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Considérations sur la philosophie contemporaine

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Zoroastre
Silentio
6 participants

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Silentio a écrit:
Cette notion me semble toujours obscure, aussi vais-je essayer de résumer simplement ce que j'en comprends.

Le plan d'immanence est une coupe du chaos effectuée par la pensée, n'étant que l'image de la pensée telle que déployée par une forme de vie spécifique - un personnage philosophique, par exemple, qui expérimente le réel sous le prisme d'un problème précis, les concepts étant alors comme des balises pour jalonner cette vue sur le réel. Autrement dit, le plan d'immanence est comme une scène de théâtre (ou un grand filet lancé sur le chaos), un lieu propre à l'exercice d'une pensée en prise avec l'existence, puisque la pensée n'est jamais le fruit que d'une rencontre entre un vécu et le réel qui le perturbe. Chaque philosophe a découpé l'être, si l'on veut, l'a mis en forme à sa manière pour le penser. C'est le champ de développement ou de déploiement d'une intuition, qui aura besoin des concepts pour fixer des expériences, être en prise de certaines manières avec le réel, et un lieu où l'on va pouvoir s'orienter, se repérer, via un ensemble de coordonnées. Ainsi, l'image de la pensée de Deleuze s'oppose par exemple à celle, traditionnelle, de Descartes, c'est-à-dire à la représentation qui comprend la transcendance. Chaque philosophe trace son propre plan d'immanence, suivant une intuition spécifique, laquelle est expérimentable à nouveau dans la pensée suivant les concepts qui lui sont propres. C'est, si l'on veut, à la fois un chemin vers l'être, une organisation du chaos suivant certaines formes, et une cartographie de ce qui est sous un mode particulier. D'ailleurs, pour prendre l'image de la mer, les concepts seraient des îlots et le plan d'immanence une ouverture sur le dehors de la pensée, une mer agitée. Le plan d'immanence, c'est un espace où l'on trace des repères.


C'est ce que j'avais compris de mes lectures deleuziennes.

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Force est de constater la guerre que Deleuze déclara contre toutes formes de réappropriation de la position transcendante dans les discours et l'Histoire, une lutte éternel contre le grand Un qui nous voile la ou les réalités. Et ce combat est tout à son honneur car il n'a terriblement rien lâché. Si cette démarche philosophique vous intéresse, le chantier que Alain Badiou à poursuivit en philosophie est celui de l'immanence des vérités. Il construit donc une métaphysique post-moderne qui rend compte et qui permet de conceptualiser et de formaliser de manière mathématique, comment peut-être considérer les vérités et leurs évolutions à travers les mondes. C'est il me semble, depuis Deleuze, la plus grosse tentative du tout-immanent, en affirmant que l'effet  de transcendance et de mise-en-un sont des opérations immanentes à l'intérieur de certains mondes qui permettent ces opérations. L'événement sera alors dans l'histoire, le lieu et le moment (souvent bref) de la naissance des vérités qui seront portés par des subjectivités fidèles et qui perdureront ou qui pourront même disparaître sous l'effet de forces obscurantistes ou réactionnaires. Et tout ceci est dans la digne continuation de la mort de Dieu, cette métaphysique est il me semble nécessaire et utile aujourd'hui.

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à Desossacego,
Il me semble que ce sur quoi vous butez, c'est sur la séparation entre plan d'immanence et création de concepts. Le plan d'immanence est en quelque sorte l'endroit où ne peuvent qu'atterrir les concepts, endroit qui dépend bien sûr forcément de l'image que chacun peut avoir de la pensée.
La pensée qui aboutit aux concepts est en quelque sorte indépendante du plan d'immanence, j'entends par là le processus de penser. Ce qui différencie un philosophe d'un penseur, c'est que le philosophe se doit de tenir compte d'un plan global alors qu'un penseur peut se contenter de se concentrer sur un problème, sans se soucier d'un quelconque système qui devrait assurer la cohérence des concepts entre eux. Mais dans l'étude d'un problème, le philosophe ne fait somme toute rien d'autre que ce que fait tout penseur. C'est comme un autre processus qui est en jeu quand il est question de cohérence ou d'articulation des concepts entre eux, donc sur un plan d'immanence. Les concepts se doivent d'entrer en cohérence au sein du plan d'immanence, mais ne sont aucunement pensés en fonction de ce ce plan. Le plan en quelque sorte se réfère plus au philosophe qu'à sa philosophie, comme le support censé accueillir "la (ou les) grande question" du philosophe, celle qui le fait "philosopher" (dont vous parlez ensuite j'imagine à propos de "visée de l'action").

Vous dites donc que la "visée de l'action" ferait la philosophie... sans doute.
Ce texte, tiré d'Empirisme et Subjectivité, me semble répondre :
... une théorie philosophique est une question développée, et rien d'autre (...) elle consiste non pas à résoudre un problème, mais à développer jusqu'au bout les implications nécessaires d'une question formulée. Elle nous montre ce que les choses sont, ce qu'il faut bien que les choses soient, à supposer que la question soit bonne et rigoureuse... Critiquer la question signifie montrer à quelles conditions elle est possible et bien posée, c'est-à-dire comment les choses ne seraient pas ce qu'elles sont si la question n'était pas celle-ci... On voit combien sont nulles les objections faites aux grandes philosophies. On leur dit : les choses ne sont pas ainsi. Mais en fait il ne s'agit pas de savoir si les choses sont ainsi ou non, il s'agit de savoir si est bonne ou non, rigoureuse ou non, la question qui les rend ainsi".

Qu'ajouter ? Que pour Deleuze l'action me semble se mesurer en terme d'individuation, qu'il est donc question d'aller au maximum, au bout de ses possibilités (et jamais "au-delà" de quoi que ce soit).


à Kthun,
En général, je ne suis pas très imaginatif pour trouver des exemples... j'essaierai (et qui sait, peut-être ma façon de participer à cet échange répondra-t-elle à la question ?).
En tous cas, c'est une vraie question. Si en aucun cas je ne considère la philosophie de Deleuze comme "abstraite", il n'empêche qu'il est difficile de se "représenter" ses concepts comme on peut le faire ailleurs. Comme s'il manquait l'image. On peut sans doute penser ou voir les choses comme lui, reste que si l'on attend que le monde adhère à ses écrits pour révolutionner la pensée, ça risque d'être long...
Il me semble qu'il faudrait nuancer sa position première sur les "images", en tant qu'éléments d'une représentation qu'il a abondamment critiqué. La mémoire me semble fonctionner à partir d'images, il paraît donc difficile de vulgariser une pensée qui en serait souvent comme dénuée, peuplée de concepts qui se veulent "de mouvement". 
Le problème posé aujourd'hui semble donc de simplifier sa pensée, de la rendre "opérationnelle" sans la dénaturer... pas simple du tout !


à Silentio et JimmyB,
Définir le plan d'immanence, ce n'est pas très simple non plus.
Les événements deleuziens interagissent entre eux. Cette interaction nous oblige à envisager un regard global, cohérent et intelligible, sur la totalité de ces interactions. Les concepts (qui répondent aux événements) ne peuvent se contredire, ils dépendent donc les uns des autres ; en fait ils se chevauchent comme les événements se recoupent.
L'immanence est un point de vue (qu'on pourrait qualifier de présupposé si la nature de la philosophie n'était d'expliquer les choses) qui implique donc de reporter ce regard sur les concepts et leurs interactions, et de les rassembler en quelque chose d'homogène et de cohérent : c'est le plan d'immanence.
La volonté de rassembler les concepts, non pas tant de façon à faire système que de façon à valoir système, a sans doute une dimension critique, puisqu'il s'agit aussi de refuser un certain nombre de systèmes philosophiques (et surtout les questions qui les ont provoqués, qui ne seraient donc plus d'actualité) ; mais au delà, il semble bien qu'il y ait une sorte d'intuition ontologique qui pousse à envisager une philosophie qui fasse globalement sens ; qui ne puisse rester comme "éparpillée" en concepts. Sens certes au niveau de la compréhension (explication), mais donc aussi dans la mesure où les concepts eux-même sont créateurs de sens, modifient le réel par le biais de l'appréhension qu'ils nous en donnent, et par ricochet modifient le rapport que nous entretenons vis-à-vis de nous même face à la forme d'altérité qu'est le réel, participant ainsi à notre individuation. Et là il est à nouveau question du sens que peut prendre l'idée d'aller au bout de ses possibilités, qui ne peut qu'impliquer conjointement l'être et la pensée.


à Zoroastre,
J'ignore en quoi consiste la tentative de Badiou (et je n'ai rien contre), mais je refuse de l'assimiler en quoi que ce soit à la démarche de Deleuze, voire d'imaginer que sa philosophie puisse avoir un réel rapport... si j'en crois ce lien d'un excellent spécialiste de Deleuze qui démontre comment Badiou n'a rien compris à Deleuze :
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Je pense que c'est erroné de dire que Badiou ne connaît pas l'œuvre de Deleuze. Il a même changé plusieurs fois de position sur la philosophie deleuzienne, et je pense que les problématiques qu'ont rencontré ces auteurs sur le statut métaphysique de la multiplicité de l'être et la volonté de construire une métaphysique systématique cohérente sont des démarches qui a leur manière laissent place à un avenir sans Dieux transcendants. Le projet immanent en philosophie est, au moins depuis Spinoza, un projet qui embrasse toutes les générations de philosophes à venir.

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Euterpe a écrit:
Lefort, Manent, Gauchet, Girard et Rosset sont de vrais philosophes, qui ne se contentent pas de se livrer à des synthèses même excellentes comme celles d'un Bouveresse : ils pensent le monde, et ont tous les attributs du philosophe classique

A vrai dire, on aimerait qu'il y ait plus de professeurs de la trempe de Jacques Bouveresse. Et dire qu'il n'est pas un vrai philosophe me semble un peu précipité, notamment si l'on considère la définition de l'activité philosophique au sens de Wittgenstein : Bouveresse n'invente ni problèmes nouveaux ni concepts, mais il sait poser correctement les problèmes et dissiper illusions et faux problèmes. En ce sens, il est plus philosophe (et nietzschéen, soit dit en passant !) que ceux qu'il critique (Derrida et compagnie).
Euterpe a écrit:
Ils sont rares ceux qui, comme Nietzsche, comprennent le monde tel qu'il est et tel qu'il va. Je parle du monde moderne, toujours changeant, mais toujours égal à lui-même. Comparez tous ceux qui ont compris notre monde : ils connaissaient l'histoire ; tous, ils étaient, profondément, intimement, philosophiquement historiens. Connaissez-vous beaucoup de philosophes contemporains qui connaissent l'histoire, qui sont historiens ?

Vous avez raison, mais cela n'empêche pas Clément Rosset de penser le monde sans histoire, non des idées, mais politique. Cela dit, il pense le monde tel qu'il est, pourrait-on dire, à jamais. Il n'y a pas d'événement pour lui, ni de nature, et il se moque bien de l'actualité. En ce sens, s'il a bien une connaissance historique supérieure à bon nombre de philosophes, il ne croit pas à l'histoire (même quand elle ne signifie pas l'idée d'un progrès inéluctable). Il nous parle donc du monde, mais pas tel qu'il va. Et s'il crée des concepts, comme le ferait le philosophe au sens de Deleuze, il est bien plus proche de Bouveresse et de Wittgenstein : la philosophie est moins description du monde, le réel étant finalement insaisissable et seulement approchable par une sorte de théologie négative, que thérapeutique.
Euterpe a écrit:
D'abord, il s'agit de savoir d'où l'on regarde. La philosophie vient-elle après que les choses se sont passées ? Ou bien doit-elle précéder la marche des hommes, en éclaireur, à l'avant-garde ? Hegel ou Nietzsche ?

Pourquoi devrait-elle être l'un ou l'autre, et pourquoi devrait-elle être quoi que ce soit ? Le philosophe a la seule vie en ligne de mire, c'est pourquoi il a besoin de la connaissance historique. Mais pour quoi faire ? Pour se comprendre dans sa singularité et faire quelque chose de ce qui vient. Mais les réponses sont-elles données d'avance ? Ne faut-il pas d'abord poser les questions, les bonnes questions, les inventer dans leur formulation, soulevant des problèmes inédits (suivant un rapport au réel qui diffère sans cesse et leur forme) ?
Euterpe a écrit:
Seriez-vous progressiste ? Y a-t-il un progrès, en art, en philosophie, en littérature ? Faut-il inventer pour inventer ? La quête du nouveau pour le nouveau ? C'est cela même, être moderne : vouloir changer. Quant à savoir quoi et qui, peu importe. Pourvu que ça change. Ou bien voulez-vous dire qu'il est grand temps qu'un penseur nous sorte enfin de la mer morte sur laquelle nous flottons ?

Il s'agit plutôt de faire preuve d'humilité et de défaire nos illusions : ce que font Lefort, Jacques Bouveresse et Clément Rosset. Mais personne ne les entend. Est-ce grave ? Seulement si l'on croit que l'homme, cette abstraction à caractère universel, peut et doit changer, et que la philosophie peut et doit s'adresser à tous. Je crains de devenir pessimiste (même si je ne le suis pas) en constatant que la conquête de l'autonomie, difficile et incertaine, ne concerne jamais qu'un petit nombre d'individus véritables.
Zoroastre a écrit:
La philosophie contemporaine regorge de petites perles cachées, et des mastodontes issues de périodes que l'on pourrait penser évanouies. Ami de la poésie et des grandes pensées apprenez à savourer un auteur (je n'en citerais qu'un parce qu'ils me semblent incontournable dans le champ de la philosophie française contemporaine qui a gardé certains repères universalistes) et sa Grand Logique : Alain Badiou. Même si la période est sombre n'oublions jamais que c'est quand il fait noir que la lumière brille le plus.

Une lumière qui attire les papillons.
Zoroastre a écrit:
Force est de constater la guerre que Deleuze déclara contre toutes formes de réappropriation de la position transcendante dans les discours et l'Histoire, une lutte éternel contre le grand Un qui nous voile la ou les réalités. Et ce combat est tout à son honneur car il n'a terriblement rien lâché. Si cette démarche philosophique vous intéresse, le chantier que Alain Badiou à poursuivit en philosophie est celui de l'immanence des vérités. Il construit donc une métaphysique post-moderne qui rend compte et qui permet de conceptualiser et de formaliser de manière mathématique, comment peut-être considérer les vérités et leurs évolutions à travers les mondes. C'est il me semble, depuis Deleuze, la plus grosse tentative du tout-immanent, en affirmant que l'effet  de transcendance et de mise-en-un sont des opérations immanentes à l'intérieur de certains mondes qui permettent ces opérations. L'événement sera alors dans l'histoire, le lieu et le moment (souvent bref) de la naissance des vérités qui seront portés par des subjectivités fidèles et qui perdureront ou qui pourront même disparaître sous l'effet de forces obscurantistes ou réactionnaires. Et tout ceci est dans la digne continuation de la mort de Dieu, cette métaphysique est il me semble nécessaire et utile aujourd'hui.

Dieu est mort, mais pas l'Idée... Le dispositif de Badiou est de même nature que celui de Platon : orienté par la politique, créant et justifiant les conditions de l'embrigadement. Badiou est un excellent professeur, un as de la rhétorique, mais la fidélité à un spectre laisse une trace de cadavre décomposé et revenant de l'Enfer où gisent tous les croyants de l'Histoire. Penseur de l'immanence ? Mais qu'est-ce que l'événement sinon la transcendance qui surgit miraculeusement pour nous proposer un autre monde que celui-ci ? Un événement, de plus, qui permet... la conversion.
aldolo a écrit:
C'est bizarre cette façon de vouloir à tout prix rechercher un philosophe du XXI° siècle, comme si un tel personnage manquait, comme un être providentiel qui serait supposé répondre à des questions pourtant pas si nouvelles que ça.

La modernité, c'est la crise permanente. Alors on cherche des dieux à vénérer, même s'ils sont humains, trop humains. Nous voulons la sécurité sans le risque de la pensée qui plonge dans l'abîme, nous voulons du prêt-à-penser, et des justifications pour nos conduites et nos attentes. Nous cherchons moins à savoir comment penser que ce qu'on doit penser, dit Bouveresse. Cela suffit à éviter de penser, c'est donc s'épargner beaucoup de peine (que l'on fuit, bien naturellement). Nous sommes encore trop religieux et grégaires.
aldolo a écrit:
Combien de philosophes "comptent" depuis le début de l'histoire de la philosophie ? Une dizaine ?

Et combien de penseurs, d'artistes, de scientifiques ?
aldolo a écrit:
Sans doute la période récente en a-t-elle produit un nombre relativement important, mais était-ce réellement une profusion de "grands esprits" ou plus simplement que la philosophie nous parlait de choses tellement éloignées de notre façon actuelle de voir les choses qu'il ne pouvait en être autrement ?

On parle beaucoup de déclin de la culture, de mort de la philosophie, que sais-je encore. Mais, en réalité, tout le monde est philosophe aujourd'hui. Ce n'est pas forcément un mal, si l'on considère, outrepassant nos idéaux romantiques (le génie), qu'il peut y avoir un héroïsme dans cette façon plus lente et assurée de pratiquer la philosophie comme on pratique la science. Cela dit, le mérite de la génération précédente qui a nourri une forme de culte de l'intellectuel (en dépit de l'idée de disparition de l'auteur), par exemple avec Foucault, c'est de s'être intéressée à des objets d'étude non conventionnels et plus proches de pratiques contemporaines qui nous concernent dans notre vie même, plus immédiatement en tout cas que les abstractions idéalistes. Quant à savoir pourquoi nous n'avons plus, en apparence du moins, de grands penseurs, on peut évoquer les raisons suivantes : la médiatisation, la spécialisation, etc.
aldolo a écrit:
Grand esprit ou pas, en ce qui me concerne, je pense que Deleuze a révolutionné la philosophie comme très peu de philosophes l'ont fait.

Qu'entendez-vous par révolutionner la philosophie ? Mais oui, je pense que Deleuze compte indéniablement, aussi bien en tant que commentateur, bien évidemment, que comme philosophe et métaphysicien à part entière. Pour ma part, j'aurais simplement tendance à regretter (comme Slavoj Zizek et Clément Rosset), à part en ce qui concerne Qu'est-ce que la philosophie ?, sa collaboration avec Guattari.
Desassocego\" a écrit:
Tout doux, n'emballez pas la jument, Deleuze est un grand penseur, a écrit beaucoup de bonnes choses, a une finesse de lecture incontestable, etc. Mais ne faisons pas non plus de lui un philosophe de la taille de Platon, Descartes, Rousseau, Kant ou Nietzsche.

Je ne suis pas certain de la pertinence d'une comparaison, d'autant plus que cette question est très difficile à trancher. D'une part, Deleuze hérite de ces penseurs et les amène plus loin, parfois pour les dépasser ou les confronter. Peut-être peut-on oser dire que Deleuze est le grand métaphysicien qu'on pouvait attendre après Nietzsche. Mais ce serait encore se heurter du problème de la comparaison à ce dernier. Ce qu'on peut dire, c'est qu'au sens de Deleuze il y a bien une nouvelle image de la pensée qui apparaît. Et je dirais que la spécificité de Deleuze consiste à rompre avec ce qu'il y a de négatif dans le romantisme allemand, avec Hegel, Heidegger et Husserl. Derrida peut être comparé à Deleuze : affinité dans les thèses, peut-être, mais le style n'est pas du tout le même. Derrida reste pris dans l'héritage romantique qu'il pousse à fond. Personnellement, je vois Deleuze comme l'anti-Heidegger par excellence.
aldolo a écrit:
Deleuze a non seulement traqué sans relâche toute forme de transcendance dans la pensée (et plus généralement toute forme de présupposé), mais à mon humble avis a réussi à proposer une plate-forme philosophique elle-même délivrée de toute trace de présupposé - ce qui (me semble-t-il) aurait du être une obsession récurrente à toute philosophie, à toute métaphysique en tous cas.

Soyez toujours critique, ne faites pas de Deleuze votre directeur de conscience. Je ne crois pas du tout que sa pensée soit infaillible. L'intention est louable, mais il ne suffit pas d'un mot d'ordre pour s'exécuter. Ayant dit cela, je ne suggère pas qu'on puisse retrouver une quelconque forme de transcendance dans son œuvre pour le lui reprocher. Mais ses interprétations ne sont pas toujours exactes (du moins aussi respectueuses qu'une interprétation peut l'être). Sa politique est utopique. Ses dialogues sont d'une pauvreté et d'un manichéisme inquiétants.
Desassocego a écrit:
En bon deleuzien que vous semblez être, vous imaginez que les concepts peuvent être comme vierges, indépendants de tout référent. Je ne vois pas comment cela est possible, et je vois encore moins en quoi cela est plus de la philosophie que le reste.

Qu'entendez-vous par "vierges, indépendants de tout référent" ?
Desassocego a écrit:
Trop nombreux sont ceux qui réduisent Platon a cette espèce de tour de magie que seraient les idées, sans continuer le chemin de Platon, qui écrit par la suite des œuvres qui ébranlent littéralement le schéma dans lequel on enferme sa pensée, je pense notamment au Sophiste et au Parménide.

Où l'on se met à rêver d'un Platon deleuzien, à moins que cela soit Deleuze qui soit platonicien. (Comme dit Deleuze, "On imagine un Hegel philosophiquement barbu, un Marx philosophiquement glabre au même titre qu'une Joconde moustachue.)
Desassocego a écrit:
Je ne rejette pas la philosophie deleuzienne, je ne la connais pas assez pour ça. Je suis simplement méfiant à l'égard d'une pensée trop dans l'abstraction, qui me semble d'une part couper les hommes du monde, et de l'autre faire beaucoup de bruit pour rien. Deleuze est quelqu'un de très intelligent, et comme je l'ai dit plus haut, d'une grande finesse dans ses lectures. Pour autant, je trouve dommage qu'il fasse de la philosophie une sorte d'art du concept. Je trouve ça pauvre, inintéressant, et intellectualiste (dans le sens péjoratif du terme).

On comprend mieux Deleuze en le prenant par l'angle de la littérature et en le plaçant après Philosophie de l'histoire de la philosophie de Gueroult. N'oublions pas que Deleuze est historien de la philosophie et connaisseur des arts passés et de son temps. Impossible de saisir véritablement sa philosophie sans en passer par le cinéma comme expérience par exemple (tandis que ses écrits sur ce thème sont très difficiles et effectivement intellectualistes au possible).
aldolo a écrit:
J'ignore en quoi consiste la tentative de Badiou (et je n'ai rien contre), mais je refuse de l'assimiler en quoi que ce soit à la démarche de Deleuze, voire d'imaginer que sa philosophie puisse avoir un réel rapport... si j'en crois ce lien d'un excellent spécialiste de Deleuze qui démontre comment Badiou n'a rien compris à Deleuze

Le livre d'Alain Badiou consacré à Deleuze est excellent, mais trompeur. C'est un peu comme du Deleuze, il s'agit de "faire un enfant dans le dos" de l'auteur. Mais Badiou a autre chose en tête que de simplement comprendre Deleuze ou de créer à partir de sa pensée. Au lieu de le confronter à la loyale, il le déforme sans en donner l'air. De sorte que le résultat consiste à se donner raison et à faire, en prime, de Deleuze un platonicien qui ne s'est pas compris ! Résultat, il ne reste plus qu'à dire amen à Badiou. Mais, en même temps, c'est un livre vraiment intéressant, aussi bien pour ses explications que pour les doutes qu'il soulève quant au projet deleuzien.
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