Silentio a écrit: Le but a toujours été d'établir la vérité, ou en dépit d'elle une vérité d'après laquelle vivre.
Il y a bien longtemps que les philosophes ont renoncé à la vérité. On cherche désormais à comprendre, à interpréter (parfois jusqu'à l'hyper-rationalisme, comme on l'a vu dans l'histoire et les sciences sociales à une époque). Alors, en effet, on peut éventuellement parler d'une vérité vitale, à condition d'entendre ici que la vie est devenue le fondement de la philosophie post-kantienne ou post-hégélienne, dont Kierkegaard, Schopenhauer, Nietzsche et Marx sont les principaux représentants.
Silentio a écrit: allant même jusqu'à interdire la connaissance de la chose en soi ou de Dieu
C'est une conséquence que vous tirez en l'interprétant. Mais Kant lui-même n'interdit pas la connaissance de la chose en soi et de Dieu, il établit seulement que la connaissance de la chose et de Dieu est impossible.
Silentio a écrit: tout ce que Kant détruit dans la CRPure se retrouve bel et bien fondé en faisant intervenir la raison pratique
Plaît-il ?
Silentio a écrit: Personnellement c'est le Kant des conditions de possibilité qui m'interpelle, pas celui qui énonce sa vérité à laquelle se plier. Mais est-ce que l'on peut dire que ce dernier Kant devient dogmatique ?
Kant n'énonce aucune vérité. Il est même le premier des philosophes à renoncer à la vérité (aux vérités de la philosophie). Après Kant, que diable reste-t-il à la philosophie, comme objet de connaissance possible ? Que reste-t-il d'autre qu'une métaphysique des mœurs (et non une philosophie morale), que reste-t-il d'autre que la philosophie normative (laquelle inclut toutes les sciences anthropologiques telles que Kant les définit, puisque les questions qui les fondent sont elles-mêmes fondées par la métaphysique des mœurs) ?
Le Kant dogmatique n'a jamais existé. Il ne peut pas y avoir un Kant dogmatique. C'est une impossibilité qu'implique son discours lui-même. Kant pourchasse implacablement le fanatisme. On oublie quasiment toujours le Kant libéral, pour ne se focaliser que sur le Kant autoritaire (le devoir). Or le simple fait d'affirmer qu'il n'y a aucun concept possible du bonheur devrait pourtant mettre la puce à l'oreille. De même qu'il explique en quoi et comment chacun se fait son idée du bonheur, que ce concept ne peut en être un précisément parce qu'on y peut mettre ce qu'on veut, de même il rend à chacun la liberté d'interpréter personnellement les questions théologiques. Il invite chacun à entrer en lui-même, sur ce point précis, précisément parce que, comme pour le bonheur, c'est une affaire privée. C'est une source négligée de son criticisme. Au total, ce qui prête le flanc à des interprétations multiples, ce qui interdit tout concept, et par conséquent toute universalité, Kant l'abandonne à la personne privée. Des personnes, il ne sollicite que ce qui appartient à l'humanité. C'est pourquoi il contrebalance ce qui ne concerne que la personne privée par un devoir impérieux auquel plus personne, en tant que représentant de l'humanité, ne peut échapper.
On croit souvent lire tout Kant en lisant la seule CRPure, quand sa structure même montre clairement que l'essentiel est ailleurs. Pour s'en apercevoir, il faut maîtriser ses deux préfaces.