Silentio a écrit:nous sommes plus en mesure de saisir les différents traits de la figure pascalienne et en conséquence de mieux comprendre sa pensée et d'en saisir les subtilités et tensions. Nous ne savons toujours pas à quoi aurait ressemblé le livre tel qu'il aurait été achevé par son auteur, toutefois nous sommes de plus en plus éloignés de tout doute.
Si la connaissance philologique apportait ce genre de réponses, nous les aurions depuis belle lurette aussi bien sur Nietzsche que sur Pascal. Quel penseur moderne a fait l'objet d'autant de recherches que Nietzsche, y compris sur les aspects les plus privés de sa vie ? Pascal partage également avec Nietzsche la même ambiguïté d'avoir été utilisé par les penseurs les plus éloignés et les plus opposés entre eux, ce qui indubitablement brouille le message de ces deux philosophes. Pour continuer la comparaison, combien de plans Pascal a-t-il laissés ? A-t-il mis son projet de côté avant sa mort ?
la sœur de Nietzsche a non seulement forgé ce corpus de textes (arbitrairement ?) et qu'elle a fait le lien avec le nazisme, étant elle-même déjà engagée dans un mouvement politique et idéologique propre au nationalisme que Nietzsche méprisait et raillait.
Soyons plus précis sur les motivations d'Elisabeth Nietzsche pour publier la Volonté de puissance. Elle avait hérité des papiers de son frère, le besoin d'argent se faisait sentir car la commune de Bâle avait supprimé la pension de retraite de Nietzsche après son passage dans la folie, des travaux étaient devenus nécessaires pour aménager la maison familiale afin de soigner son frère, rajoutons à cela le coût grandissant des soins à mesure que s'éloignait l'espoir d'une guérison. Heureusement, le succès de Nietzsche allait grandissant. De nombreux penseurs réclamaient la publication de ces textes. La tentation était forte de les publier au fur et à mesure, sans compter le long travail de déchiffrage nécessaire. Elisabeth ne pouvait se permettre d'attendre des années, ce qu'aurait nécessité un patient labeur philologique en bonne et due forme.
Elle a donc choisi de publier au plus vite (mais pas assez pour que son frère en profite) sous une forme alléchante les premiers fragments de son frère, en faisant croire à un livre qu'il préparait, ce qui n'était pas un mensonge, mais seulement une demi-vérité, la vérité étant que Nietzsche, incapable de se mettre à l'ouvrage, en raison de ses difficultés de santé, de déplacement, de vie inconfortable, et de moyens financiers, sa pension baissant chaque année un peu plus, abandonna temporairement (le croyait-il) son projet pour écrire des pamphlets plus conformes à ses possibilités réelles de travail et plus propices à lui valoir de rapides succès de librairie qu'il attendait de plus en plus impatiemment. Daniel Halévy (je crois) demande dans sa biographie quand ces papiers seront publiés dans une édition similaire à celle de Pascal, plutôt qu'au compte-goutte, dans des volumes successifs (il n'y eut pas que la Volonté de puissance). Bien qu'Elisabeth ait fini par céder à l'appât du gain, du moins soyons lui gré d'avoir voulu aider son frère, au lieu de l'abandonner dans un quelconque hôpital, et d'avoir dû pour cela utiliser le talent de celui qu'elle admirait plus que tout autre homme. Le caractère insupportable, tyrannique, colérique et j'en passe, de cette femme (de l'aveu de tous) a même été un puissant allié pour tenir avec énergie devant autant de difficultés. Une sœur tendre et aimante n'aurait pas été d'un plus grand secours à Nietzsche dans la situation où il était plongé.
Qu'est-ce qui, au fond, différencie la bête blonde germanique de l'officier SS ?
Pour la bonne raison que l'officier SS n'en est pas une, il ressemble plutôt à un mouton, en effet il n'a rien de barbare, il est un pur produit de la bureaucratie du Reich. Le point de contact se situe sur la reprise de ce mythe par Nietzsche, qu'il a tiré des ouvrages de penseurs antisémites comme Dühring qu'on retrouve dans sa bibliothèque.
En revanche, l'idéal de Nietzsche ne réside pas dans l'État, il est plutôt admiratif de Rome, des cités de la Renaissance ou de l'Empire napoléonien.
Essentiellement des cités de la Renaissance italienne. Mais cet idéal, il le tient de Burckhardt, dont il suivait assidûment les cours. Rome l'intéresse, toujours d'après Burckhardt (cf. son premier livre sur la Rome chrétienne), pour sa décadence, dont il parle abondamment dans l'Antéchrist. L'époque napoléonienne, pour son Empereur, évidemment, "synthèse du surhumain et de l'inhumain".
en raison de l'histoire ce livre ne peut pas être lu comme un autre, semble-t-il. Quant au titre et au plan du livre, il faudrait savoir précisément à quoi ils renvoient.
A un projet de Nietzsche écrit noir sur blanc sur un de ses papiers, et évoqué dans sa correspondance. L'œuvre de Nietzsche tout entière ne peut pas être lue comme une autre. ;)
Nos humanistes moralisants sont déjà choqués par l'harmonie préétablie de Leibniz prenant en compte le mal et par le travail du négatif chez Hegel justifiant les pires événements comme la Terreur comme nécessaires vers une situation meilleure (mais alors la Shoah est-elle justifiée ? La Raison qui se déploie dans l'Histoire peut-elle faire ça ? Peut-on l'accepter ? Et quel est ce monde meilleur que le génocide a permis ?).
Le problème reste celui du progrès moral, et curieusement, ce sont les moralistes ou tous ceux qui croient à la Raison qui se retrouvent acculés devant la Shoah, pas un sceptique comme Nietzsche, et encore moins Schopenhauer.
Sinon ce que vous dites me fait penser à Ecce homo, Nietzsche y donne le sens de son projet et de sa manière littéraire de s'y prendre. La grandiloquence et l'impression de folie sont des effets de style, visant des fins très précises.
Nietzsche se fait passer plus d'une fois pour un fou dans ses livres (cf. l'aphorisme de la mort de Dieu).
Les penseurs de gauche ont développé certains axes et thématiques propres à Nietzsche. Ils peuvent se réclamer d'une certaine facette du philosophe. C'est plus dérangeant lorsqu'ils se disent "nietzschéens", ce qui d'une part ne veut rien dire, et ce qui d'autre part est une manière de s'attribuer l'aura qui entoure Nietzsche et de réduire ce dernier à peu de choses (c'est une confiscation du sens qui objective la pensée et la nie).
Mais heureusement, Nietzsche échappe à ses porte-drapeaux. Il est ce qu'il a voulu être, un penseur sans disciples possibles, parce que le maître est trop original (comme Schopenhauer) pour pouvoir être imité.