epommate a écrit: Il me semble que peu de personnes veulent le pouvoir ? Pourquoi les conséquences sont systématiquement mortelles ?
C'est pourtant très largement étudié et depuis longtemps, d'autant que c'est un problème franco-français - beaucoup moins marqué ailleurs. Vous trouvez un nombre incalculable de situations révélatrices, dans les entreprises, dans les écoles, dans les familles, etc., où l'on trouve quelqu'un qui, de fait, exerce un pouvoir pour lequel personne ne l'a mandaté (abus de position, etc.). On se retrouve avec du harcèlement tous azimuts.
Au plan strictement politique, il suffit de lire les livres d'histoire et de s'intéresser tout particulièrement aux guerres civiles (on a l'embarras du choix ! - parmi les plus significatives : fin de la république romaine, un siècle de guerre civile ; guerres de religion en Europe pendant la Renaissance ; révolution anglaise au XVIIe siècle ; révolution française au XVIIIe siècle ; plus près de nous, la guerre civile en Algérie...). Dès qu'il est question de pouvoir, les effets sont garantis et déterminent l'ensemble des sociétés, des régimes politiques, des théories politiques, etc.
epommate a écrit: Je ne vois pas non plus pourquoi un électeur qui voterait pour quelqu'un de corrompu serait bête ?
C'est précisément ce que je n'ai pas dit. Je disais au contraire que, telle que vous formulez votre remarque, ça mène justement à tenir les électeurs pour des abrutis au seul motif qu'ils peuvent voter pour des abrutis (ce qu'ils ne sont pas tous et, même pour ceux qui le sont, le vote comme tel ne désigne pas
ipso facto une bêtise qui leur serait constitutive). L'acte de voter est suffisamment bien étudié pour savoir ce qu'il en est. On ne vote jamais que dans un contexte d'incertitude et en fonction d'une multiplicité de facteurs.
Tom a écrit: il y a un certain nombre d'aberrations institutionnelles. Pour ne citer que la plus célèbre, l'immunité présidentielle que je trouve difficilement compatible avec le droit et aussi la morale ; notre système judiciaire avec ses intermédiaires, fonctionnaires de l'État qu'on juge a priori impartiaux... Il y aurait des choses à changer dans nos institutions.
Je veux bien que nous discutions des institutions, Tom. A la condition expresse qu'on soit, je ne dis pas un spécialiste avéré, mais suffisamment informé de ce qu'on appelle philosophie politique, autrement dit de choses qui relèvent de la philosophie du droit, du droit lui-même, etc. Ça fait un corpus si volumineux qu'il est écrasant. Bref, attention à la précipitation. Rien n'est plus facile que de perdre son jugement en la matière. Qu'est-ce qu'une institution, d'abord ?... Donc, l'immunité présidentielle, pourquoi ne pas en discuter en effet ? Mais dans ce cas vous serez obligé de discuter de ce qu'on appelle
la continuité de l'État, entre autres choses.
Tom a écrit: je pense que l'une des nouvelles tensions politiques de notre siècle est celle de la relation entre pouvoir politique et économique. Du fait que le pouvoir économique soit supérieur, grâce à un consentement du politique, l'État ne remplit plus sa mission d'entité censée défendre l'intérêt du peuple. Je ne veux pas trop m'étaler là dessus, ce n'est qu'un avis subjectif, mais cette relation peut être à l'origine de certains malaises au sein de la population : le pouvoir politique, l'origine de la loi se soumet à un autre intérêt que celui du peuple. Ce genre de pilule est difficile à avaler pour nous qui vivons en démocratie.
Vous le dites vous-même, ce n'est qu'un
avis subjectif. Or il se trouve qu'il n'est pas adéquatement formulé. C'est quoi, défendre l'intérêt du peuple ? Dire oui à tout et susciter la guerre civile ? Dire oui aux racistes et aux fervents de la mêmitude humaine pour satisfaire tout le monde et se retrouver avec des cadavres un peu partout ? C'est quoi, le
peuple ? Vous disposez de la bibliographie idoine en la matière ?
Tom a écrit: Il y a une chose qu’on ne sait pas de la politique que les Grecs comprenaient. Pourquoi cela ne surprend-il jamais assez que « politique » vienne du grec polis, la « cité » ? Il faut comprendre qu’on ne parle pas de la cité qu’au sens purement géographique, voire physique. On ne parle pas de l’agora, de la « place publique ». Pourtant c’est d’un lieu dont on parle ?! Qu’est-ce à dire ? Que la politique est un lieu produit par l’imagination productive des citoyens.
Quand Socrate interpelle l’autre sur l’agora pour appeler à philosopher sur la vertu, au même moment où des sophistes forment des hommes à l'exercice de la politique, il fait de la politique. Toute la démarche philosophique est là : je propose le dialogue avec l’autre, c’est-à-dire que je crée un espace entre moi et l’autre et je lui propose d’y rentrer pour y marcher avec lui. La politique, c’est l’espace entre les hommes. Quand Socrate dialogue, il fait de l’agora un espace politique. Il fait lieu de la politique comme tout homme, citoyen conscient de lui-même, est porté à le faire tellement naturellement, pensaient les Grecs, que la cité en était naturelle « en conséquence ».
J'aimerais comprendre. Vous seriez surpris, dites-vous, que cela ne nous surprenne pas ? Que voulez-vous nous apprendre, ici ?
Tom a écrit: Qu'est-ce qu'une institution ? C'est un édifice qui se fait passer pour une montagne. Elle est comme la substance de l'État sans être une entité naturelle puisque elle est instituée. Elle vient en premier et a pour finalité de se faire passer pour une montagne. Le problème c'est qu'une institution qui se veut correctrice du politique ne peut perdurer. Elle passera son temps à se changer, elle tournera sur elle-même à se transformer. Cercle vicieux faute d'hommes bons.
Comment expliquer que l'écrasante majorité des "hommes bons" ne puissent rien faire, même quand ils sont au pouvoir, d'un régime politique vérolé ?
Tom a écrit: faites que l'État puisse renvoyer un homme politique facilement devant une cour pénale.
Dans ce cas je vous invite à consulter dans le détail tous les débats parlementaires qui s'échelonnent entre le 14 septembre 1791 et le 21 septembre 1792, à lire tout ce que vous trouverez sur ce qu'on appelle l'équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, le légicentrisme, les problèmes liés au monocamérisme, etc. Je vous invite également à consulter la biographie des ministres suivants : ministres de la justice De Joly et Duport du Tertre ; ministres des relations extérieures (équivalents de nos actuels ministres des affaires étrangères) Montmorin et De Lessart ; les ministres de la guerre Duportail, Narbonne, de Grave, Lajard, d'Abancourt ; le ministre des finances Tarbé ; enfin le ministre de la marine Molleville. Enfin, merci d'étudier ce qu'on appelle une cour pénale - et accessoirement de regarder d'un peu plus près la séparation du judiciaire et du politique.
Janus a écrit: Je reviens avec insistance sur le terme même de pouvoir : nous ne contestons pas qu’il soit intimement lié à l’idée d’action, mais toute action même limitée à la relation entre deux personnes va impliquer entre elles une relation de pouvoir et pas seulement dans la sphère politique.
En l'occurrence la question est politique. Surtout, quand, dans le domaine de la société civile, une personne exerce un pouvoir arbitrairement sur une autre, par définition, l'
arbitraire disqualifie ce pouvoir comme pouvoir : un abus de position (hiérarchie, etc.) consiste à faire d'une situation le moyen d'exercer un pouvoir qui n'a pas lieu d'être, c'est le droit du plus fort - nous revenons alors à un état de nature (merci de consulter les modélisations effectuées par R. Boudon à ce sujet). Le contrat est alors rompu, autrement dit, il n'y a plus de société. C'est pourquoi les victimes souffrent si atrocement : il n'y a plus de repères, plus de raisons, plus de
fondement. C'est pourquoi on a toujours tort de se délecter abusivement de remarques niaises et naïves à propos du nazisme. Les nazis, on en trouve beaucoup dans nos rues et, sous leurs dehors sympathiques, ils ne savent pas, nous ne savons pas, à quel point il suffirait de donner un peu plus de mou à la laisse par laquelle ils sont tenus pour assister à des spectacles que nous prétendons d'un autre temps et confinés à un contexte si particulier, dit-on, qu'il ne pourrait se reproduire. L'histoire enseigne le contraire, pourtant.
Le pouvoir institué, instituant, etc., même quand il est arbitraire, et en apparence le plus irrationnel, ne peut jamais faire l'économie d'une légalité au moins apparente - parce qu'il ne peut pas rompre le contrat social, sans lequel il ne peut plus rien. Là encore, nous sommes dans quelque chose qui est abondamment étudié.
Janus a écrit: En politique je ne vois pas d’autre moyen que la limitation des abus par la fameuse "séparation des pouvoirs" qui est aussi une séparation des fonctions (comme dans tout organisme vivant, il y a l'organe et la fonction) qui apparait d’ailleurs très naturellement comme accompagnant tout modernisme, une sorte de spécialisation qui accompagne les évolutions technologiques et s’installe dans tous les milieux de la production industrielle ou des services.
Attention avec la transposition de choses qui relèvent d'autres domaines... On a vu ce que ça a donné dans l'histoire contemporaine. En outre, la spécialisation a tué la politique. Là encore, c'est rebattu. On se retrouve sous le joug débile des experts.
Janus a écrit: La presse il n’y a pas très longtemps sous Napoléon et même encore au début de la Ve, était sous le joug du politique : les imperfections actuelles ne peuvent cacher le progrès accompli au niveau de la démocratie.
C'est historiquement faux. Attention aux remarques précipitées.
Dernière édition par Euterpe le Ven 29 Juil 2016 - 1:58, édité 2 fois