Euterpe a écrit: Ce que d'aucuns tiennent pour de la vitalité politique n'est que la mobilisation liée aux élections présidentielles chez nous. Les autres élections ne mobilisent rien ni personne, ou presque. Dans la réalité, le parti communiste est bel et bien mort, seuls les fantasmes qui allaient avec n'ont pas disparu. Ils se dissiperont avec la disparition des communistes du 3e âge d'abord, puis les rares quadras et quinquas qu'on trouve ça et là.
Vous avez raison, mais en même temps, justement, le seul moment politique, la seule élection qui vaille, c'est la présidentielle. C'est là que la politique est vivante. Par ailleurs, vous parlez de fantasmes : je pense justement que l'imaginaire en question survit au-delà du parti ; peu importe la forme affichée, apparente, que les idées s'incarnent dans le PCF ou dans le PdG, une position politique nourrie par ces idées demeure. Cet imaginaire ne mourra pas forcément avec les communistes, il sera repris et modifié par l'histoire se faisant et les nouvelles générations qui seront pour une part contestatrices du monde dans lequel elles vivront. Ne pensez-vous pas qu'il y a de fortes chances pour qu'il y ait toujours un mouvement critique plus ou moins nourri par Marx tant qu'il y aura du capitalisme ?
Euterpe a écrit: Il y a plus d'imaginaire que de république, dans la république. Ceux qui affirment s'inspirer d'un modèle républicain semblent ignorer jusqu'au nom même de l'histoire, ils ne vivent que sur une mémoire collective héritée, qui n'a d'autre objet que la révolution, sans cesse recommencée. La majorité des acquis sociaux ne sont pas le fait de luttes sociales (révolutions, grèves, etc.).
Il me semble en effet qu'il s'agit avant tout d'imaginaire en politique.
Euterpe a écrit: Vous postulez une diversité du communisme. Vous ne pourriez pas même exposer exhaustivement une seule de ces supposées variantes. Cuba ? La Corée du Nord ? La Chine ? Le Nord Vietnam ?
Ces mises en pratique ne me semblent pas correspondre à de nombreux communismes théoriques, je ne reconnais même pas Marx là-dedans, même si je comprends ce qui mène de Marx à Lénine (l'historicisme, l'économicisme, le scientisme, etc., de Marx, plus une certaine interprétation de la dictature du prolétariat et la transformation de la lutte de classe en haine de classe avec la dimension militariste de la
praxis léniniste : le marxisme devient une idéologie d'État au service d'une pseudo avant-garde qui constitue une nouvelle classe dominante, c'est une nouvelle dictature
sur le prolétariat), ce qui a permis à ce dernier de mettre le communisme à la mesure du réel et de nier aussi bien le réel que le fond de la pensée de Marx. Mais pour moi, clairement, il y un écart incroyable entre les pensée marxiste et marxienne en général et leur application historique dans ces totalitarismes. Plus jeune je suis allé à Cuba, la désillusion fut grande, même si je savais déjà bien avant que ce régime contredisait mes idéaux (par la suite je suis devenu anti-communiste, et pourtant maintenant de plus en plus sensible à l'œuvre de Marx). Mais je ne crois pas, après lecture des textes de Marx, que ce socialisme réel soit la transposition fidèle de ces idéaux. Les circonstances historiques particulières et les actions de certains dirigeants ont rendu le communisme tel qu'il a été effectivement. Pourrait-il être autre ? Oui, si l'on fait la critique des présupposés idéologiques qui nuisent aux intentions initiales du projet. Or les théoriciens divergent grandement sur le communisme et son mode opératoire. Peut-être le mot de "communisme" vous gêne-t-il : appelons les régimes totalitaires marxistes des communismes. Soit, mais je ne crois pas que des dérives excessives condamnent nécessairement tout projet politique et social inspiré par Marx. Son discours ne sera pas forcément instrumentalisé, de sorte que se prononcer en faveur d'un certain communisme ne peut revenir à affirmer, implicitement et automatiquement, que l'on veut tromper son monde et imposer par de beaux idéaux un système de domination totale. Il me semble même que c'est par fidélité aux intentions premières de Marx que l'on doit critiquer le marxisme et ce à quoi il a donné lieu. Mais doit-on condamner toute tentative, ne serait-ce que purement théorique, de penser un projet politique où ce qui pourrait s'appeler un communisme serait l'opposé et l'adversaire des communismes réalisés ? Condamnez-vous les marxiens, et par exemple Castoriadis (dont le projet d'autonomie est encore un socialisme qui vise finalement ce que Marx nous promettait sans pouvoir nous le donner du fait des contradictions de sa pensée) ? N'admettez-vous pas des sens différents ou tout revient-il au même pour vous, en dépit des bonnes intentions et de l'auto-critique ?
Euterpe a écrit: La question n'est pas là. Castoriadis reste un révolutionnaire. Vous oubliez Ellul, révolutionnaire tout aussi éminent, et anarchiste.
Pourquoi, alors, ne les condamnez-vous pas ? Qu'est-ce qui fait qu'être ainsi révolutionnaire diffère ou non du communisme ? Si je suis ce que vous dites du communisme, alors un auteur tel que Gorz, qui est pourtant très proche de Castoriadis, serait critiquable du fait qu'il propose un nouveau communisme, étant donné que tout communisme mènerait au totalitarisme. Bref, pourriez-vous expliciter votre propos ? S'agit-il d'opposer société close (le dogme, le parti) et société ouverte (l'aspiration, le mouvement critique ininterrompu et repris sans cesse du "réel", notamment de ses déformations idéologiques, etc.) ?
Euterpe a écrit: Vous ne retournerez pas ma question par une pirouette. Qu'en disent les millions de paysans ukrainiens morts dans les années 30 au seul motif qu'ils ne voulaient pas du collectivisme ?
Loin de moi l'idée de vouloir m'en sortir par une pirouette (je n'ai pas pour but de défendre des régimes que je ne saurais tolérer - je n'aime que les individus et les totalitarismes rouges ne leur ont laissé aucune place, alors même que le
Manifeste met en avant l'individu), mais je ne comprends pas comment vous pouvez tout résumer au socialisme réel (qui est bien évidemment à prendre en compte et à dénoncer, et qui doit donner lieu à une auto-critique, mais pas forcément à l'abandon, de tout projet de gauche). Admettons que je sois communiste aujourd'hui : suis-je le même communiste que ceux d'autrefois ? Suis-je aussi responsable et complice des crimes de ce communisme étatique qui ne correspond pas à mes idées ?
Euterpe a écrit: Si c'est pour remplacer une violence par une autre, ça n'en vaut pas la peine.
Pourquoi y aurait-il nécessairement usage de la force ?
Euterpe a écrit: L'anarchisme et l'autogestion ne sont pas la propriété de la gauche.
Oui, et ? Que voulez-vous dire par là au juste ? Que l'on peut se passer de la gauche (qui serait peut-être démoniaque par nature) ?
Euterpe a écrit: Ça fait trente ans qu'on entend les alternatifs. Ça fait trente ans qu'on attend une alternative.
Euterpe a écrit: Il n'y a pas de conscience de classe, et cela même ne suffirait pas, de toute façon, pour s'engager dans une émancipation des travailleurs. Non seulement la plupart des travailleurs s'en contrefichent, mais il faudrait pour ça que la plupart soient d'une intelligence politique suffisante, ce qui n'est pas le cas.
Je suis d'accord, ce sont bien les problèmes qui se posent à nous, mais ils rendent d'autant plus aigu le souci que nous pouvons avoir concernant l'alternative entre socialisme ou barbarie.
Euterpe a écrit: Il n'y a rien à faire, rien à inventer, rien à mettre en œuvre, quand ce n'est pas le moment. Seules comptent les circonstances, seule compte l'histoire, seul compte le réel. Churchill, homme médiocre s'il en est, ne devient Churchill qu'en 1940. C'est le cas de tous les hommes. Si Barras ne sort pas de la Convention pour fumer une Winston, le 5 octobre 1795, Bonaparte n'eût jamais obtenu l'occasion de sa vie.
Si je comprends bien, ce sont les circonstances historiques particulières qui nous font, il faut savoir saisir les occasions quand elles se présentent ; mais c'est bien plus l'événement qui nous saisit que l'inverse. Il faut donc savoir patienter, même lorsque la crise semble bien indiquer qu'il serait judicieux que quelque chose soit fait.
Euterpe a écrit: Vous ne comprendrez pas la politique tant que vous ne lirez pas l'histoire au moins autant que la philosophie.
C'est vrai, et je mesure tous les jours mon ignorance et mon incompréhension de certains phénomènes. Mais l'histoire est aussi sujette à interprétation et je ne vois pas pourquoi l'histoire donnerait tort à tout communiste, d'autant plus que les penseurs communistes actuels tirent aussi des leçons de l'histoire et de l'histoire de leurs aïeux. Mais peut-être entendez-vous exclusivement par communisme un dogmatisme qui suivrait encore à la lettre le léninisme et ses variantes ultérieures - ce qui me ferait condamner avec vous tout communisme. J'ai rencontré des gens détestables avec cette mentalité qui confine au fanatisme ; heureusement il y a aussi des citoyens et des militants, parmi lesquels des philosophes, sociologues, historiens, etc., qui se revendiquent ouvertement communistes et ont pour ennemi personnel le communisme tel que pratiqué avant eux. Cf. par exemple, les débats des colloques Marx au XXIe siècle à la Sorbonne.
Euterpe a écrit: De toute façon, il n'y a pas d'État antique. Les cités-États sont des municipalités.
En effet, ce qui confirme qu'une société puisse se passer d'État au sens moderne du terme. Mais je crois deviner que l'histoire, comme le temps lui-même, est irréversible, et qu'on ne peut imaginer sérieusement des formes politiques modernes sans État.
Euterpe a écrit: Ce qui n'en fait pas un argument. La finance constitue un progrès, puisqu'elle consiste dans l'intégration du temps comme paramètre dans la vie économique.
Je ne comprends pas la portée de cette transformation.
Euterpe a écrit: Le fédéralisme est une quasi impossibilité en France, pour des raisons historiques évidentes. Je vous renvoie à la vie politique des girondins pendant la Révolution.
L'histoire nous interdirait donc d'avoir confiance dans la nouveauté qu'apportera le futur. La leçon que je puis tirer du rappel à l'ordre est de procéder avec prudence. Mais la prudence excessive, condamnant toute initiative, peut aussi se changer en ou jouer en faveur d'une idéologie inverse. C'est peut-être tout l'effort des libéraux de penser ensemble ordre social et liberté. Mais en ce sens, et si l'on fait un tour du côté de l'histoire, Marx lui-même s'inscrit dans le libéralisme, au contraire du socialisme réel qui est plus qu'autoritaire et équivaut aux régimes les plus conservateurs qui soient, la révolution s'est changée elle-même en contre-révolution. Mais ceci constitue-t-il le destin funeste de tout ce qui partage quelque trait avec Marx ? Faut-il se résigner à l'apolitisme et à la critique sans
praxis, à une position politique sceptique ?
Dernière édition par Silentio le Dim 10 Mar 2013 - 1:30, édité 9 fois