Euterpe a écrit: Rien, sinon que Furet s'est trompé. La Révolution n'est pas terminée, voilà tout. Dans le tout petit cercle parisien, brandir les vieux démons reste très efficace. Voyez la campagne de Mélenchon, qui a beaucoup mobilisé, avec des reliques vieilles de plus de deux siècles et demi.
Ces reliques sont encore d'actualité si l'on ne réussit pas à inventer des alternatives crédibles au mode de vie capitaliste. Il y a quand même du bon dans ce sursaut, même si certains brandissent encore les effigies du Che et de Lénine. Les communistes actuels ont peut-être des réflexes sectaires, mais je doute qu'ils soient tous restés en arrière, nombreux sont aussi ceux qui ont tiré des leçons des tragédies passées et qui tentent de penser et de pratiquer un autre communisme que celui qui, au fond, n'en a jamais été un. Enfin, la dernière présidentielle, qui fut insipide au possible, nous a montré des marchands d'antiquités de tous les côtés : certes, la gauche a répété un discours maintes fois entendu, mais la droite n'avait à la bouche que des caricatures pour discréditer ses opposants. Encore une fois, est-il sérieux aujourd'hui de susciter la crainte des chars soviétiques ? L'ennemi, ici, est tout simplement fantasmé. Il était débile de faire de Sarkozy l'équivalent d'un dictateur fasciste d'antan, il est tout autant stupide de renvoyer tout ce qui est trop rouge à Staline. D'ailleurs, le Partie de Gauche n'a jamais été vraiment anticapitaliste, bien que comportant une bonne frange des électeurs du PCF, et a suscité un engouement général parce que ses valeurs sont tout simplement républicaines (cf. la chose commune), là où le spectre et le discours politiques en général s'étaient considérablement déplacés vers la droite extrême. Or l'on sait que la France se gouverne au centre. Mais finalement ce qui est déplorable, comme toujours, du moins pour un observateur comme moi, c'est l'idéologie, l'amalgame et la caricature. Alors s'il ne s'agit pas de vérité en politique, sur laquelle on pourrait s'accorder après discussion, disons du moins qu'un orateur comme Mélenchon avait pour lui de sembler plus à cheval sur des principes forts, et attendus après un sarkozysme mouvementé et qui a laissé des traces (d'où le besoin d'unité nationale - thème qui a été mobilisé par Hollande imitant Obama), tandis que l'entre-deux tours nous a montré, par exemple, le machiévalisme d'une UMP qui ne semblait n'avoir, au fond, que peu de valeurs et faire semblant, de manière honteuse, d'embrasser les idées du FN. En attendant, tout le monde prétend parler au nom du peuple, alors qu'il ne s'agit par là que de favoriser des intérêts particuliers, et ce peuple subit des polémiques stériles qui permettent de trouver des boucs-émissaires et de servir de catharsis afin d'évacuer la responsabilité d'une élite politique incompétente et de ne pas traiter en profondeur les causes d'une crise désastreuse qui n'est pas seulement économique ou financière, mais surtout sociale, morale et politique. Là-dedans je me demande comment continuer la Révolution, comment aider à porter le projet d'autonomie devant l'impuissance de ce système à se transformer. Cela dit, malgré le repli sur soi et la mobilisation d'un imaginaire et d'une mémoire sociaux qui font place au conservatisme, voire à l'intégrisme, il se peut aussi que la transformation de la société s'opère malgré tout, mais aussi malgré nous, notamment dans le cadre de la mondialisation et de la globalisation. Qui sait, la crise précède peut-être un monde nouveau. Mais il ne nous sera peut-être pas favorable, d'où l'importance de la lutte pour des principes si nous pouvons influencer quelque peu le cours des choses. Pour autant, j'ai l'impression qu'il ne peut plus y avoir de mouvement de grande ampleur et que tout ce que nous tentons de faire ne peut plus avoir de répercussions globales (notamment du fait de l'hypermédiatisation des événements qui change notre rapport au temps : une fois l'instant passé il est noyé parmi d'autres et oublié).
Euterpe a écrit: Ni critique, ni retour. Nous ne sommes que dans du même, qui a ses propres variations depuis la Révolution. La critique, pourvu qu'elle soit un diagnostic rigoureux, on peut la lire dans les archives des débats parlementaires qui animèrent la vie politique dès la Révolution. Rien de nouveau. Salutaire ? Pour qu'elle le fût, il faudrait qu'on s'occupât aussi de l'individu. Mais ce dieu a encore une éternité devant lui, avant que quelqu'un ne l'abatte pour le ranger sagement avec les autres idoles.
Mais que mettrions-nous à la place de l'individu ? Je ne parle pas de substituer une idole à une autre - quoique la question puisse se poser, par exemple si l'on pense qu'une religion civile pourrait avoir du bon en favorisant le lien social, puisqu'il faut bien replonger l'individu dans le réseau des relations qu'il entretient avec le monde. S'agira-t-il de privilégier la notion de monde commun ? Est-on capable d'inventer autre chose ? Cela dit, il me semble que les nouvelles générations sont, tout en étant égoïstes par certains côtés et consuméristes, de plus en plus portées à créer des liens alternatifs aux liens traditionnels dans de nouveaux réseaux et de nouvelles communautés. Mais je crois que la notion d'espace public disparaît, laissant seulement place à la montée en puissance des groupes d'intérêts privés - bien qu'on puisse aussi douter de l'authenticité des relations entretenues dans ces groupes (surtout s'ils ne sont basés que sur l'intérêt individuel).
Euterpe a écrit: Pourquoi ce "encore" ?
Parce qu'il semble difficile aujourd'hui d'être audible lorsque l'on parle de révolution ou des valeurs de la Révolution française - puisque d'une certaine manière on a plus tendance à l'associer avec un certain progressisme de gauche, là où la droite est d'abord conservatrice, garante de l'ordre social (ce que montre parfaitement le thème de la sécurité). Or le discours de gauche est assez discrédité pour plusieurs raisons (parce que le PS est un parti libéral, parce que l'extrême-gauche est minoritaire et qu'on lui renvoie sans cesse au visage le spectre de l'URSS, parce que la droite a réussi à retrouver le monopole idéologique en mêlant la critique du libéralisme économique avec celle des mœurs issues de Mai 68 - comme si la gauche avait inventé le capitalisme et souhaitait l'effondrement de la société ! -, etc.). La révolution échoue toujours, et c'est le fruit d'utopistes qui sèment la mort. Le problème c'est que ça laisse place au cynisme ambiant qu'il est très facile d'afficher (il sera plus facile de taper sur les prétendus assistés, de parler de compétitivité et de rigueur, que de pointer les vrais problèmes du système : l'État, la bureaucratie, la finance, etc.). Quant à l'opinion, elle ne soutient plus la vraie gauche - on dit même que les ouvriers votent FN. Alors, bien évidemment, vous pourrez me dire que la Révolution française mène aussi au libéralisme politique. Mais peut-il nous sortir des contradictions de notre système ? Et où sont les vrais libéraux, ceux qui, me semble-il, auraient tout autant de raisons que les citoyens de gauche de critiquer l'évolution de la société et ceux qui la gouvernent ?