Liber a écrit:L'idéal serait une reconstitution en miniature de la société en prison, de façon à rééduquer l'homme qui s'est écarté du "droit chemin" en lui montrant la voie à suivre, puisque nous avons choisi de réhabiliter plutôt que de ne faire que sanctionner. [...]. Je pense qu'on fait fausse route en croyant qu'il y a en l'homme quelque chose comme le Bien. Il n'y a rien de pur dans cette complexité de chair, de sang et de nerfs qu'est l'être humain. J'en avais déjà parlé à propos de l'amour en citant Othello (ce qui ne vous avait pas convaincu), que je persiste malgré tout à croire sincère dans son amour. Mais comme pour le crime, l'amour n'est ni bien ni mal.
Cette reconstitution est aussi cela même qui contribue à détourner les hommes les uns des autres. Pas de société, pas d'altérité ; mais l'altérité est insoutenable au point que toute société n'advient que sous la forme d'une morale, si rudimentaire soit-elle, autrement dit frappe d'interdiction toute forme d'objectivité dans les rapports entre les personnes. On ne parviendrait pas à convaincre quelqu'un si on lui disait qu'on peut tout à la fois être "moral" et s'en détacher quand c'est nécessaire. Si, pour l'essentiel, la morale est par définition un corpus de préjugés, alors il ne peut pas ne pas sembler naturel à la plupart d'être les préjugés qu'ils ont. Certes, il serait naïf de croire qu'on tient la nature ou sa nature par-devers soi ; ce l'est tout autant de la croire derrière ou devant soi, comme âge d'or ou comme idéal. Que la morale soit aussi vieille que les hommes montre qu'il n'y a de nature humaine qu'impossible, puisqu'elle dénature les hommes en même temps qu'elle leur en donne une. De sorte que l'objectivité et l'impassibilité sont nécessaires à qui veut juger, au risque de sembler inhumain à ceux là mêmes qui (se) déshumanisent autant qu'ils (s')humanisent avec la morale. De sorte également qu'on peut bien dire que la nature humaine, quoique impossible, fait quand même l'objet d'une forclusion qui n'est pas sans rapport avec les crimes que les hommes commettent parfois.
Souvenez-vous de ce débat sur la question de la preuve historique, à propos des camps de concentration. Très vite, il fut évident qu'aucune discussion ne pourrait avoir lieu ; au total, il n'y eut que du scandale. La plupart des faits historiques, et d'une manière générale ce qu'on appelle un fait, est à ce point moralement établi, et de manière presque instantanée, que l'impassibilité dépassionnée de qui veut ou accepte d'en discuter est immédiatement jugée monstrueuse.