Libere a écrit:Cette guerre s'est faite sans l'aval de l'ONU. Les Américains se sont comportés comme des voyous, pas très différemment d'un Bachar El Assad. C'était en effet une vraie guerre punitive, du moins dans la façon dont elle a été présentée à l'opinion, mais n'oublions pas qu'elle a été fustigée comme telle, à l'ONU même, par la France.
Elle s'est faite sans l'aval de l'ONU, mais elle s'est faite quand même. Donc les instances internationales supposées empêcher les guerres punitives ont un pouvoir très limité, elles peuvent faire pression sur de petits états en développement, mais leur influence sur les grandes puissances est presque nulle. Il en va, au passage, de même pour les instances internationales chargées des règles économiques, comme l'OMC. La concertation mondiale est un rapport de force avant tout, fondé sur la suprématie américaine, et dans une moindre mesure, des autres grandes puissances.
Je me demande finalement si les guerres menées sous mandat de l'ONU ne sont pas toutes, par définition, des guerres punitives (hormis celles où il s'agit simplement de mettre une force d'interposition). Puisque Saint-Augustin définit la guerre punitive comme le fait de "punir un peuple du mal qu'il a fait à un autre". C'est donc que dans un conflit entre deux peuples distincts, un tiers intervient et prétend rétablir un droit qui selon lui a été bafoué, ce tiers se fait le juge des deux peuples en conflit. N'est-ce pas ce que fait l'ONU ? La guerre du Golfe par exemple : il s'est agi pour la coalition onusienne d'attaquer l'Irak, parce qu'il avait envahi le Koweit voisin. De même l'intervention plus récente en Libye : stopper les exactions de Kadhafi, et lui en faire répondre (sauf que là il ne s'agit pas d'un peuple contre un autre peuple, mais d'un chef d'état contre son peuple). On est toujours dans une logique de criminalisation, de punition. Donc sur ce point, je pense que l'analyse de Philippe Touchet est fort juste, d'autant que la terminologie onusienne en dit beaucoup : opération de police, opération de maintien de la paix, intervention... Tous les termes possibles, sauf celui de guerre, parce que pour eux il ne s'agit pas d'une guerre, il s'agit de sanctionner des "Etats voyous". L'ONU, supposée empêcher les guerres punitives, repose sur un principe de guerre punitive.
Liber a écrit:Je croyais qu'ils voulaient venger l'humiliation de 1870. Du reste, d'après l'historien Henri Guillemin, la France aurait manoeuvré (politiquement) pour que l'Allemagne soit obligée de déclarer la guerre.
L'idée de revanche contre l'Allemagne a profondément marqué la France d'après 1870, mais lui a aussi fait prendre conscience qu'elle n'avait pas les moyens de cette ambition, d'autant plus que la majeure partie de la population aspirait à la paix : c'est pourquoi la seule raison qui pouvait faire accepter la guerre à la population, était le sentiment que l'Allemagne avait provoqué la guerre. La guerre de 14-18 a été une surprise pour tous les contemporains, ils ne s'attendaient pas au déclenchement de la guerre, malgré les signes avant coureurs que l'ont peut désormais voir avec le recul de l'histoire, en témoigne le voyage le 15 juillet 1914 du président de la République, et du président du conseil René Viviani en Russie et dans les pays scandinaves, prévu pour une durée de plus de 15 jours. Voyage qui fut écourté, du fait de l'aggravation de la crise internationale. La volonté de venger l'humiliation de 1870 n'était donc pas à l'origine de la Première Guerre mondiale, celle-ci résulte plutôt d'un engrenage, chacun des belligérants avait l'impression de répondre aux provocations de l'autre, d'être dans son droit, et de devoir se défendre, selon René Giraud, historien spécialiste des relations internationales. Par ailleurs, le fait que les relations entre la France et l'Allemagne étaient dans une période d'apaisement vient accréditer cette idée, la véritable période de tension était entre les deux crises marocaines de 1905 et 1911 où tout le monde s'attendait à ce que cela dégénère en guerre, mais après cela, les relations France-Allemagne étaient beaucoup moins électriques ; par exemple, pour la première fois depuis la guerre de 1870-71, un président de la République s'était rendu à une réception à l'ambassade d'Allemagne, en janvier 1914.
Par rapport à l'idée que la population française et son armée partageaient une conception messianique de la guerre, croyant se battre pour l'humanité, je cite l'ouvrage des historiens Jean-Jacques Becker et Stephane Audoin-Rouzeau, tous deux spécialistes de la Grande Guerre, intitulé La France, la nation, la guerre : 1850-1920.
L'auteur montre par la suite que cette culture de la guerre s'est surtout cristallisée entre l'été 1914 et les premiers mois de 1915, car l'opinion française a eu rapidement connaissance des atrocités commises par l'envahisseur (destructions massives, exécutions de civils, viols de femmes), atrocités amplifiées par la presse, donc c'est au cours de cette période cruciale que "l'idée de guerre de la civilisation contre la barbarie s'est durablement installée comme une évidence dans la culture de guerre française, jusqu'à en constituer le cœur". Il précise (p. 296) :Contrairement à une idée forgée après coup, dans les motivations des futurs combattants, les idées de Revanche ou de reprise de l'Alsace-Lorraine apparaissent très rarement. Le sentiment d'avoir à défendre son pays fut le sentiment fondamental lors du départ en guerre. Ce qui explique que la guerre fut acceptée par la presque totalité de la population.
P. 267.
"La guerre a mis aux prises deux conceptions différentes de Dieu et de l'Humanité" : cette phrase d'Ernest Lavisse, écrite en 1915, synthétise parfaitement le sens qu'ont attribué à la guerre les intellectuels français, la lecture qu'ils ont faite du conflit, et la manière dont ils ont traduit l'un et l'autre à l'usage du plus grand nombre. La guerre, en effet, n'est pas lue, interprétée, vécue telle qu'elle avait pu l'être moins d'un demi-siècle auparavant, comme un affrontement classique entre nations ou, en l'occurrence, de coalitions de nations. Elle est perçue, et de manière quasi-unanime, en termes d'une lutte de la Civilisation contre la Barbarie.
L'Allemand, l'ennemi, est vu, vécu, compris comme un barbare. Il fait bien plus que menacer la patrie, le sol, les familles de France : il est d'abord une menace pour la civilisation humaine dans son ensemble, sa victoire serait une régression à l'échelle de l'humanité. En ce sens le conflit est présenté et sincèrement perçu comme un affrontement radical posé en termes de survie d'une certaine conception de l'être humain.
P. 294.
Le phénomène (= la croyance en cette culture de guerre) n'a pu se produire avec une telle ampleur que dans la mesure où la forme de messianisme qui s'attache à ce type de lecture du conflit en prolongeait deux autres, plus anciens, adversaires à l'origine mais désormais associés dans l'Union sacrée : le messianisme républicain et le messianisme catholique, attribuant tous deux à la France une mission particulière à l'égard de l'humanité tout entière. Le premier au nom de 1789 et des Droits de l'homme, le second au nom de la position éminente de la France dans la chrétienté au titre de "Fille aînée de l'Église", depuis le baptême de Clovis.