La remarque de Gisli à propos du "moi" de Hölderlin me paraît un prétexte à saisir pour poser une bonne fois la question de savoir à quoi peut bien correspondre au juste ce que nous avons coutume de nommer un "moi", autrement dit notre subjectivité. Laissons de côté, au moins provisoirement, mon jansénisme, sur lequel je pourrai revenir dans le cours même de la discussion que je vous propose ici. Intéressons-nous à la généalogie de ce qui, pour sembler une évidence à tous au premier abord, n'en est pas moins une nébuleuse.
Je ne me contenterai, pour lancer le sujet, que de quelques éléments historiques. Rappelons, pour la énième fois, qu'il n'y a pas de subjectivité avant Descartes (on peut certes en repérer les prodromes pendant la Renaissance, mais l'individu qui émerge alors n'est pas un individu psychologique). Mais qu'est-ce que la subjectivité cartésienne ? Une pensée qui se pense elle-même, qui fait de l'acte même de penser un objet de pensée. Tout au plus le cartésianisme crée les conditions d'une émergence possible de la subjectivité moderne, guère plus. Même quand Condillac aura tant de succès, jusqu'à l'époque napoléonienne, les sensations et la sensibilité ne seront pas à proprement parler psychologiques, plutôt mécaniques.
Une rupture qui semble irréversible se produit, à des moments et en des lieux différents de l'Europe, entre 1770 et 1830 environ et pour considérer une période assez large : la pensée a tellement pénétré la sensibilité qu'elle l'a intellectualisée à outrance (on pourra, pour nourrir la discussion, se référer aux Essais de psychologie contemporaine de Bourget). Avec les romantiques, on peut dire que la psychologie moderne est inventée avant qu'elle ne devienne une science humaine.
De même, l'inconscient est souvent nommé comme tel, avec une grande lucidité, bien des décennies avant l'invention de la psychanalyse. Ainsi Nietzsche a des choses à nous dire à propos du sujet, et fondamentales ; Freud également. Or, on se focalise sans cesse sur le nihilisme nietzschéen, par exemple, ou l'inconscient freudien, en négligeant jusqu'à l'occulter, leur projet : la destruction du sujet. Évitons pour lors de rapprocher abusivement ces deux hommes, dont la démarche n'est pas la même. Simplement, essayons d'interroger l'iconoclasme de l'un et de l'autre. Le moi n'est qu'une habitude, selon Nietzsche, et ni plus ni moins que le résultat toujours provisoire de processus qui se combinent et se recombinent sans cesse (cf. la volonté). Pour Freud, il aura fallu trois topiques pour se donner certains moyens de repérer ce qu'on appelle "moi", lequel n'est rien de plus, chez lui, qu'une instance conceptuelle commode à manipuler, mais jamais plus qu'une vitrine qui doit nous inciter à regarder du côté de l'arrière-boutique. Or, les dissimulations du moi ont probablement donné l'illusion d'une profondeur dont l'usage principal consiste aujourd'hui à pratiquer le déni du réel, si répandu et banalisé, pourvu que le sacro-saint moi soit sauf : lui, le dépositaire et garant de l'émotion, de la sensation, etc., non en tant qu'elles seraient rapportées au réel, mais comme preuves de notre seule subjectivité, le réel étant réduit à un pauvre faire-valoir, sans consistance aucune, puisqu'il n'est là que comme le révélateur de la seule consistance des subjectivités modernes.
[Ici, Pascal ne me semble pas pouvoir contribuer à la discussion, tandis que la contribution de Clément Rosset, avec son opuscule Loin de moi, me paraît absolument incontournable.]
Je ne me contenterai, pour lancer le sujet, que de quelques éléments historiques. Rappelons, pour la énième fois, qu'il n'y a pas de subjectivité avant Descartes (on peut certes en repérer les prodromes pendant la Renaissance, mais l'individu qui émerge alors n'est pas un individu psychologique). Mais qu'est-ce que la subjectivité cartésienne ? Une pensée qui se pense elle-même, qui fait de l'acte même de penser un objet de pensée. Tout au plus le cartésianisme crée les conditions d'une émergence possible de la subjectivité moderne, guère plus. Même quand Condillac aura tant de succès, jusqu'à l'époque napoléonienne, les sensations et la sensibilité ne seront pas à proprement parler psychologiques, plutôt mécaniques.
Une rupture qui semble irréversible se produit, à des moments et en des lieux différents de l'Europe, entre 1770 et 1830 environ et pour considérer une période assez large : la pensée a tellement pénétré la sensibilité qu'elle l'a intellectualisée à outrance (on pourra, pour nourrir la discussion, se référer aux Essais de psychologie contemporaine de Bourget). Avec les romantiques, on peut dire que la psychologie moderne est inventée avant qu'elle ne devienne une science humaine.
De même, l'inconscient est souvent nommé comme tel, avec une grande lucidité, bien des décennies avant l'invention de la psychanalyse. Ainsi Nietzsche a des choses à nous dire à propos du sujet, et fondamentales ; Freud également. Or, on se focalise sans cesse sur le nihilisme nietzschéen, par exemple, ou l'inconscient freudien, en négligeant jusqu'à l'occulter, leur projet : la destruction du sujet. Évitons pour lors de rapprocher abusivement ces deux hommes, dont la démarche n'est pas la même. Simplement, essayons d'interroger l'iconoclasme de l'un et de l'autre. Le moi n'est qu'une habitude, selon Nietzsche, et ni plus ni moins que le résultat toujours provisoire de processus qui se combinent et se recombinent sans cesse (cf. la volonté). Pour Freud, il aura fallu trois topiques pour se donner certains moyens de repérer ce qu'on appelle "moi", lequel n'est rien de plus, chez lui, qu'une instance conceptuelle commode à manipuler, mais jamais plus qu'une vitrine qui doit nous inciter à regarder du côté de l'arrière-boutique. Or, les dissimulations du moi ont probablement donné l'illusion d'une profondeur dont l'usage principal consiste aujourd'hui à pratiquer le déni du réel, si répandu et banalisé, pourvu que le sacro-saint moi soit sauf : lui, le dépositaire et garant de l'émotion, de la sensation, etc., non en tant qu'elles seraient rapportées au réel, mais comme preuves de notre seule subjectivité, le réel étant réduit à un pauvre faire-valoir, sans consistance aucune, puisqu'il n'est là que comme le révélateur de la seule consistance des subjectivités modernes.
[Ici, Pascal ne me semble pas pouvoir contribuer à la discussion, tandis que la contribution de Clément Rosset, avec son opuscule Loin de moi, me paraît absolument incontournable.]
Dernière édition par Euterpe le Mar 22 Aoû 2017 - 13:02, édité 5 fois