"La mort n’est pas un événement de la vie ; notre vie n’a pas de fin comme notre champ de vision n’a pas de frontière" (Wittgenstein, Tractatus, 6.4311).
Ne pas voir dans notre mort un événement de notre vie pose un problème. La mort n’est-elle pas un événement, l’« événement » par excellence de la vie des autres, ce passage de leur corps frémissant, sentant, souffrant, jouissant à ce cadavre rigide qui va pourrir et qu’on peut brûler comme un déchet ? Alors si elle est bien l’événement central de la vie des autres, comment ne le serait-elle pas de la mienne ? Parce que pour ma raison ma vie n’a pas de fin ou, plus justement, parce que si je pense que la mort n’a pour après qu’un pur vide, je pense en même temps que le monde ne s’arrêtera pas pour autant, que les hommes ou les autres vivants ne s’anéantiront pas pour autant, que le monde, les autres, moi avec eux au moins n’aurons pas été du pur néant ? Mais si ma raison pense cela, si je pense cela qui est raisonnable, en même temps je ne pense pas à ma mort. Parce que penser à ma mort, c’est penser que la force qui en moi soutient la croyance en la survie du monde, des êtres et de la mémoire de ma vie n’existera plus. Et alors, penser à ma mort c’est me persuader que ni moi, ni les autres, ni le monde dont la présence est irrécusable n’existons, n’avons même jamais existé. Penser à ma mort, c’est d’abord perdre, du moins commencer à perdre la raison. Ou alors, et c’est à peu près la même chose, c’est penser que ce qui pense en moi, ce n’est pas moi, c’est une sorte de logiciel de raison pour lequel ma mort n’existe pas, pas plus que je n’existe en tant qu’être individuel absolument singulier et, non pas pensant, mais sensible, habité par des forces brutes de volonté, de plaisir, de douleur, forces qui sont utilisées, modelées, configurées, formatées pour produire ce logiciel qui peut dialoguer avec vous en utilisant ce « je » passe-partout, sans lien charnel avec moi-même, que vous pouvez utiliser tout aussi bien et qui ne mourra pas plus chez vous que chez moi et continuera de philosopher triomphalement à la Wittgenstein.
Eh bien cette philosophie triomphale dont vous vous voulez le fier représentant – mille textes d’un autre fil le prouvent – ce n’est pas la mienne. La philosophie qui est incapable de penser ma mort comme elle est incapable de penser ma conscience, qui fait au mieux de la conscience une espèce de production sociale propre au genre humain où les individualités réelles et charnelles des êtres se dissolvent, ce n’est pas la mienne. Et si penser qu’il y a après la mort, après ma mort, quelque chose qui subsiste en ma chair au grand retrait d’une raison qui n’a jamais été pour moi qu’un emprunt, ce n’est pas dans la philosophie que j’irai chercher quelque lumière. Je n’irai pas non plus dans la poésie, ni dans les divers fruits d’une imagination qui a toujours été pour moi comme pour Pascal « une maîtresse d’erreur et de fausseté ». J’irai vers la religion peut-être qui est une réalité humaine d’avant la raison, d’avant cette monstrueuse philosophie occidentale qui a fabriqué ces êtres de raison qu’on voit à l’œuvre de nos jours. J’irai, je crois, vers la science, non la science à la Dehaene qui nie la réalité du monde sensible, de l’affectivité qui est la vraie, la seule substance de notre moi, mais la science brute faite par des praticiens consciencieux et modestes. Comme les médecins de Berlin. Quatre ou cinq minutes d’activité électrique dans notre cerveau après la mort. Voilà le fait, voilà toute la révélation. Observer encore davantage ce fait, apercevoir toute l’activité physiologique et plus largement physique qu’il met en jeu, rapporter toute cette activité aux diverses théories qu’on peut établir sur la genèse de la conscience : voilà la tâche. On philosophera après.
Ne pas voir dans notre mort un événement de notre vie pose un problème. La mort n’est-elle pas un événement, l’« événement » par excellence de la vie des autres, ce passage de leur corps frémissant, sentant, souffrant, jouissant à ce cadavre rigide qui va pourrir et qu’on peut brûler comme un déchet ? Alors si elle est bien l’événement central de la vie des autres, comment ne le serait-elle pas de la mienne ? Parce que pour ma raison ma vie n’a pas de fin ou, plus justement, parce que si je pense que la mort n’a pour après qu’un pur vide, je pense en même temps que le monde ne s’arrêtera pas pour autant, que les hommes ou les autres vivants ne s’anéantiront pas pour autant, que le monde, les autres, moi avec eux au moins n’aurons pas été du pur néant ? Mais si ma raison pense cela, si je pense cela qui est raisonnable, en même temps je ne pense pas à ma mort. Parce que penser à ma mort, c’est penser que la force qui en moi soutient la croyance en la survie du monde, des êtres et de la mémoire de ma vie n’existera plus. Et alors, penser à ma mort c’est me persuader que ni moi, ni les autres, ni le monde dont la présence est irrécusable n’existons, n’avons même jamais existé. Penser à ma mort, c’est d’abord perdre, du moins commencer à perdre la raison. Ou alors, et c’est à peu près la même chose, c’est penser que ce qui pense en moi, ce n’est pas moi, c’est une sorte de logiciel de raison pour lequel ma mort n’existe pas, pas plus que je n’existe en tant qu’être individuel absolument singulier et, non pas pensant, mais sensible, habité par des forces brutes de volonté, de plaisir, de douleur, forces qui sont utilisées, modelées, configurées, formatées pour produire ce logiciel qui peut dialoguer avec vous en utilisant ce « je » passe-partout, sans lien charnel avec moi-même, que vous pouvez utiliser tout aussi bien et qui ne mourra pas plus chez vous que chez moi et continuera de philosopher triomphalement à la Wittgenstein.
Eh bien cette philosophie triomphale dont vous vous voulez le fier représentant – mille textes d’un autre fil le prouvent – ce n’est pas la mienne. La philosophie qui est incapable de penser ma mort comme elle est incapable de penser ma conscience, qui fait au mieux de la conscience une espèce de production sociale propre au genre humain où les individualités réelles et charnelles des êtres se dissolvent, ce n’est pas la mienne. Et si penser qu’il y a après la mort, après ma mort, quelque chose qui subsiste en ma chair au grand retrait d’une raison qui n’a jamais été pour moi qu’un emprunt, ce n’est pas dans la philosophie que j’irai chercher quelque lumière. Je n’irai pas non plus dans la poésie, ni dans les divers fruits d’une imagination qui a toujours été pour moi comme pour Pascal « une maîtresse d’erreur et de fausseté ». J’irai vers la religion peut-être qui est une réalité humaine d’avant la raison, d’avant cette monstrueuse philosophie occidentale qui a fabriqué ces êtres de raison qu’on voit à l’œuvre de nos jours. J’irai, je crois, vers la science, non la science à la Dehaene qui nie la réalité du monde sensible, de l’affectivité qui est la vraie, la seule substance de notre moi, mais la science brute faite par des praticiens consciencieux et modestes. Comme les médecins de Berlin. Quatre ou cinq minutes d’activité électrique dans notre cerveau après la mort. Voilà le fait, voilà toute la révélation. Observer encore davantage ce fait, apercevoir toute l’activité physiologique et plus largement physique qu’il met en jeu, rapporter toute cette activité aux diverses théories qu’on peut établir sur la genèse de la conscience : voilà la tâche. On philosophera après.