tomefringant a écrit: Feyerabend, bien qu'il soit considéré comme un radical, ne critiquait pas la démarche scientifique, mais les règles méthodologiques immuables.
Il va beaucoup plus loin. On pourrait citer pratiquement tout son livre. Je ne citerai que le passage suivant, qui montre que la démarche scientifique elle-même, telle qu'on la connaît et telle qu'elle trouve à s'exercer depuis plusieurs siècles, est remise à sa place, dans une perspective ouverte et beaucoup plus large, grâce à son approche comparatiste face à laquelle une réfutation digne de ce nom serait un défi que peu oseraient relever.
Paul Feyerabend, Contre la méthode a écrit: Ainsi, la science est beaucoup plus proche du mythe qu'une philosophie scientifique n'est prête à l'admettre. C'est l'une des nombreuses formes de pensée qui ont été développées par l'homme, mais pas forcément la meilleure. La science est indiscrète, bruyante, insolente ; elle n'est essentiellement supérieure qu'aux yeux de ceux qui ont opté pour une certaine idéologie, ou qui l'ont acceptée sans avoir jamais étudié ses avantages et ses limites. Et comme c'est à chaque individu d'accepter ou de rejeter des idéologies, il s'ensuit que la séparation de l'État et de l'Église doit être complétée par la séparation de l'État et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. Une telle séparation est sans doute notre seule chance d'atteindre l'humanité dont nous sommes capables, mais sans l'avoir jamais pleinement réalisée.
p. 332, chapitre 18.
Dans la science, attaquer les idées fondamentales provoque des réactions de tabou qui ne sont pas plus faibles que celles des sociétés dites primitives. [...]. Et la science n'est pas davantage prête à faire du pluralisme théorique le fondement de la recherche. [...].
Mais [la science et le mythe] sont encore plus proches. Le dogmatisme massif que j'ai décrit n'est pas seulement un fait, il a une fonction très importante : la science serait inconcevable sans lui. Les penseurs "primitifs" savaient mieux comprendre la nature de la connaissance que leurs rivaux, les philosophes "éclairés". Il est donc nécessaire de revoir notre attitude envers le mythe, la religion, la magie, la sorcellerie, et toutes ces idées que les rationalistes voudraient voir disparaître de la surface de la Terre (sans même les avoir tant soit peu regardées — ce qui constitue une réaction tabou typique).
pp. 335-336.
tomefringant a écrit: La cible est donc un mésusage de la démarche scientifique et non la démarche elle-même.
Peut-être avez-vous lu le livre il y a longtemps, car vous n'en avez pas un souvenir correct. La démarche scientifique est remise à sa place : dans le cadre de toute démarche de connaissance. C'est cela qui permet à Feyerabend de se livrer à une étude comparée de la science. Vous faites même un contresens, pas moins, en disant qu'il vise un mésusage de la démarche scientifique, car la thèse de Feyerabend consiste précisément à dire qu'il ne faut aucune règle (théorie anarchiste de la connaissance, c'est du reste le sous titre de son opus). C'est la fameuse thèse du "tout est bon", qu'il explicite dans un chapitre qui précède celui dont je vous cite un passage.
tomefringant a écrit: Ce qui différencie la croyance de la théorie scientifique est la capacité de prédire : l'astrophysique réussit là où l'astrologie échoue.
L'épistémologie a déjà corrigé cette croyance dans les années 70. Les prédictions scientifiques et les autres, se situent sur des plans différents, et sont tout aussi rationnelles. Pour en avoir un aperçu synthétique et commode, le mieux est encore d'aller voir du côté de Raymond Boudon, qui multiplie les exemples et propose de nombreuses références.
tomefringant a écrit: Une théorie valide doit être réfutable… mais pas réfutée. Tant que la théorie indique un moyen d'être réfutée, mais que ce moyen n'est pas encore réalisable techniquement, elle est dans un no man's land : Pas une croyance, puisqu'elle est réfutable, mais pas validée non plus. Ce no man's land n'est pas une zone anti-scientifique : c'est lui que Feyerabend voulait revaloriser, et je l'approuve entièrement.
Vous me semblez bien plus proche de Popper (j'allais dire de l'Église popperienne) que de Feyerabend, ici.
tomefringant a écrit: ses résultats ne sont pas des croyances. La théorie des supercordes et la théorie M unificatrice fondent les espoirs des physiciens alors qu'on est très loin de leur vérification expérimentale.
Je ne parle pas des résultats, mais des fondements, des
a priori.