Dans une perspective aristotélicienne, je souscris complètement à ce que dit friedrich crap. Il me semble qu'il n'y a de vérité que délibérative, de l'ordre du vraisemblable. Mais cela concerne les affaires de la cité, pour le dire dans des termes antiques. Et ces affaires sont les principales. Toutefois, il n'y a de vérité que solitaire. Chercher la vérité, c'est quelque chose de solitaire. Je ne caractérise pas la vérité ici, mais la recherche de la vérité, plus précisément ceux qu'anime cette recherche. Or cela montre l'ignorance où nous sommes. Si on sait, alors on ne cherche pas la vérité, on croit ou on prétend qu'on l'a, où qu'elle est quelque part, à disposition. Il suffirait alors de s'en saisir. Mais je crois fermement que la vérité n'est pas affaire de connaissance. De même que Maurice Blanchot disait à juste titre que, pour écrire une œuvre, il faut ne pas savoir à l'avance ce qu'on a à dire, puisque si on savait ce qu'on a à dire, on ne s'embarquerait pas dans cette aventure, de même on ne sait pas ce que pourrait bien être la "vérité" qu'on cherche. A vrai dire, on ne dit cela que par défaut, faute d'un autre mot peut-être plus approprié. On est animé par quelque chose, qu'on exprime sous la forme d'intuitions ou de systèmes, peu importe, mais qui est et qui restera sans doute à comprendre.
Au total, il y a des vérités factuelles, et encore : qu'est-ce qu'un fait ? Est-on bien certain que le fait qu'on établit se distingue absolument de son interprétation ? J'avais écrit un petit billet qui en parle, consacré à Anatole France, très instructif (Anatole France, pas le billet).
Ici.
Anatole France a écrit: qu'est-ce que l'histoire ? L'histoire est la représentation écrite des événements passés. Mais qu'est-ce qu'un événement ? Est-ce un fait quelconque ? Non pas ! C'est un fait notable. Or, comment l'historien juge-t-il qu'un fait est notable ou non ? Il en juge arbitrairement, selon son goût et son caprice, à son idée, en artiste enfin ! car les faits ne se divisent pas, de leur propre nature, en faits historiques et en faits non historiques. »
Ça vaut pour les sciences. Il y a du vraisemblable (le délibératif). Il y a quelque chose comme une aventure personnelle, une singularité, celle d'un esprit qu'un homme incarne comme il peut, dans la contingence de ses circonstances et de son temps. Au bout du compte, on n'a pas grand-chose.