suis-je ? ", une ligne d'horizon qui est en même temps une ligne d'horizontalité, permet que le questionnement soit simplement maintenu comme : une direction pour le mouvement de la pensée vers, mais sans désigner telle réalité distincte de telle autre par la structuration conceptuelle, ainsi l'exercice du mental instable, qui maintient l'objectivité et la subjectivité (bipolarité du connu/inconnu et de l'inconnu/connu) en équilibre incertain par une correction en temps réel d'une horizontalité (le sens raisonnable), se retrouve (car il l'avait perdu) en stabilisé par la même qualité de présence que l'horizon lui même, comme finalité cosmique...
En fait, le jñānayoga ou yoga de la connaissance pose plutôt la question "que suis-je ?". C'est-à-dire que, à l'injonction spontanée de citta (le mental) "tat tvam asi" ("tu es ceci, tu es cela") qui induit l'identification de l'être humain à son corps, à ses émotions, à ses représentations, à sa pensée, etc., le yogin doit répondre "neti, aham brahmâsmi" ("pas du tout, je suis l'absolu"). Ce qui, comme vous le dites, ne peut être, même pour le yogin accompli, qu'une direction de pensée, une tâche infinie. Comme vous le voyez, on n'est pas très loin des méditations métaphysiques de Descartes, le dualisme substantiel en moins, bien entendu puisque le yogin tend vers cet absolu à travers une ascèse du corps.
tout comme dans le Tao, la marche du Sage/Saint restitue en sa présence unificatrice l'agir et le non-agir, et par sa participation aux histoires des humains, ne peut être vu que comme celui/celle (distinction fortuite dans le Tao lui même ) qui manifeste une désappropriation : "Quand je cesserai de chérir mon nom, je n'aurai plus aucun dérangement.13" cette paix intérieur comme horizon et horizontalité se retrouve aussi dans ce passage de soi au tout : "Le Tao est une forme sans forme, une image sans image. Il est l'Indéterminé. Si l'on marche devant lui, on ne voit pas son principe. Si l'on va derrière lui, il paraît sans fin. En suivant l'antique voie, on maîtrise le présent. Car le Tao est le fil qui guide l'homme à travers le temps 14 "
Tout à fait. D'où l'importance de l'assise (âsana) dans le yoga. C'est-à-dire un équilibre obtenu sans effort afin que "les énergies fondamentales [guna] retournent à leur état latent originel" (Patañjali, Yoga-Sûtra (B.O.), iv, 34). Ce qui n'est pas sans évoquer le "s'asseoir et oublier tout [zuò wàng]" du taoïsme ou le "s'asseoir paisiblement sans rien faire" du bouddhisme chán (zen). L'indianiste Jean Varenne définit le yoga comme "une technique de salut originale qui se propose de libérer l'âme de sa condition charnelle par l'exercice de disciplines psychiques et corporelles" (Jean Varenne, Encyclopædia Universalis, xviii, 1157b). Une telle définition peut donc s'appliquer aussi au taoïsme et au zen. Sauf que ...
cela voudrait-il dire que curieusement se rencontrer soi même serait ne plus se voir et en suivant alors sa présence, on disparaît du monde...?
Oui pour le yoga, oui pour le zen (notion de nirvāṇa), mais non pour le taoïsme. Dans cette dernière ascèse, en effet, on ne disparaît pas du monde, mais on disparaît au monde. Le sage (le saint) taoïste (shèng) s'identifie au monde, autrement dit à la Voie ou à la vie. Ce qui n'est pas sans rappeler les paroles du Christ "je suis la voie, la vérité et la vie" (Jean, 14-6). Bref, se rencontrer soi-même, consiste, pour le sage taoïste, à oublier tout ce qu'il est, certes. Sauf que, dans la pensée chinoise, comme il n'y a pas de transcendance, pas d'au-delà, "oublier tout" veut clairement dire "se fondre dans le Tout" et non pas disparaître. De là vient que l'horizon du sage n'est pas l'immortalité mais la "longue vie" (cháng shēng).