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Dernière édition par PhiPhilo le Jeu 28 Sep 2023 - 11:01, édité 3 fois
Reprenons l'exemple de l'in-formation génétique : tout code génétique est une suite déterminée de "lettres" (A pour "adénine", G pour "guanine", T pour "thymine", C pour "cytosine", qui sont les quatre protéines de base du vivant). Une suite de telles bases (AAGGCGTAAACC ...) qui ne serait qu'une combinaison purement accidentelle aurait autant de chances de remplir les fonctions d'in-formation génétique qu'on lui connaît que, dans la nouvelle de Borges, un livre de la bibliothèque infinie de Babylone aurait de chances d'être lu. Pour avoir une in-formation génétique, donc pour que le signal soit pertinent et, partant viable, il faut d'une part avoir une suite intentionnelle (non-accidentelle) de telles bases telles que l'espèce les a mémorisées, et d'autre part un contexte local favorable qui va permettre à une telle suite de produire des effets de néguentropie concentrés sur un organisme déterminé. En d'autres termes, une suite de bases A, G, T, C n'est pertinente, donc n'est une in-formation que si et seulement si elle a été, en termes néo-darwiniens, sélectionnée par l'évolution d'une espèce, et qu'elle rencontre un terrain biologique favorable pour "s'exprimer". L'in-formation dite génétique ne constitue donc une in-formation intentionnelle pour l'organisation in-formée que dans la mesure où elle est pertinente, c'est-à-dire viable. Et elle n'est viable que parce qu'elle autorise des structures physiques (amino-acides, puis cellules, puis tissus, puis organes) à communiquer, c'est-à-dire à échanger intentionnellement des flux énergétiques coordonnés qui assurent l'invariance globale d'une organisation commune aux structures qui communiquent. Nul mieux que Spinoza n'a compris cette notion d'invariance globale : "quand un certain nombre de corps de même ou de différente grandeur sont contraints par les autres à rester appliqués les uns contre les autres, ou bien, s’ils se meuvent selon une vitesse identique ou différente, à se communiquer les uns aux autres leurs mouvements suivants un certain rapport, nous dirons que ces corps sont unis entre eux et qu’ils composent ensemble un seul et même corps, autrement dit un individu qui se distingue des autres par cette union de corps. [...] Si d’un corps, autrement dit d’un individu, composé de plusieurs corps, certains sont séparés, mais qu’en même temps, autant d’autres et de même nature les remplacent, l’individu conservera sa nature comme auparavant, sans aucun changement dans sa forme. [...] Et si nous continuons de la sorte à l’infini, nous concevrons facilement que la Nature dans sa totalité est un seul Individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de façons, sans changements de l’Individu total"(Spinoza, Éthique, I, 13, ax.2, 3). Spinoza est très clair : non seulement les mouvements relatifs des structures (les parties du tout) ne nuisent pas à l'invariance de l'organisation (l'individualité, l'unité) totale, mais c'est de leur communication réglée "suivant un certain rapport" que dépend cette invariance (notons que Spinoza nomme "individu" ce que nous appelons "biotope"). L'invariance est donc toujours une propriété émergente d'un tout (l'organisation globale) moyennant la variation des parties du tout (les structures locales). C'est pourquoi nous disons "invariance" et non "identité" justement parce que, là où la notion d'identité suppose l'immobilité et l'immuabilité générale, l'invariance, tout au contraire est, à l'image du bateau de Thésée, compatible, non seulement avec la ductilité relative de ses structures (celles d'un matériau inerte sont capables d'opposer, jusqu'à un certain point, une in-formation élastique ou plastique à une dé-formation), mais surtout avec la souplesse de la coopération des-dites structures dans le cadre d'un milieu auto-organisé (Francisco Varela dit "auto-poïétique"), ce qui est le propre du vivant : une fibre musculaire, par exemple, va se tendre ou se comprimer jusqu'à son point de rupture et, si elle est rompt, sa cicatrisation va dépendre de sa communication avec le système vasculaire.
Nous dirons donc, premièrement, que deux organisations vivantes a et b (ou les deux structures de l'organisation vivante globale [ab] comme biotope commun ou "soi" commun à a et à b entendues cette fois comme structures) communiquent entre elles si et seulement si le comportement intentionnel et non-accidentel de l'une des deux au moins constitue une in-formation pertinente pour elle et, secondement, qu'un comportement intentionnel constitue une in-formation pertinente pour une organisation si et seulement si elle tend ou bien à assurer directement sa propre invariance organisationnelle ou bien à l'assurer indirectement via l'invariance organisationnelle du tout que a forme avec b. Par exemple, le comportement de prédation de a (le prédateur) vers b (la proie) est, un comportement de communication en ce qu'il constitue une in-formation néguentropique pour a qui entend consolider par là sa propre invariance organisationnelle à la fois directement en se nourrissant et indirectement en évitant à son biotope [ab] la prolifération d'un type d'organisation vivante qui, à terme, ferait croître dangereusement l'entropie du biotope tout entier. On voit par là que l'invariance organisationnelle est l'unique fonction du comportement de communication : lorsqu'une organisation vivante a communique avec une organisation vivante b, il s'agit toujours pour a, soit de dé-former directement b afin d'in-former directement a (ex. du comportement d'agression ou de prédation, mais aussi de parasitisme et de commensalisme), soit d'in-former directement [ab] afin d'in-former indirectement a (ex. du comportement de coopération). Quant à in-former [ab] afin d'in-former a, cela peut consister pour a, soit à in-former directement le biotope commun à a et b en prenant le risque de dé-former indirectement b, voire [ab] et donc a lui-même (ex. de l'utilisation des "intrants" dans l'agriculture intensive humaine), soit à in-former directement b afin d'in-former indirectement [ab] (ex. du comportement d'instruction, d'éducation), soit même à dé-former directement a afin d'in-former directement b ou [ab] puis indirectement a (ex. du comportement désintéressé ou du sacrifice de soi). "Directement" s'entend donc de l'intention première (ex. de la conscience humaine ou de l'inconscient freudien) de a, "indirectement", soit de son intention secondaire (ex. du sous-entendu, de l'arrière-pensée), soit de l'effet accidentel, non-intentionnel, de l'intention première (ex. de la prédation non-régulée qui détruit le biotope et anéantit le prédateur). Nous assignerons donc en particulier au langage humain l'invariance globale de l'organisation humaine comme son unique fonction (les "six fonctions du langage" de Jakobson ne sont, en réalité que six effets, intentionnels ou accidentels, de la fonction unique).
(à suivre ...)
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