benfifi a écrit:Euterpe a écrit:Plutôt un jus post bellum. L'histoire le montre à l'évidence.
Pardonnez mon ignorance, je ne vois pas l'évidence !
Si on excepte les États-Unis, les démocraties sont nées après des guerres civiles (Révolution d'Angleterre au XVIIe siècle ; Révolution française ; etc.). D'une manière générale, ce sont certains conflits qui ont accouché de certaines démocraties (dont la démocratie athénienne, très laborieuse). La guerre civile anglaise du XVIIe, comme la guerre civile française de la Révolution, mais aussi la quasi guerre civile athénienne s'achèvent sur des compromis démocratiques (démocraties partielles, tempérées - il n'est pas anodin qu'on parle de démocraties tempérées... « Si les régimes occidentaux apparaissent, au moins pour l’essentiel, comme des régimes modérés, c’est qu’ils ne sont pas que démocratiques », comme le dit Philippe Bénéton). Le caractère de nos démocraties tempérées tient à l'acceptation consentie souvent à contre-cœur ou tardivement ou laborieusement de la coexistence de majorités et de minorités (politiques, religieuses, etc.). Ne croyons pas que la chose soit un acquis définitif. On le voit très bien dans l'histoire des démocraties contemporaines, qui vivent dans l'autocensure, des consensus dogmatiques qui placent dans un danger "relatif" des personnes ou des groupes minoritaires par la pensée. L'actualité nous donne un exemple typique avec la polémique sur les civilisations. C'est un mauvais procès qui trahit la susceptibilité, la censure, le dogmatisme abjects des bien-pensants. Si Guéant fait de la provocation, du moins ce qu'il dit nous rappelle des "tabous", la part irrationnelle qui commande l'opinion de beaucoup : le relativisme culturel est un de ces dogmes à qui il faut mener la vie dure. Si Guéant commet une faute, que les "démocrates" aillent au bout de leur logique : qu'ils organisent un autodafé, qu'ils brûlent Nietzsche, Leo Strauss, Castoriadis, Boudon, d'autres encore. Ça ne manquerait pas de ridicule... Voyez comme une vieille démocratie n'est pas à l'abri de tensions, et même comme les tensions sont et restent à fleur de peau tant il suffit de rien pour allumer la mèche.
benfifi a écrit:Euterpe a écrit:mais aussi et surtout des minorités
Voici désignez un danger intérieur. Pouvez-vous dire en quoi ?
On mesure la bonne santé d'une démocratie, son degré d'enracinement et de maturité dans sa capacité à accueillir les minorités, quelles qu'elles soient (je pense d'abord aux minorités politiques), à leur donner les moyens de vivre en sécurité, à cohabiter pleinement avec les autres. Le politique, c'est et ça reste le vivre ensemble depuis les Grecs. Or on accuse beaucoup le communautarisme, avec autant de mauvais que de bons arguments, sans voir que la nation est perçue comme une sur-communauté, une hyper-communauté qui n'a rien d'évident pour beaucoup. Sur le plan politique, peu ont le "courage" de dire ce qu'ils pensent, en toute liberté, parce que la tyrannie de l'opinion publique crée à la fois une unanimité artificielle et une pression, une autorité, un dogmatisme dont il paraît impossible de sortir ou de se protéger sans concéder quelques conflits.
benfifi a écrit:Euterpe a écrit:la démocratie, qu'elle y répugne ou pas, a aussi besoin de moyens militaires pour disposer de garanties solides à sa survie.
Voilà pour prévenir un danger extérieur. Si vis pacem para bellum, non ? Pouvez-vous préciser quel type de danger vous envisagez aujourd'hui ?
Comme danger intérieur, l'absence d'autorité, au sens noble, au sens philosophique du terme. Les gens consomment la politique au même titre que d'autres objets de consommation. Les politiques sont de plus en plus perçus comme des prestataires de services, des béquilles, des soutiens, des mandataires. On exige de plus en plus la présence de l'État (mais sans considérer les risques induits : l'État-prothèse, l'assistant universel, Léviathan ou mécanisme qui a certains des attributs divins ; l'État comme moyen du déni du réel, etc., fait pour résoudre les difficultés de tous, et qui incite de plus en plus à considérer toute forme de difficulté comme un scandale... Nous ne sommes plus loin de certaines attitudes magico-religieuses, païennes. Pour beaucoup, l'État Providence doit littéralement être providentiel, miraculeux...). Le droit à l'erreur a quasiment disparu. On revendique des droits, on ne revendique jamais de devoirs. On confond droits et désirs...
La justice n'intéresse qu'autant qu'elle confirme les sentiments vindicatifs des victimes, etc. On trouverait bien des phénomènes absolument antidémocratiques aujourd'hui, au sein même des démocraties, parce qu'en fait de démocratie, nous vivons sous le joug et la menace de l'opinion publique. Ne soyons pas naïfs, certaines démocraties contemporaines créent les conditions de l'impossibilité pour beaucoup de minorités de vivre normalement. Pour s'en sortir, il faudra bien qu'on regarde d'un peu plus près ce qu'on appelle l'universalité démocratique... C'est l'une des sources principales de nos dangers actuels ou à venir. Tant que les majorités tenteront d'imposer l'unanimité, la démocratie sera en danger et un danger, car l'unanimité est son hybris. Castoriadis n'était pas sensible à l'autolimitation de la démocratie athénienne pour rien. Les rares hommes politiques à l'avoir compris, expliqué, affirmé, depuis la Révolution française, n'ont pas été entendus, ce qui n'a rien d'étonnant.
Dernière édition par Euterpe le Ven 29 Juil 2016 - 2:42, édité 1 fois